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trouble et de tumulte. Cette fois, ce fut la magistrature municipale qui prit l'initiative par une proclamation signée par le sénateur Corsini et huit conservateurs les Romains, invités à illuminer leurs maisons en signe de réjouissance, pavoisèrent de tentures et d'inscriptions les rues par lesquelles une procession improvisée devait se rendre au Capitole. Le cortége se mit en marche à la lueur des torches et traversa le Corso en répétant les cris accoutumés auxquels furent ajoutés ceux de Vivent les Palermitains! vive la Constitution! gloire à ceux qui meurent pour la patrie! Devant le palais de l'ambassadeur d'Autriche, illuminé cependant comme tous les autres palais diplomatiques, le cortége fit un silence complet et abaissa les torches en signe de deuil; mais arrivé, devant l'église du Gésu qui fait suite au palais de l'ambassade, les vociférations, un instant comprimées, recommencèrent avec une exaltation nouvelle. Parvenue dans cet ordre au Capitole, la multitude se groupa sur les escaliers et sur les monuments voisins. Alors un homme à figure sombre, un réfugié toscan, aux cheveux incultes, à l'œil caverneux, au front pâle, portant une longue barbe grise et un manteau fripé, s'élança sur le cheval de bronze de la statue de Marc Aurèle, et plaça dans les mains de l'empereur un immense drapeau aux trois couleurs (rouge, blanc et vert). On

eût dit le génie de la révolution. Après avoir réclamé le silence et fait taire les applaudissements qui avaient accueilli son ascension périlleuse, cet homme adressa un discours qu'il termina par ces mots Vive Pie IX seul! Vive Pie IX seul! répondit la foule. - Vive la Constitution! vive la Constitution! ce dernier cri causa de l'étonnement et de l'hésitation; quelques voix isolées lui servirent d'écho, mais la masse demeura silencieuse. Cette scène se passait à trente pas de la municipalité romaine.

Quelques jours après, cette comédie burlesque eut sa contre-partie dans la grande cour du Belvédère au Vatican. Tous les bataillons de la garde civique s'y trouvèrent réunis en grande tenue et et au grand complet pour être passés en revue par le souverain pontife. C'était le 20 février. Comme toujours, la vue de Pie IX fut saluée par les plus vives acclamations. Jamais les rangs de la garde nationale n'avaient été plus serrés et plus nombreux, leur ordre de bataille présentait un coup d'oeil imposant. Pie IX en parut charmé; un instant même, un doux sourire, errant sur ses lèvres, dérida son visage et sembla contraster avec la tristesse de son âme. Ce beau jour, éclairé par un brillant soleil, devait avoir de tristes lendemains.

Les nouvelles qui venaient de France faisaient

pressentir de graves événements; Paris, lé Vésuve de l'Europe, indiquait, par des signes certains et menaçants, une prochaine et violente éruption; les laves démocratiques, bouillonnant dans les entrailles de la révolution, imprimaient à la surface de la société, les commotions sourdes qui précèdent toujours les grandes catastrophes; les sociétés secrètes, en attente des événements, se constituaient en permanence, et les conjurés couraient à leur poste, lorsque, le 5 mars, un homme pâle, bouleversé, les yeux hagards et enflammés, Sterbini, se précipitant dans les cafés de Rome, s'écria: Romains, réjouissez-vous, le dernier jour des tyrans est arrivé! la France est républicaine! Il n'était que trop vrai; une amorce de pistolet, un grain de poudre brûlés par un assassin devant le ministère de M. Guizot, à Paris, venait d'incendier l'Europe.

Cette nouvelle fut à Rome un coup de foudre pour les bons citoyens et en même temps un éclair triomphal pour les conjurés. Dès ce moment, arrachant le masque qui voilait leurs sombres figures, ils marchent à découvert. Leur premier acte, est une démonstration en l'honneur de la France révolutionnée. De leur quartier-général, installé au café des Beaux-Arts, ils se dirigent lentement par le Corso, musique en tête, bannières déployées,.. vers la place d'Espagne. Arrivés là, ils se rangent

en colonnes serrées devant le palais Mignanelli, où les Français, résidant à Rome, avaient établi leur cercle, et ils font retentir les airs du cri de: Vive la République française! Ils ignoraient que, dans ce cri de solidarité révolutionnaire, se trouverait bientôt pour eux un arrêt de mort! Quoi qu'il en soit, attirés par ces clameurs, quelques Français paraissent aux fenêtres du cercle, on les salue avec frénésie d'abord, puis on les attire dans la rue là ils deviennent l'objet d'une ovation incroyable; ce sont des pleurs de tendresse entremêlés de cris de rage, ce sont des accolades fraternelles accompagnées de vociférations haineuses, ridicule antithèse à laquelle ne prirent aucune part le plus grand nombre des membres du cercle.

Le lendemain de cette fraternisation improvisée, les quelques Français qui, par sympathie, intérêt ou peur, semblèrent se rallier au nouvel ordre de choses, si l'on peut appeler ordre le chaos dont Paris alors se trouvait le centre, résolurent de rendre le baiser républicain que leur avaient apporté la veille les habitués du café des Beaux-Arts : cette proposition, soumise à la délibération des Français établis à Rome, fut repoussée à l'immense majorité de cent quatre-vingt-quinze voix sur deux cents votes. Les Français se bornèrent à l'envoi d'une lettre de remercîments. Cependant, battus sur ce point, exaspérés par ce premier

échec, les nouveaux républicains recrutant dans les classes les plus infimes, des auxiliaires plus ou moins dignes du nom français, décrétèrent qu'il serait beau de célébrer le triomphe de l'ère républicaine par l'abaissement du drapeau de juillet flottant encore au palais de l'ambassade française ; ils s'apprêtèrent donc à le renverser de leurs propres mains. Instruit à temps de ce fatal projet, le comte Rampon, digne fils du général Rampon, l'une des plus braves épées de l'Empire, se rendit immédiatement chez le comte Rossi, ambassadeur de la France: celui-ci, très-sérieusement occupé sans doute, lui fit dire qu'il ne pouvait le recevoir. « Il faut cependant que je le voie à l'instant même,» répondit notre généreux compatriote. Rossi, persistant dans son refus, <«< Allez, s'écria le comte Rampon en s'adressant à l'un des gens de l'ambassade, allez dire à votre maître que, dussé-je briser les portes de son appartement, j'arriverai jusques à lui; en attendant, au nom de la France, je le rends responsable de chaque minute de retard. » Le domestique revint un instant après, et M. Rampon fut immédiateinent admis auprès de l'ambassadeur qu'il instruisit du sujet de sa démarche. Le comte Rossi se promenait à grands pas dans son salon en froissant dans ses mains les dépêches qu'il venait de recevoir; son visage était livide, ses lèvres étaient

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