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d'une reconnaissance calculée, ils se masquent le front et le cœur, ils se précipitent sous les pas de leur bienfaiteur, ils s'attèlent à son char, ils font de chaque rue un temple, de chaque pavé un autel en l'honneur du généreux Pie IX qu'ils trompent par de perfides démonstrations; et le peuple toujours avide de fêtes, le peuple répond à son appel, il descend sur la place publique, il se couvre de fleurs, il badigeonne de soie, d'or et de velours les murs de ses palais et de ses maisons, il pare les rues sur le passage du pape, il fait retentir les airs de ses acclamations d'amour. Son cœur n'a plus qu'une seule pensée celle de Pie IX, son pied ne connaît plus qu'un seul chemin celui du Quirinal, sa voix n'a plus qu'un seul cri celui de: vive Pie IX! car il ignore que ce cri, franchement parti de son coeur, devient le mot d'ordre des traîtres qui méditent sa perte en complotant celle du Saint-Siège.

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La révolution s'avançait ainsi, d'ovations en ovations, secrète et mystérieuse, dans les rues de Rome, lorsque revint le jour anniversaire de l'élection du saint pontife, Sterbini profita de cette circonstance pour remplacer le Chant de Pie IX par une cantate en l'honneur de la jeune Italie. Cet hymne était énergique et beau, l'éclat de la forme répondait à la richesse de la pensée, la musique que Mazzini lui avait appliquée était

enivrante, il devint plus tard la Marseillaise de Rome (1). Ce nouvel hymne renfermait sous une forme voilée mais transparente, une provocation et presque un cri de guerre, il conviait Rome à secouer son indigne poussière.

Scuoti o Roma, la polvere indegna

Comme tous les peuples qui, baptisés par la gloire, enrichissent leur présent du souvenir d'un passé splendide, les Romains électrisés se rendirent au Quirinal en chantant ces paroles et les strophes identiques qui leur servaient de développement. Le pape attristé refusa de les entendre; mais l'effet était produit...

Les jours qui suivirent, s'écoulèrent dans le calme lourd et morne qui précède les grands orages. En apparence la situation était normale, cependant une inquiétude vague circulait dans la ville. Les fronts étaient sombres, les âmes silencieuses. L'attitude de la population dénotait la défiance et faisait pressentir quelque grave événement.

On touchait alors aux premiers jours du mois de juillet. Les chefs qui, se réglant sur les instructions secrètes de Mazzini, ne laissaient échapper aucune occasion de remuer le peuple, résolu

(1) Voyez les documents historiques. N. 2.

rent de célébrer pompeusement l'anniversaire de l'amnistie un des leurs, homme énergique et décidé, compromis autrefois dans la révolution de 1831, le nommé Antonio Lupi, se mit à la tête des meneurs et activa les préparatifs de la fête.

Tout marchait d'autant mieux au gré de leurs désirs, que les personnages les plus considérables de Rome leur prêtaient de bonne foi le concours de leurs fortunes.

Les choses en étaient là, lorsque, le 5 juillet, le souverain Pontife, cédant aux instantes prières du prince Aldobrandini, promit de décréter, sur de bonnes bases, l'institution de la garde civique.

Pie IX ne fit pas sans quelque répugnance cette nouvelle concession aux exigences de ses sujets, car, dans sa sagesse éclairée, il connaissait les dangers de cette arme à deux tranchants. Il savait que, presque toujours inhabile à sauvegarder le pays contre l'invasion étrangère, la garde civique devenait souvent, dans les mains des perturbateurs, un levier puissant de destruction. De leur côté, les membres des sociétés secrètes comprirent l'importance de cette nouvelle concession et regardèrent dès lors leur partie comme gagnée. Pie IX n'avait point arrêté l'époque de l'organisation de la garde civique; des éventualités imprévues pouvaient faire ajourner la promesse du Saint Père, il importait donc aux projets sinistres des

conspirateurs, d'en rendre la réalisation immédiate; ils décidèrent qu'elle serait instantanée. Alors, exploitant avec habileté l'inquiétude générale qu'ils avaient répandue dans les esprits, ils redoublent l'agitation des masses populaires. Par leurs soins, des affiches provocatrices sont placardées, la nuit, sur les murs de la ville. Les noms les plus vénérés jusqu'alors sont livrés à la suspicion du peuple, les carabiniers parcourant les rues, sont insultés, hués et sifflés; ils sont même assaillis lorsqu'ils cherchent à faire disparaître les placards qui dénoncent comme conspirateurs le cardinal Lambruschini, monseigneur Grassellini, le colonel Freddi, le capitaine Alai des carabiniers, etc., etc., etc. L'autorité est méconnue, la force publique impuissante. Tout à coup, le 14 juillet, le bruit se répand, avec la rapidité de la foudre, qu'une épouvantable conspiration menace Pie IX dans son existence ou dans sa liberté, le peuple dans ses droits et les bienfaits que la main généreuse du pontife a répandus sur lui. Rome se trouve à la veille d'une horrible Saint-Barthélemy, les armes sont prêtes, quelques heures encore, et la cloche du Capitole donnera le signal de l'exécution.... Ces bruits courent de maisons en maisons, de rues en rues, ils roulent sur les ailes de la peur d'une extrémité de la ville à l'autre, ils augmentent à mesure qu'ils s'avancent. Ce n'est

plus une conspiration, c'est un massacre général. Le parti qu'on appelle rétrograde est prêt, les carabiniers, et un grand nombre d'officiers, vont se lever comme un seul homme pour mitrailler le peuple, usurper le pouvoir, créer un gouvernement provisoire et appeler les Autrichiens dans les États, sous le prétexte de comprimer la révolution. Bientôt le cri : Aux armes! se fait entendre, et princes, bourgeois, prolétaires et marchands descendent dans la rue. Les patrouilles s'organisent, les postes se forment, les compagnies se complètent, les bataillons se donnent des chefs provisoires, et tout d'un coup les cadres de la garde civique sont remplis ; il ne leur manque plus que la sanction du chef suprême; Pie IX la leur accordera bientôt en nommant le prince Rospigliosi général en chef, et le duc de Rignano chef d'étatmajor.

Tandis que les véritables conspirateurs triomphaient, plusieurs des personnages désignés à la colère du peuple se cachaient ou s'éloignaient précipitamment de Rome, fuyant la catastrophe dont ils étaient l'innocent prétexte; de nombreuses arrestations s'opéraient sur plusieurs points de la ville, un siége même s'établissait régulièrement contre une gouttière sur laquelle un nommé Minardi s'était réfugié, disait-on.

Les meneurs avaient réussi; mais le bon sens

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