Images de page
PDF
ePub

prenait ainsi la majesté de la représentation constitutionnelle, prouvait qu'il était indigne de la liberté !

Les ministres, restés seuls sur leurs bancs, annoncèrent aux clubistes que, dès le lendemain, ils agiraient par eux-mêmes, et qu'en attendant, le projet de la loi proposée serait imprimé.

En voici le texte :

« Vu les adresses et les manifestations de la capitale et des provinces; vu la note présentée par la junte suprême d'État au ministère et communiquée par celui-ci à la Chambre des députés ;

« Considérant qu'attendu le danger d'une scission entre les provinces et d'une dissolution sociale, et aussi le besoin impérieux de remédier à la détresse des finances, la loi suprême du salut public commande de convoquer la nation pour que, au moyen d'une représentation universelle et munie de tous les pouvoirs, elle manifeste sa volonté et prenne les mesures nécessaires;

<< Sur la proposition des ministres, la Chambre des députés décrète :

« Une assemblée nationale, qui représentera avec plein pouvoir l'État romain, est convoquée à Rome, etc. »

Les ministres intrus de Rome, sans tenir compte aucun de la différence qui existait entre deux peuples, dont l'un, depuis un demi-siècle, par

courait toutes les gammes du régime constitutionnel, et dont l'autre en possédait à peine la clef, calquèrent leur projet de constitution sur le modèle de la loi inaugurée récemment en France par les hommes du National.

La junte suprême d'État et les ministres romains, cherchant tous les moyens de régulariser la situation anormale du pays et d'éviter de nouvelles complications populaires, repoussaient la seule solution raisonnable, la soumission au pape et la possibilité du retour du saint pontife qui, le premier, avant le temps peut-être, avait institué le régime parlementaire et donné le premier essor à la liberté politique. Cette liberté régnait alors si peu à Rome, que pas un seul député, pas un seul journal, n'osèrent proposer cette solution unique qui pouvait mettre un terme à tous les embarras.

En attendant, s'enfonçant de plus en plus dans une série d'illégalités, la junte suprême d'État et le ministère prononcèrent, le 28, la dissolution du parlement romain, dernier simulacre du droit légal qui avait résisté aux désastres de la révolution du 16 novembre. Le ministère et la junte s'arrogeaient le pouvoir de voter désormais, de promulguer et de faire exécuter la loi refusée par la Chambre des députés au sujet de la convocation d'une assemblée constituante. Le lendemain 29, la loi de convocation fut affichée sur tous les murs

de Rome. Ce fut alors que le chef d'une des plus nobles familles de l'Italie, le sénateur prince Corsini, qui, par dévouement seul à l'ordre public, avait cru devoir rester à la tête des affaires et jeter la puissance de son nom au-devant du flot révolutionnaire, donna sa démission de membre de la junte d'État.

Par suite de cette démission, la junte suprême d'État se trouvait incomplète, car ayant été créée par les deux Chambres du parlement, il était nécessaire que la nomination du successeur du prince Corsini fût revêtue de la même formalité rendue impossible par la dissolution des Chambres. Les deux membres restants de la junte et les ministres parèrent à cet inconvénient en prenant le parti d'exercer en commun le pouvoir suprême. Cependant comme ils sentaient eux-mêmes tout ce que cette mesure omnipotente renfermait d'illégalités, ils publierent, à cet effet, une proclamation par laquelle ils disaient que toute légalité qui pourrait manquer était suppléée par la loi suprême du salut public, et que cette loi justifiait tout.

Jamais l'aberration de l'esprit humain ne fut portée si loin que par ces hommes avouant qu'ils violaient les lois, marchaient dans l'anarchie et qui ne songeaient point à faire un seul pas vers celui-là seul qui pouvait préserver le pays de ces

deux fléaux.

D'un autre côté, la municipalité romaine, ne voulant pas se rendre complice, par un silence approbatif, des dernières illégalités ministérielles, se retira, à l'exception de M. Rossi, son secrétaire, en expliquant cette détermination par un ordre du jour motivé.

Quoi qu'il en soit, les nouveaux souverains de Rome, pour célébrer leur œuvre, firent tirer une salve de cent et un coups de canon. Cette joie, purement officielle et ridicule, puisqu'elle ne signalait que l'affichage d'un placard émané d'un pouvoir contestable autant que contesté, rencontra fort peu de sympathie dans le sein des masses. Le peuple, enivré momentanément par les grands mots d'indépendance et de nationalité avec lesquels on avait caressé sa vanité, commençait à comprendre la nullité et la rouerie des jongleurs politiques qui l'avaient joué; cependant il n'osait point encore manifester autrement que par l'inertie sa méprise et ses regrets. Quelques hommes plus vigoureusement trempés, trouvèrent dans leur vertu des inspirations dignes des jours antiques de cette même Rome tombée si bas! Un noble vieillard, le cardinal Tosti, préfet de l'hospice de SaintMichel, fut de ce nombre. Plusieurs membres du cercle populaire, apprenant que les devoirs de sa charge l'avaient retenu à Rome, vinrent le féliciter de n'avoir pas, à l'exemple de ses collègues, quitté

la ville. «Messieurs, leur répondit le vénérable cardinal, vous venez me féliciter de n'avoir point fui. Je refuse vos éloges. Sachez que je n'ai pas plus peur de vous que n'ont eu peur mes vénérables collègues. S'ils ont quitté Rome, s'ils ont suivi le Saint Père dans son exil, ce n'est que par amour et obéissance. De même, si je suis resté dans cet établissement, c'est par obéissance et amour envers la personne de notre Saint Père qui a désiré que je n'abandonnasse point cet établissement où sont abrités tant d'infortunés, l'une des portions les plus chères au cœur du pontife parmi tous ses sujets.

« Du reste, messieurs, je suis Romain et vous ne l'êtes point. Je resterai à Rome sans me laisser épouvanter. Vous pourrez, il est vrai, me frapper d'un coup de poignard, mais en cela que ferezvous? Vous ne ferez que m'enlever deux ou trois années d'existence, car je suis un vieillard, j'ai soixante-douze ans, et je ne vivrai guère plus que très-peu d'années. »

Les révolutionnaires, forcés de plier le genou devant la courageuse franchise du saint vieillard, se retirèrent couverts de confusion; l'un d'eux, même, voyant la différence qui existait entre le crime et la vertu, abandonna l'un pour embrasser l'autre.

On touchait alors au dernier jour de 1848, cette

« PrécédentContinuer »