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l'admiration publique a fait une destinée au-dessus de son espérance, mais non pas de son talent, M. de Béranger vint expier à la Cour d'assises la célébrité de ses chansons. La gaieté satirique de ses couplets passa tout entière dans les paroles de son défenseur. Ce n'est pas la première inspiration que Thémis doive aux Muses: Cicéron était poëte en plaidant pour Archias.

La défense récente de MM. Jay et Jouy termine la carrière de M. Dupin. Lorsque les condamnés subissent leur peine, ce n'est pas le moment de parler de la condamnation. Cette sévérité inattendue ne saurait, toutefois, nous rendre injustes envers la Cour qui l'a jugée nécessaire. N'a-t-elle pas, tout récemment encore, noblement revendiqué son indépendance? Pressée des sollicitations du pouvoir, n'en a-t-elle pas repoussé l'injure? La Cour rend des arrêts et non pas des services. C'est une parole parlementaire. Parmi les Molé ou les de Harlai, qui ne voudrait l'avoir prononcée ?..... mais qui voudrait l'avoir entendue ?

Après avoir parcouru les titres nombreux sur lesquels se fondé la réputation de M. Dupin 1, si nous

Il faut ajouter à ceux que nous avons rappelés divers ouvrages, notamment les Lettres sur la profession d'avocat, (Paris, 1818); les Observations sur la Procédure criminelle (Paris, 1822), et un grand nombre de plaidoyers en matière civile, parmi lesquels l'attention publique, ordinairement éloignée de ces affaires, a signalé le plaidoyer pour le chevalier Desgraviers. On le trouvera dans cette collection *. * Choix des OEuvres Oratoires de M. Dupin, 2o partie.

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voulions caractériser son talent, en expliquer l'influence et en définir les limites, nos éloges et nos critiques se résumeraient dans une seule parole : M. Dupin est orateur. Destiné à remuer un auditoire par des moyens rapides et des communications passagères, l'orateur est soumis à des conditions favorables à sa puissance, mais ennemies de sa perfection. L'écrivain s'adresse à des lecteurs; une attention sérieuse lui est promise. Repoussées ou méconnues, ses idées peuvent se reproduire elles appellent du préjugé à l'examen, et du présent à l'avenir. La nécessité d'une victoire actuelle ne leur est pas imposée; elles peuvent ajourner le succès :' le temps et leur propre vérité le leur assurent. Telle n'est pas l'indépendance de l'orateur : il est à la fois le maître et l'esclave de son auditoire; il lui prend ses passions pour l'émouvoir, et ses idées pour le convaincre : c'est sa force et sa faiblesse. Il se soumet à ses erreurs, il se circonscrit dans son ignorance: ses efforts ne peuvent pas attendre; une heure est son avenir.

L'orateur est, auprès de la multitude, l'interprète de la philosophie; il lui apporte ses lumières, il lui explique ses oracles. Les idées, livrées à leur seule influence, ne se répandent qu'avec lenteur. Longtemps ignorées, plus long-temps méconnues, elles sont d'abord le patrimoine privilégié des esprits curieux et méditatifs qui les ont découvertes. Elles Les autres Mémoires de l'auteur, forment déjà treize vol. in - 4o.

s'efforcent de descendre des hauteurs où elles sont nées; elles aspirent à devenir populaires, et à former, même aux dépens de leur pureté primitive, l'opinion publique, cette conviction universelle et irréfléchie, pour qui l'erreur et la vérité sont également des préjugés. La puissance de l'orateur est de hâter cette transmission des idées. Il les reçoit et les communique; il leur donne l'intérêt d'un fait, la vivacité d'une passion, l'autorité d'une croyance. Il fait leur - notoriété, elles font sa force et sa gloire : c'est un échange de bienfaits. Erskine a combattu pour le jury; la victoire a illustré son nom : mais il n'avait pas forgé ses armes; à peine les a-t-il retrempées. Je ne médis pas de la parole, son partage est assez beau: elle ne découvre pas la vérité, mais elle donne la puissance. Comparez le sort de Démosthène et d'Aristote. Les philosophes ont élevé des rois, les orateurs ont gouverné le monde.

L'orateur a son éloquence propre comme elle s'adresse au public, elle a plus de saillie que de profondeur, plus de mouvement que de nouveauté ; elle est convaincue et passionnée : le public ne se donne qu'à ce prix. Tout entière aux intérêts qui l'animent, et à l'émotion qui l'entraîne, elle n'a pas un moment pour les artifices du style et pour cette science de la parole où triomphent les rhéteurs. Elle dédaigne de plaire : que lui importe un succès qui n'est pas une victoire? Ces caractères de l'éloquence oratoire se retrouvent dans les discours de M. Dupin : toutefois, ceux que nous avons rassemblés ne peu

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NOTICE SUR M. DUPIN.

vent en offrir qu'une image incomplète. Tous sont dépouillés du prestige de la parole publique, et de l'intérêt du moment. Il faudrait, pour en comprendre la puissance, retrouver dans une lecture solitaire, les émotions contemporaines qui ont fait palpiter les auditeurs. Quelques-uns même de ces discours ne nous ont été conservés que par une analyse rapide; ce ne sont que les traces d'une brillante carrière : mais ces traces sont fortement empreintes; l'éloquence a passé par-là.

Nous avons réuni aux plaidoyers de M. Dupin ceux qui ont commencé la réputation de son frère 1: la fraternité du talent leur assignait aussi cette place. Rapproché de leur jeune auteur par une amitié plus égale, j'éprouverais quelque pudeur à le louer. Qu'un mot suffise à son éloge: il croît dans la ressemblance de son frère.

S. DUMON, avocat.

A la suite des plaidoyers en matière civile, dans la 2o partie du Choix des OEuvres Oratoires de M. Dupin.

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ME DUPIN fut appelé en consultation chez M. DelacroixFrainville, sur la question d'incompétence qu'il s'agissait d'élever devant le conseil de guerre où M. le maréchal Ney se trouvait alors traduit.

La famille et les amis particuliers du maréchal avaient examiné à part et résolu pour l'affirmative, la convenance du déclinatoire ses suites probables avaient été prises en considération les jurisconsultes n'ont eu à délibérer que sur la question de droit.

Les conseils sont unanimement tombés d'accord que le conseil de guerre était incompétent pour juger le maréchal Ney; mais ils se sont trouvés divisés sur les motifs.

M. Delacroix-Frainville s'appuyait principalement sur ce que la dignité de maréchal de France, qui emportait celle de grand-officier de la couronne, avait, de tout temps, fait attribuer les causes des personnages qui en étaient revêtus, aux juges les plus élevés :

Autrefois, aux parlemens;

Sous l'Empire, à une haute-cour;

Depuis la restauration, à la chambre des pairs.

M. Dupin s'attachait plus particulièrement à la qualité de pair de France, qu'il soutenait n'avoir pas cessé d'exister en la personne de M. le maréchal Ney; pour en conclure que, d'après la charte, il ne pouvait être jugé que par la cour des pairs. Il se fondait aussi sur le caractère de l'accusation, attentat à la sûreté de l'état, sorte de crime dont la connaissance était également réservée par la charte à la chainbre des pairs.

Cette divergence dans les moyens, fit qu'il n'y eut pas de consultation commune.

M. Delacroix rédigea séparément une consultation pour M. le maréchal Ney, sur la question de savoir si les maréchaux de France sont justiciables des conseils de guerre.

Et M. Dupin, de son côté, publia le mémoire intitulé: Question de droit, pour M. le maréchal Ney, sur l'exception Tom. x.

I

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