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de la cour de Gaëte, il poussait le zèle jusqu'à s'en faire l'afficheur public. En effet, il placardait luimême pendant la nuit, sur les murs de la ville, les proclamations et les décrèts pontificaux imprimés secrétement le jour, dans une cave de la rue des Bouteilles obscures.

Tandis que dans cette cave des personnes dévouées à Pie IX, imprimaient et tiraient à un grand nombre d'exemplaires le dernier décret que Lumaca venait d'apporter, les révolutionnaires s'occupaient des préparatifs d'une fête qui devait avoir lieulelendemain, 7 janvier, pour célébrer l'arrivée d'un drapeau que Venise venait d'offrir aux Romains. En effet, le lendemain matin, une espèce de procession, moitié civile et moitié militaire, partant de la place du peuple, se dirigea lentement vers le Capitole. Le général Zamboni et le prince de Piombino ouvraient la marche; l'étendart vénitien porté par un officier venait ensuite; au centre, des choeurs d'hommes exécutaient une hymne, composée par le maestro Magazzari, et mise en musique par un prêtre, nommé Dall Ongaro; six pièces de canon attelées fermaient le cortége qui s'avançait à travers les rues, ornées de tentures et pavoisées de drapeaux. La procession arriva dans cet ordre au Capitole qui devait recevoir, en dépôt, l'étendard vénitien; alors, les troupes se rangèrent en bataille sur la place, et un prêtre nommé Rambaldi,

montant sur le piédestal du cheval de bronze de Marc-Aurèle, devenu la tribune politique de la révolution, prononça un discours de circonstance.

Pendant ce temps, un homme au front large, à l'œil de feu, affichait publiquement, contre une colonne même du Capitole, un placard : cet homme était Vincent Lumaca ; ce placard était le premier exemplaire de la troisième protestation de Pie IX.

A la même heure, plusieurs curés lisaient dans leurs églises paroissiales la protestation papale, affichée simultanément sur plusieurs points de la ville, surtout dans le quartier du Transtévère.

Dès que les menaces du Saint Père, prononcées contre ceux qui prendraient part aux élections de la constituante proclamée par le parti démocratique furent connues dans la ville de Rome, d'une manière certaine, elles produisirent sur tous les esprits un effet inexprimable. Les Romains, fidèles aux lois du Saint-Siége, s'inclinèrent religieusement devant cet acte d'autorité suprême. Les hommes de la révolution en furent attérés, mais l'aveuglement des passions l'emportant chez eux sur la voix de la raison, ils organisèrent pour la soirée, car aux génies du mal il faut l'ombre des ténèbres, une manifestation qui devait surpasser, en impiétés, toutes celles dont Rome depuis si longtemps se trouvait le théâtre.

A sept heures, l'instrument aveugle de Sterbini,

Ciceruacchio, entrepreneur général des émeutes, se met à la tête d'une bande de forcenés ivres de colère et de vin, puis aux cris de : Vive la constituante romaine! à bas les prêtres ! il parcourt les rues arrachant de force tous les chapeaux de tole rouge qui servent d'enseignes aux boutiques de chapeliers. Revenu sur la place du peuple, où l'attendaient de nouveaux auxiliaires, il les range deux à deux en lignes de procession, confie aux mains d'un chef de file une croix voilée de deuil, il fait hisser au bout de longs bâtons les chapeaux rouges volés sur la voie publique et il donne le signal du départ. Alors parodiant les plus saintes cérémonies de la religion, qui sème de larmes les chemins de la douleur, ces hommes s'avancent sur deux rangs; la rage de l'enfer est dans leurs yeux, le blasphême des damnés écume sur leurs lèvres, ils s'acheminent lentement par la rue du Corso; ils suivent sans pâlir le signe de la Rédemption, ce signe devant lequel les anges déchus se retirent épouvantés, et ils chantent l'hymne des funérailles ; ils insultent à la majesté de la mort; ils lui volent ses prières pour les profaner; ils chantent le De profundis, le Miserere, ces deux cris sublimes de pitié et de consolation que cette même religion qu'ils outragent a répandus peut-être hier sur la tombe de leur mère ! Ils chantent, ils s'avancent ainsi ces hommes, à travers le peuple indigné

qui s'efface sur leur route, et ils parviennent jusqu'à la rue Frattina sans qu'une voix ait osé s'élever contre eux pour les flétrir, sans qu'une protestation ait retenti sur leur passage.

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A l'une des extrémités de la rue Frattina se trouve une maison sur la porte de laquelle on voit écrit en grosses lettres ces deux mots : Luogo commodo, c'est là qu'ils s'arrêtèrent. Alors, tandis que l'un d'eux, accompagné de quelques accolytes portant des torches allumées, se dirige vers cette maison pour déposer en des lieux ignobles une copie du décret pontifical, les autres s'agenouillent devant la porte et récitent en faux bourdon le Libera nos, Domine. Ensuite ils attachent à la lanterne, qui sert d'enseigne à cet établissement public, une feuille de papier portant cette espèce d'épitaphe : Deposito della scammunica: tombeau de l'excommunication.

Cette opération terminée, ils reprennent leur marche, toujours précédés de la croix et criant : Illuminez! illuminez! car les étoiles du ciel s'étaient voilées pour ne point voir cette scène infàme. Cette fois, leurs cris se perdirent dans le sentiment de l'indignation publique! pas une fenêtre ne s'ouvrit, pas une lumière ne sortit pour éclairer cette procession monstrueuse : la tourbe impie et sacrilége, isolée dans ses impiétés, poursuivant ses infamies, s'achemina lentement vers le

pont Sixte; là elle murmura de nouvelles prières et elle jeta, dans le Tibre, les chapeaux rouges, regrettant de ne pouvoir faire subir le même sort aux personnages qui seuls avaient le privilége de les porter.

De là, Ciceruacchio et sa bande se portèrent chez monseigneur Canali, patriarche de Constantinople et vice-gérant de Rome, pour l'avertir que terrible serait son châtiment s'il osait publier de nouveau la menace de l'excommunication, mais ne l'ayant pas trouvé à son domicile, le tribun, s'adressant à son domestique, lui dit : « Préviens ton maître que s'il ne fait point déchirer les exemplaires du décret du pape, nous reviendrons le déchirer lui-même. »>

Deux jours avant, Sterbini s'était rendu chez monseigneur Canali, frappé récemment d'une seconde attaque d'apoplexie, et lui avait donné l'ordre de faire porter au ministère l'argenterie, ainsi que les objets de valeurs que possédait son église. Ce vénérable prêtre, surnommé le prélat sans reproche et sans peur, ce vieillard chargé d'années et d'infirmités, était assis dans son grand fauteuil; frémissant à la vue de Sterbini que la voix publique accusait plus que jamais d'être l'assassin moral du comte Rossi, il se leva, fit deux ou trois pas vers lui, et le regardant fixement en face, il s'écria :«< Ainsi donc, c'est moi que tu viens

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