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coup, jeté par l'exil, sur la terre étrangère, et trouva dans Genève une seconde patrie. Là, après s'être emparé de la première place comme orateur, jurisconsulte, législateur et homme d'État, il rêve à Paris une scène plus vaste, proportionnée à sa taille. Il s'y fit bientôt remarquer parmi ceux qui répandaient sur le monde l'éclat de leurs lumières et de leurs talents. Alors, un pouvoir d'origine révolutionnaire, mais ami de l'ordre présidait aux destinées de la France; cherchant à étayer sa base équivoque par toutes les supériorités qu'il trouvait sur sa route, il combla d'honneurs et de fortune le savant exilé, qui bientôt après revit le sol de son pays, non pas en coupable, en gracié, mais en ambassadeur d'une grande nation, revêtu de la majesté de la France. La gloire humaine est une étoile filante qui disparaît d'autant plus rapide qu'elle a plus de splendeur! les pavés sur lesquels reposait le pouvoir dont il était le représentant venant un jour à s'écrouler sous ses pieds chancelants, Rossi rentra dans la vie privée jusqu'au moment où la confiance du souverain Pontife le releva dans ses conseils, pour l'associer à ses efforts et lui procurer la gloire du martyre.

D'une taille élevée, digne plutôt qu'élégante, Pellegrino Rossi était au physique comme au moral sec, roide et bilieux. Spirituel, doué d'un sens exquis et d'une rare pénétration, connaissant toutes

les fibres du cœur humain, la froideur de son sourire, l'ironie de son regard, le dédain de son geste, lui avaient fait autant d'ennemis que l'élevation de sa fortune politique. D'une intelligence souple et forte, d'un caractère passionné, maître de soi-même, d'une finesse qui cependant excluait l'hypocrisie, réservé, mais entreprenant sui vant les circonstances, improvisateur concis, orateur entraînant, il charmait par la poésie de sa parole et persuadait par la vigueur de son argumentation. Sans rival pour la direction des affaires, sans exagération dans la théorie, sans préjugés dans la pratique, le comte Rossi avait dans les dernières années de sa vie complété ses études humanitaires par celle de la religion. Les orages de la politique n'avaient point éteint chez lui le flambeau de la foi conservée pure dans l'élévation de son esprit éminemment catholique. Le spectacle imposant de la piété à Rome, les relations intimes de son ministère avec le saint Pontife, le désenchantement des gloires, le néant des espérances humaines, le recueillement des natures d'élite en présence des tressaillements du monde agité par les mystérieux décrets de la Providence, toutes ces causes, méditées religieusement par le philosophe chrétien, avaient puissamment contribué au développement de la grâce dans son âme ouverte aux rayonnements de la vérité.

Modeste et simple de cœur dans ses rapports avec Dieu autant qu'il était fier et superbe dans ses relations avec les hommes, il aimait à s'isoler dans la prière, à se confondre parmi la foule, le dimanche, pour assister obscurément caché, pour ainsi dire, dans l'ombre de l'église, aux mystères du sacrifice divin.

Dévoué jusqu'à l'immolation à la personne du chef de l'Église, il écrivait, quelque temps avant sa mort, cette phrase remarquable : La papauté est la dernière grandeur vivante de l'Italie.

Le matin même du jour dont il ne devait point voir la fin, il prononça ces paroles qui renfermaient peut-être de mystérieux pressentiments : Pour arriver au pape il faudra me passer sur le corps. Quelques instants plus tard, alors que le poignard impatient de la révolution attendait l'heure du crime, il proféra ce cri sublime : La cause du pape est la cause de Dieu.

Tel était le comte Rossi, tel était l'homme éminent dont l'assassinat, commis en plein jour sous le regard des députés, à l'endroit même où César était tombé sous le poignard de Brutus épouvanté, obtint dans la Chambre la lâche protection du silence, et dans la rue, les honteux honneurs de l'ovation.

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CHAPITRE X.

Journée du 16 novembre. Emeute. Belle conduite du corps

diplomatique et de la garde suisse. Détails. Triomphe des révolutionnaires. - Protestation du pape.

La nouvelle de la mort du premier ministre du Saint-Siége parvint rapidement et simultanément dans les diverses provinces de l'Italie; les révolutionnaires et les journaux démagogiques qui l'espéraient, après l'avoir provoquée, entonnèrent, en l'honneur du meurtrier, des hymnes de réjouissance; une feuille dont la citation suivante et textuelle sera l'éternel châtiment, écrivait à ce sujet : « La soirée qui a suivi le meurtre de M. Rossi a été une véritable fête italienne. Des rassemblements nombreux se sont formés ; ils parcouraient les divers quartiers de la ville en criant: Vive la consti

tution italienne! vive le peuple! vive le poignard de Brutus! vive l'union! vive le ministère démocratique! vive l'Italie républicaine! »

En même temps la Gazette de Génes, sur la foi d'une correspondance de Livourne, disait : « Lorsque la nouvelle de la mort du ministre Rossi est parvenue ici, le peuple a sonné des carillons de joie. Le drapeau tricolore a été arboré au faîte du dôme. La foule, précédée par des tambours, s'est rendue à l'habitation de M. La Cécilia et de là devant l'hôtel du consul romain, pour le féliciter sur la résurrection de Rome. Les rassemblements se sont portés ensuite devant le palais du gouvernement. Là des milliers d'hommes appelaient le gouverneur. M. Charles Pigli a paru sur la terrasse et a prononcé ces mots : Le ministre Rossi n'était pas aimé de l'Italie seulement à cause de ses principes politiques. Dieu, dans ses desseins secrets, a voulu que cet homme tombât frappé par la main d'un fils de l'ancienne république romaine. Dieu garde son âme et la liberté de notre pauvre Italie! D'immenses applaudissements ont couvert la voix du gouverneur, et la foule s'est écoulée. Le drapeau romain flottait au milieu des drapeaux tricolores. Partout l'on criait : Vive la constitution italienne! vive Rome! >>

Ces lignes qui glorifient le meurtre, sont la réfutation complète des hommes qui ont osé préten

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