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il se donne pour aides-de-camp des hommes tarés, flétris par l'opinion publique, prêts à tout faire, hors le bien; il se crée une garde d'élite composée du menuisier Materazzi, du sculpteur Bezzi, du marchand de charbon Carbonaretto, du tavernier Tofanelli, et du vendeur de tabac Piccioni.

Sur ces entrefaites, l'arrivée de lord Minto, annoncée d'avance par le Contemporaneo, et attendue depuis longtemps par la secte, fut un jour de fête pour le parti qui trouvait un nouveau point d'appui dans le caractère officieux d'un envoyé de la Grande-Bretagne. Le but et les intentions du lord intrigant n'étaient un secret pour personne. On n'ignorait aucunement ses préventions contre la religion catholique et sa haine méthodiquement presbytérienne contre la papauté; aussi les meneurs l'accueillirent-ils avec enthousiasme! Oubliant par calcul les chemins du Quirinal, ils se rendaient chaque soir sous les fenêtres de l'hôtel d'Europe, devant l'appartement occupé par leur puissant auxiliaire, et faisaient retentir les airs du nom mille fois répété de lord Minto. Là, chaque soir, un corps nombreux de musiciens exécutait des morceaux de choix en l'honneur du perfide étranger; un soir même, les meneurs poussèrent la galanterie au point de remplacer l'hymne de Sterbini par le God save the queen. De son côté, lord Minto répondit à ces avances en montrant les plus vives

sympathies pour les membres des sociétés secrètes. C'est ainsi qu'au mépris de ses devoirs envers le Saint-Siége, il fréquenta chaque jour les salons du cercle populaire, le club Sterbini et les autres conciliabules, où le feu de la révolution couvait sous la cendre démocratique. La présence de lord Minto était l'avant-coureur des tempêtes qui s'amassaient à l'horizon assombri du ciel de Rome.

On touchait alors à l'époque désignée pour la réunion des membres de la consulte d'État; à neuf heures du matin, le cardinal Antonelli, président de la consulte, et les vingt-quatre députés des provinces appelés à l'honneur d'en faire partie, arrivèrent au Quirinal et se réunirent dans la salle du trône pour déposer aux pieds du SaintPère les hommages de l'assemblée et les témoignages de dévouement dont elle était animée pour justifier la confiance du souverain et le choix de ses mandataires.

Au discours du cardinal Antonelli, Pie IX répondit par les paroles suivantes : « Je vous remercie de vos bonnes intentions et j'en fais grand cas en vue du bien public. C'est en vue du bien public que depuis le premier moment de mon élévation au trône pontifical, j'ai fait, d'après les conseils inspirés de Dieu, tout ce que j'ai pu; et je suis encore prêt, avec l'assistance divine, à faire

tout pour l'avenir, sans cependant rien retrancher de la souveraineté du pontificat (Senza menomar mai neppure di un apice la sovranità del pontificato), et de même que je l'ai reçue pleine et entière de mes prédécesseurs, de même je dois transmettre ce dépôt sacré à mes successeurs. J'ai pour témoins trois millions de mes sujets; j'ai pour témoin toute l'Europe de ce que j'ai fait jusqu'ici pour me rapprocher de mes sujets, pour les unir à moi, pour connaître de près leurs besoins et y pourvoir. C'est surtout dans le but de mieux connaître ces besoins et de mieux pourvoir aux exigences de la chose publique, que je vous ai réunis en une consulte permanente. C'est pour entendre au besoin vos voix, pour m'en aider dans mes résolutions souveraines dans lesquelles je consulterai ma conscience pour en conférer avec le sacré collége et mes ministres....

<< Celui-là se tromperait grandement qui verrait autre chose dans les fonctions que vous allez remplir.... Celui-là se tromperait grandement qui verrait dans la consulte d'État que je viens de créer, la réalisation de ses propres utopies et le germe d'une institution incompatible avec la souveraineté pontificale.

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Après avoir prononcé avec une grande énergie cette phrase, Pie IX s'arrêta un instant comme pour laisser agir l'effet qu'il en attendait; puis

reprenant presque aussitôt le ton de douceur qui caractérise toutes ses allocutions, il continua en ces termes : « Cette vivacité et ces paroles ne s'adressent à aucun de vous, messieurs. Votre éducation sociale, votre probité chrétienne et civile, la loyauté de vos sentiments et la rectitude de vos intentions m'étaient connues depuis le moment où j'ai procédé à votre élection. Ces paroles ne s'adressent pas non plus à la presque totalité de mes sujets, car je suis sûr de leur fidélité et de leur obéissance, et je sais que les cœurs de mes sujets s'unissent au mien dans l'amour de l'ordre et de la concorde. Mais il existe malheureusement quelques personnes (en petit nombre à la vérité, il en existe cependant) qui, n'ayant rien à perdre, aiment le désordre, la révolte, et abusent de mes concessions mêmes. C'est à ceux-là que s'adressent ces paroles; qu'ils en saisissent bien la signifi

cation.

« Dans votre coopération, messieurs, je ne vois qu'un ferme soutien de personnes qui, se dépouillant de tout intérêt privé, travailleront avec moi par leurs conseils au bien public, et qui ne seront pas arrêtées par les vains propos d'hommes inquiets et peu judicieux. Vous m'aiderez avec votre sagesse à trouver ce qui est le plus utile pour la sûreté du trône et pour le véritable bonheur de mes sujets. »

les

Après ce discours, Pie IX admit tous les députés au baisement du pied; puis, se levant pour bénir, il ajouta ces quelques mots : « Maintenant, messieurs, allez avec la bénédiction du ciel, allez commencer vos travaux : qu'ils soient féconds en bons résultats et conformes aux voeux de mon

cœur. >>

Alors les députés sortirent du Quirinal: deux bataillons de la garde civique en grande tenue les attendaient sur la place avec les troupes désignées pour leur servir d'escorte : ils prirent place dans vingt-quatre carrosses de grand gala prêtés par les premières familles patriciennes de Rome, et le cortége se mit en marche à travers des flots de peuple ondulant du Quirinal au Vatican. Toutes les maisons étaient pavoisées, toutes les fenêtres étaient ornées de drapeaux, de bannières aux couleurs de Pie IX et aux armes des légations. Tous les balcons étaient parés de guirlandes de verdure et de couronnes de fleurs. Un détachement de dragons en grand uniforme ouvrait la marche précédant les voitures du cardinal président et du prélat vice-président de la consulte, entourées toutes deux des bannières des quatorze Rionis de Rome. Venaient ensuite les voitures des députés, chacune d'elles précédée d'un trophée aux armes de la province, et de deux étendards, l'un portant le nom de la légation, l'autre celui de son

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