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yeux d'une paire de lunettes, puis, après s'être agenouillé pendant deux minutes devant le crucifix de son oratoire, il sort, portant une lanterne à la main, par une porte dérobée qui le conduit aux longs corridors du conclave. Un homme fidèle et sûr, attaché au palais et nommé Philipani, l'accompagne. Pendant ce temps le duc d'Harcourt, resté dans le cabinet du pape, lisait à haute voix, pour détourner l'attention des surveillants qu'un long silence aurait pu provoquer. Tout à coup il entend du bruit dans les appartements que le pape vient de traverser, il s'émeut; le pape aurait-il été découvert, sa fuite serait-elle entravée? Non, car Dieu veillait sur le saint Pontife, qui s'était trouvé tout à coup arrêté par une porte qu'on avait oublié d'ouvrir; c'était pour lever cet obstacle imprévu que M. Philipani revenait sur ses pas. Pendant que cet homme dévoué faisait un long détour, Pie IX seul, sa lanterne à la main, attendait devant la porte qui s'ouvrit enfin, après un retard de dix minutes. Le pape alors s'élança dans la voiture.

A sept heures le duc d'Harcourt resté seul dans le cabinet pontifical pour éloigner les soupçons, se retira disant aux gens de l'antichambre et aux gardes de faction à la porte même des appartements pontificaux, que le Saint Père indisposé s'était mis au lit; puis, se rendant à l'ambassade, il monte dans une chaise de poste et brûlant la route

de Civita-Vecchia, il y arrive à minuit pour s'embarquer sur le Tenare.

Il était six heures et dix minutes lorsque, sur l'ordre qu'il en reçut, le cocher, qui conduisait la fortune de Rome, descendant la colline, traversa la place Trajane, suivit les rues qui mènent au Colisée et parvint bientôt au Therme de Titus où le comte de Spaur attendait près de l'église de Saint-Pierre et Saint-Marcelin avec sa voiture et son chasseur armé, ainsi que lui, de poignards et de pistolets. Enfin une demi-heure après avoir quitté le Quirinal, le Saint Père, l'âme navrée de douleur, mais parfaitement résigné à la volonté de Dieu, franchissait sans difficultés la porte de Saint-Jean de Latran.

La voiture qui transportait l'illustre fugitif rejoignit dans la nuit la comtesse de Spaur qui attendait dans la vallée de l'Aricia près d'Albano. Au moment où les voitures se rencontrèrent quatre carabiniers, faisant une patrouille, s'arrêtèrent; mais douée d'une admirable présence d'esprit la comtesse de Spaur, sans descendre de sa berline de voyage, s'écria avec un ton d'humeur: « C'est vous, monsieur le docteur, vous vous faites bien attendre; c'est fort mal! on ne pourra donc jamais vous corriger de vos lenteurs? » Pendant ce tempslà le Saint Père, descendant sans dire un seul mot de sa voiture, monta dans celle de la comtesse.

Les carabiniers, loin de

soupçonner que le pape se trouvait devant eux, relevèrent eux-mêmes le marchepied en souhaitant aux illustres fugitifs un heureux voyage. Le Saint Père se trouvait au fond de la berline, auprès de la comtesse de Spaur; en face, le jeune Maximilien de Spaur avait pris place auprès de son gouverneur, M. Liebel; une femme de chambre occupait le siége de devant, le comte de Spaur et son fidèle chasseur occupaient celui de derrière.

<< Pardonnez-moi, très-saint Père, s'était écriée la comtesse de Spaur lorsque le pape fut entré dans la voiture, pardonnez à votre indigne servante si la nécessité lui procure à vos côtés une place qu'elle ne mérite point. » — « Vous êtes aujourd'hui, répondit le pape, un des instruments dont la Providence a voulu se servir pour accomplir un de ses mystérieux desseins. » Puis, voyant l'émotion de la comtesse, il ajouta : « Ne crai

gnez rien, Dieu est avec nous. »

Une partie du voyage se fit assez heureusement, mais à Fondi, le Saint Père fut encore sur le point d'être reconnu ; à sa vue, l'un des postillons, poussant un cri de surprise, dit à l'un de ses camarades : -(( Regarde donc cet abbé, il ressemble au portrait du pape que nous avons chez nous. » La berline, changeant de chevaux à chaque relai, dévorant l'espace sous les yeux du comte de

Spaur, qui stimulait avec de l'or le fouet des postillons, avait franchi la frontière des États romains, Pie IX était sauvé! Ce fut alors que, levant les yeux au ciel et rendant grâce à Dieu de sa divine protection, le saint pontife récita d'une voix émue le beau cantique du Te Deum, auquel s'associèrent des lèvres et du coeur ses bienheureux compagnons de voyage.

La voiture du pape, arrivée à neuf heures et demie du matin au môle de Gaëte, rejoignit enfin celle du cardinal Antonelli et du chevalier d'Arnao, qui l'y avait précédée de quelques heures. Les voyageurs descendirent à l'hôtel de Cicéron, où l'on fit servir un déjeuner auquel le Saint Père ne prit aucune part; il se retira dans une chambre particulière où il rendit de nouvelles actions de grâce à la Providence, et consentit à prendre quelques rafraîchissements. Après quelques instants de repos, les illustres voyageurs, se réunissant en conseil, décidèrent que le comte de Spaur irait à Naples pour rendre compte au roi des DeuxSiciles des évènements qui avaient obligé le chef de l'Église à venir chercher un refuge dans les États napolitains; le pape lui remit à cet effet une admirable lettre, qu'il écrivit de sa propre main à Ferdinand II.

Sire, lui disait-il, le triomphe momentané des ennemis du Saint-Siége et de la religion compro

mettant la personne du chef de l'Église catholique, l'a forcé malgré lui à quitter Rome. Je ne sais sur quel point du globe la volonté du Seigneur, à laquelle je me soumets dans toute l'humilité de mon âme, conduira mes pas errants; en attendant, je me suis réfugié dans les États de Votre Majesté, avec quelques personnes fidèles et dévouées. J'ignore quelles seront vos intentions à mon égard : dans le doute, je crois devoir vous mander par l'entremise du comte de Spaur, ministre de Bavière auprès du Saint-Siége, que je suis prêt à quitter le territoire napolitain, si ma présence dans les États de Votre Majesté pouvait devenir un sujet de craintes ou de différends politiques.

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Alors, changeant ses passeports contre ceux du chevalier d'Arnao, le comte de Spaur, porteur des dépêches autographes du pape, prit immédiatement, en poste, la route de Naples, et le Saint Père et les autres fugitifs se mirent en route d'un autre côté, pour se rendre à Gaëte, situé à une distance de cinq milles du môle qui porte le même nom.

Pendant ce temps et à la même heure, on apprenait à Rome le départ du pape par une lettre autographe, que le maître du Palais, le marquis Sachetti, son destinataire, s'empressa de communiquer, par ordre, à Joseph Galetti. Celui-ci s'en emparant quoiqu'elle ne lui fùt point adressée, et

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