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« Très-saint Père,

<< Pendant les pérégrinations de son exil en France et surtout à Valence où il est mort et où reposent son cœur et ses entrailles, le grand pape Pie VI portait la très-sainte Eucharistie sur sa poitrine ou sur celle des prélats domestiques qui étaient dans sa voiture. Il puisait dans cet auguste sacrement une lumière pour sa conduite, une force pour ses souffrances, une consolation pour ses douleurs, en attendant qu'il y trouvât le viatique pour son éternité. Je suis possesseur, d'une manière certaine et authentique, de la petite pyxide qui servait à un si religieux, si touchant, si mémorable usage. J'ose en faire hommage à Votre Sainteté ! Héritier du nom, du siége, des vertus, du courage et presque des tribulations du grand Pie VI, vous attacherez peut-être quelque prix à cette modeste, mais intéressante relique, qui, je l'espère bien, ne recevra plus la même destination. Cependant qui connaît les desseins de Dieu dans les épreuves que sa providence ménage à Votre Sainteté? je prie pour elle avec amour et foi. Je laisse la pyxide dans le petit sac de soie qui la contenait et qui servait à Pie VI, il est absolument dans le même état que lorsqu'il était suspendu à la poitrine de l'immortel pontife.

Je garde un précieux souvenir et une profonde reconnaissance des bontés de Votre Sainteté à

l'époque de mon voyage à Rome l'année dernière. Daignez encore y ajouter votre bénédiction apostolique; je l'attends, prosterné à vos pieds.

«

PIERRE, évêque de Valence. »

A la lecture de cette lettre, et surtout à la vue de la précieuse relique qu'elle accompagnait, le pape crut reconnaître un avertissement d'en haut. Alors ses scrupules disparurent devant la volonté de Dieu, il n'hésita plus. De grands obstacles s'opposaient à la fuite du Saint Père, étroitement gardé à vue; d'abord, ce projet ne pouvait être confié qu'à un très-petit nombre de personnes afin d'en assurer le secret; ensuite, sur quel point du globe le pape porterait-il ses pas errants? La politique jalouse des gouvernements ne se disputerait-elle pas le privilége d'abriter sa personne sacrée ? Sa présence dans les États qu'il choisirait ne deviendrait-elle pas un sujet de craintes et de perturbations? Se jettera-t-il dans les bras de la France ou de l'Espagne? Restera-t-il sur le territoire italien? Telles étaient les questions que s'adressaient secrètement, en dehors l'un de l'autre, le duc d'Harcourt, ambassadeur de la France, et le comte de Spaur, ministre plénipotentiaire du roi de Bavière. Un moment il fut décidé que le pape irait à Civita-Vecchia; à cet effet, le duc d'Harcourt s'empressa d'envoyer des ordres au vapeur français, le Ténare, qui se trouvait dans ce port; mais l'opinion du cardinal

Antonelli, craignant que la route de Civita-Vecchia ne fût occupée par les révolutionnaires, dérangea presque aussitôt cette combinaison. Les difficultés semblaient grandir à chaque instant, on ne savait à quel parti s'arrêter. « Je ne suis qu'une simple femme, dit un matin la comtesse de Spaur à son mari, cependant je voudrais conduire cette affaire à bonne fin. » Le ministre du roi de Bavière se mit à rire, mais le soir même, il lui dit : « Vous rappelez-vous ce que vous m'avez dit ce matin?

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-

<< Certainement, et je persiste.

<< Eh bien, il peut se faire que

la providence ait jeté les yeux sur vous pour concourir à la délivrance du pape.

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« Je suis prête, parlez, que faut-il faire?

<< Partir demain matin pour Albano avec

votre fils et son gouverneur.

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-

Après ?

<< M'attendre là.

« Je vous y attendrai.

« Maintenant occupez-vous des préparatifs de notre départ, car notre absence de Rome pourrait se prolonger au delà de nos prévisions. >>

D'origine française et l'une des femmes les plus distinguées de Rome, la comtesse de Spaur mesura d'un coup d'œil l'importance de la mission qu'on lui confiait : elle ne s'en effraya point et se mit aussitôt en mesure de la remplir. Elle com

mence par dire aux gens de sa maison qu'un projet de mariage entre une princesse de Bavière et le fils aîné du roi des Deux-Siciles l'appelait subitement à Naples ainsi que son mari : alors, tandis que ses femmes préparent ses malles, elle brûle des papiers dans la prévision des visites domiciliaires qui pourraient être la conséquence de son départ, puis elle remplit d'or ses bottines, double de diamants ses robes, met en sûreté un portefeuille du pape, prépare ses pistolets qu'elle tire en maître et passe le restant de la nuit en prières devant son crucifix.

A six heures du matin, après avoir écrit quelques mots à sa famille pour la rassurer elle monte dans une berline russe, attelée de quatre chevaux, et donne l'ordre de partir pour Albano.

Elle est arrêtée aux portes de la ville. Où allezvous? lui demande-t-on. A Albano d'abord, à Naples ensuite.

— « Où sont vos passeports?

« Les voici.

- « Pourquoi le comte, votre mari, n'est-il pas avec vous?

<< Parce

que

les affaires de son gouvernement

le retiennent à Rome.

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Quand vous rejoindra-t-il ?

Lorsque ses affaires seront terminées; du

reste vous le verrez, puisqu'il doit passer par cette porte.

« Il suffit. » La berline alors se remet en route, elle s'arrête à quelques pas de là pour prendre deux nouveaux chevaux qui l'attendaient, et au grand galop, soulevant des flots de poussière, elle arrive en deux heures et demie à Albano et descend à l'hôtel de Paris.

il

L'évasion du Saint Père, combinée avec le duc d'Harcourt et le comte de Spaur, avait été fixée au 24, dans la soirée. Quelques instants avant l'heure indiquée le duc d'Harcourt, qui avait obtenu une audience, arriva au Quirinal dans une voiture de gala, précédée de coureurs et de torches, demande à voir le pape; on refuse, il insiste, il est enfin introduit dans le cabinet pontifical, dont la porte aussitôt se referme sur lui. Il était cinq heures; le ciel était sombre, sans étoiles la nuit prêtait ses obscurités à la réussite du projet. Il n'y avait pas un instant à perdre. Le comte de Spaur, d'accord avec le pape, attendait à un endroit désigné d'avance, le Saint Père, qui le rejoindra bientôt. Pendant ce temps-là, Pie IX, avec l'aide de l'ambassadeur de France, changeant de costume, se chausse de souliers noirs fermés par deux larges boucles d'argent; il prend un pantalon de couleur sombre, endosse une redingote noire, se couvre la tête d'un large chapeau rond et les

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