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ses clients. Désireux de posséder un savant dans sa famille, le barbier, qui du reste avait remarqué de grandes dispositions dans son fils, lui fit faire ses études à l'université renommée de Bologne. L'écolier devint bientôt un habile jurisconsulte; mais un jour abandonnant ses livres de droit et la chicane de la basoche pour l'épée et les troubles des révolutions, il se jeta en aveugle dans les événements de 1831. Alors, aussi brave soldat qu'il était avocat distingué, il tint quelque temps la campagne. A la tête d'une colonne armée, il s'empare d'assaut de la petite ville de Cento, il se mesure à Rimini avec un corps d'Autrichiens, il reçoit une blessure à Cesena, puis, arrêté tout à coup par la mauvaise fortune, il se retire sur la terre étrangère pour revenir douze années plus tard diriger une nouvelle conspiration, dont le but secret, disait-on, était la mort du vénérable pontife qui, sous le nom de Grégoire XVI, occupait alors le siége pontifical.

Quoi qu'il en soit, arrêté avant l'exécution de cet odieux projet, il est chargé de fers, conduit à Rome, jugé, condamné aux galères à perpétuité, et jeté en commutation de peine dans les prisons des États romains. C'est là qu'en 1846 le généreux décret du 16 juillet vint lui rendre la liberté. Sa reconnaissance pour le souverain Pontife fut alors telle, que Pie IX, pour réprimer l'exagération de

ses transports, lui dit : Basta, mio figlio; assez, mon cher enfant. Nous avons déjà raconté la scène touchante arrivée le jour où le pape, relevant à ses pieds le futur Judas, le pressa sur sa poitrine.

D'une taille moyenne, mais bien prise, élégant, soigné dans sa mise, cachant dans ses manières de gentilhomme le fils d'un barbier obscur, Joseph Galetti, doué d'une figure agréa ble, distinguée, pâle, encadrée dans une belle barbe noire, charmait par la douceur de sa voix et le velouté de son regard. La nature le rapprochant de celle de la femme, lui avait donné le don des larmes; habile à saisir dans ses moindres nuances le cœur humain, il pouvait pleurer et gémir à vo lonté. Sa belle figure était un masque qui se prêtait à toutes les expressions; son front était un thermomètre qui marquait tous les sentiments. Possédant au suprême degré l'art de la dissimulation, Joseph Galetti a trompé jusqu'à la fin Pie IX, son bienfaiteur, qui cependant jusqu'à la fin se crut en droit d'espérer en lui.

Tandis que le souverain Pontife, retiré dans le silence de son oratoire, priait pour les malheureux qu'il avait tant aimés, et pour lesquels il avait tant fait, les autorités civiles et militaires faisaient acte de soumission au cercle populaire-national, auquel s'était réuni le club du café des Beaux-Arts. Les fonctionnaires publics, les chefs de l'armée, le

colonel Stewart, commandant du fort Saint-Ange, s'empressaient de rendre hommage à ce nouveau pouvoir, qui, faisant acte d'autorité, envoyait les destitutions, nommait aux emplois vacants, et faisait afficher les noms des fonctionnaires qui lui déplaisaient. Ce n'était pas assez pour lui d'avoir privé le Saint Père de sa puissance souveraine, il résolut de lui enlever les seuls hommes qui, la journée précédente, lui étaient restés fidèles. Sterbini et le prince de Canino demandèrent qu'on désarmât les Suisses et qu'on les congédiât, ajoutant qu'ils devraient s'estimer heureux si on leur faisait grâce de la vie. Le pape, que les membres du corps diplomatique s'étaient empressés de rejoindre à la première heure du jour, dut subir cette nouvelle exigence.

Cependant il se présenta une difficulté qu'on n'avait pu prévoir, et qui fait le plus grand honneur aux Suisses. Ces braves gens refusèrent de quitter leurs postes et de rendre leurs armes. « Nous sommes ici par la volonté du pape, direntils, nous y resterons. Quant à nos armes, si la canaille les veut, qu'elle essaye de venir nous les prendre si nous ne pouvons nous en servir pour défendre ou sauver notre souverain, nous sommes décidés à mourir plutôt que de les remettre à des mains autres que les siennes, et dans ce dernier cas, si Pie IX nous les redemande, nous ne les

rendrons pas, car nous sommes soldats, mais nous les déposerons à ses pieds augustes. >>

En effet, tenant parole, ils ne se soumirent que lorsqu'ils furent bien convaincus que telle était la volonté du pape. Dans une circonstance à peu près semblable, le 10 août 1792, les nobles enfants de la république helvétique ont défendu en France, au prix de leur sang, la monarchie expirante; l'histoire a conservé leurs noms; l'histoire aussi, pour être juste et reconnaissante, doit conserver ceux des braves Suisses qui, peut-être, auraient épargné à Pie IX les tristesses de l'exil, si, comme l'infortuné Louis XVI, Pie IX n'eût pas reculé devant la pensée de faire couler une goutte de sang pour sa cause (1).

Ce fut en frémissant que la garde suisse remit les postes du Quirinal à la garde civique : de ce moment, le souverain Pontife devint réellement prisonnier dans son propre palais.

Ainsi que l'avait prévu Galetti, arrivé de Bologne le soir même de l'assassinat du comte Rossi pour recueillir sans doute son héritage politique, le savant abbé Rosmini ne voulut point faire partie du ministère du 16 novembre. Ce pieux et savant écrivain s'était aperçu de prime-abord que son nom, choisi par les démagogues, n'était autre

(1) Voyez les documents historiques. N. 5.

chose qu'un drapeau de ralliement offert à la partie saine de la population, il ne voulut point se prêter à cette ruse et il refusa le portefeuille qu'on lui offrait. Il fut remplacé par monsignor Muzzarelli, de même que le duc de Rignano, général de la garde civique, le fut par le colonel Joseph Gallieno. Le peuple, accueillant cette seconde nomination avec transport, se joignit aux troupes pour conduire le nouvel élu à l'état-major et le reconnaître dans sa dignité au son de la musique et des tambours. La fin de la journée se passa dans le calme, sans autre incident. Dans la soirée, une magnifique aurore boréale, d'un rouge éclatant, illumina subitement le ciel de Rome; la population, qui croit encore aux présages, en fut consternée. Elle crut y voir les signes menaçants de la colère de Dieu. Les révolutionnaires, plus impies, mais non moins superstitieux, se rassurèrent à cette pensée qu'ils manifestèrent publiquement : « Ce phénomène indique clairement que l'âme du tyran Rossi est condamnée aux flammes éternelles, et les esprits déchus célèbrent à cette occasion des feux de réjouissance. » Le prince de Canino y vit autre chose encore; en effet, se rendant, ce soir-là, pour affaires, dans les salons du duc d'Harcourt, où se trouvaient réunies quelques personnes, il dit en entrant et se frottant les mains en signe de joie : « Avez-vous vu le ciel, messieurs?

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