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d'incompétence tirée particulièrement de la qualité de pair de France à lui conférée par le Roi.

Pendant que le déclinatoire se plaidait devant le conseil de guerre, M. Dupin, qui avait porté ses méditations sur les accusations politiques que tout annonçait devoir se multiplier, consigna dans un petit écrit, ses idées sur la libre défense des accusés.

Cet écrit publié en octobre 1815, parut avoir été composé en vue du procès du maréchal Ney. On put le conjecturer et par la date où il fut publié, et par cette note qui se trouvait à la fin, comme l'idée dernière sur laquelle l'auteur voulait principalement appeler l'attention: « Je ne sais, ( dit-il << en citant La Bruyère), s'il est permis de juger les hommes <«< sur une faute qui est unique, et si un besoin extrême, ou << une violente passion, ou un premier mouvement, tirent à <«< conséquence. » Et il ajoutait : « La peinture représente le grand Condé déchirant une page de sa propre histoire !.... Quelle plus noble preuve qu'on peut faillir une fois, sans cesser d'être un héros ?.... >>

I

Quoi qu'il en soit, nous ne donnerons pas ici cet opuscule, qui n'a pas un trait assez direct à l'affaire du maréchal Ney, et qui d'ailleurs a été réimprimé dans la nouvelle édition des Lettres sur la profession d'avocat.

M. Dupin se vit bientôt appelé à mettre ses préceptes en pratique. Il fut adjoint, en novembre 1815, à la défense du maréchal Ney devant la Cour des pairs où la cause venait d'être renvoyée. La plaidoirie était confiée à M. Berryer père, et M. Dupin était spécialement chargé de la défense écrite 2. Il rédigea, en effet pour la défense du maréchal, différens écrits dont les principaux ont pour titre :

1° QUESTION PRÉJUDICIELLE, sur la nécessité de régler préalablement par une loi, la compétence attribuée à la chambre des pairs par l'article 33 de la Charte, et la procédure à suivre devant cette Cour.

Le peuple romain jugea ainsi dans le procès d'Horace, qui, après avoir sauvé Rome, fut accusé d'avoir tué sa sœur. Citavere leges nefas: sed abstulit virtus parricidam; et facinus intrà gloriam` fuit. L. Florus, lib. 1. cap. 3. Pelisson, dit aussi dans son premier discours au roi : « Les belles actions doivent quelquefois cou« vrir les mauvaises, le mérite excepter de la peine, et la gloire em« porter le crime. »

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2 Les auteurs de la Biographie des hommes vivans, imprimée chez Michaut en 1816, se trompent lorsqu'ils attribuent à M. Berryer une coopération quelconque à la rédaction de ces mémoires. Livré tout entier à la préparation de sa plaidoirie pour laquelle il n'avait que très- peu de temps, M. Berryer ne s'est mêlé en rien

de la défense écrite.

2° QUESTIONS sur la manière d'opiner dans l'affaire du maréchal Ney. On y démontre l'inconvénient et le danger qu'il y aurait à faire dépendre la condamnation, de la simple majorité d'une voix. La Cour a, en effet, admis que les cinq huitièmes des voix seraient nécessaires pour condamner. Cette résolution a fait le salut de plusieurs accusés, dans d'autres affaires.

3o Effets de la convention militaire du 3 juillet 1815, et du traité du 20 novembre 1815, relativement à l'accusation de M. le maréchal Ney.

4o Une lettre à lord Wellington, généralissime des alliés au jour où la convention fut signée; et une autre lettre à sir Charles Stuart, ambassadeur d'Angleterre à Paris; pour les adjurer de donner leur témoignage, sur les intentions qui avaient présidé à la rédaction de cette convention.

5o Différentes requétes où les moyens de défense du maréchal, sont précisés et réduits en conclusions 1.

Quoique M. Dupin n'eût pas dû se préparer à plaider, cependant il fut obligé de prendre quelquefois la parole à l'occasion de plusieurs questions préjudicielles, qui s'élevèrent avec M. le procureur-général Bellart; et c'est dans une de ces courtes et vives répliques, que réclamant contre la précipitation avec laquelle on pressait le jugement, ( le procureur-général voulait écarter des débats tous les antécédens qui pouvaient expliquer la conduite du maréchal au 14 mars, ou écarter du moins toute idée de préméditation;) il prononça cette brillante apostrophe, qui excita un mouvement. général dans l'assemblée : « Accusateur, vous voulez placer << sa tête sous la foudre; et nous, nous voulons montrer << comment l'orage s'est formé ? ! »

Ces essais ayant obtenu l'approbation de M. le maréchal, l'illustre accusé désira que M. Dupin continuât de prendre part à la défense orale, et d'unir ses efforts à ceux de son confrère M. Berryer.

En effet, il prit une part active aux débats et à l'interrogation des témoins....

I

Il était convenu qu'il répliquerait à M. le procureur-gé

Presque toutes ces pièces ont été recueillies et imprimées dans l'Histoire du procès du maréchal Ney, (2 vol. in-8°), par Évariste Dumoulin, qui est la plus complète et la plus impartiale. On les trouve aussi en partie, dans la relation de ce même procès, par Michaud.

2 C'est dans l'instant où l'orateur prononce cette phrase, qu'Horace Vernet a saisi le défenseur du maréchal Ney dans le portrait admiré des connaisseurs, qui a fait partie de l'exposition de ce peintre célèbre, en 1822. (Voyez l'ouvrage intitulé Salon d'Horace Vernet, par MM. Jouy et Jay, pag. 59.)

néral sur le fonds; et il avait jeté par écrit le plan de cette réplique, pour la soumettre à M. le maréchal, qui en avait surtout approuvé la marche vive et rapide.... Mais M Berryer ayant été interrompu dans le développement de sa première plaidoierie, la replique projetée n'eut pas lien, et M. Dupin ne put faire usage de ses notes. Elles ont été imprimées dans l'histoire du procès par Dumoulin, sous le titre de Considérations sommaires sur l'affaire de M. le maréchal Ney.

Nous reproduisons ici ce morceau, qui, s'il n'est pas la plaidoierie même, peut du moins faire pressentir ce qu'elle eût été.

Nous y joignons la troisième requête, jusqu'à présent restée inédite, et dont les conclusions ont servi de base aux plaidoieries sur les questions préjudicieiles.

Nous donnons aussi deux des mémoires publiés par M. Dupin, parce que les questions de droit public qui y sont agitées, et les recherches profondes qu'ils contiennent, malgré le peu de temps que l'auteur eut pour les rédiger, offriront toujours de l'intérêt.

Pour tout le reste, on peut consulter les relations que nous avons déjà indiquées 1.

Des gens peu instruits des faits ont regretté que M. Dupin eût fait valoir pour son client, le traité du 20 novembre, qui a séparé Sarre-Louis de la France.... Ils ne savaient pas que ce moyen qui ne devait, dans tous les cas, être présenté qu'à la dernière extrémité, devait amener l'éloquente protestation du maréchal. On peut lire l'anecdote curieuse rapportée à ce sujet, dans la Galerie historique des contemporains, imprimée à Bruxelles, article Ney.

Nous ne dirons rien de l'issue de ce procès '. Un fait historique aussi important est resté gravé dans tous les souvenirs. Nous remarquerons seulement que M. de Lally-Tollendal, dans ses Observations sur la déclaration de plusieurs pairs, publiée dans le Moniteur du 27 novembre 1821, a dit, en parlant de ce jugement, la douloureuse condamnation du maréchal Ney.

Celles de Dumoulin et de Michaud. Il y en a encore une troisième imprimée chez Planchet. Feu M. Gamot, ancien préfet, beau-frère de M. le maréchal Ney, a laissé sur ce procès des notes et des documens très-curieux.

2 L'arrêt entier est dans le récit de Dumoulin avec le vote individuel de chaque pair. Il faut y joindre l'anecdote extraite d'un article nécrologique sur le général Colaud, inséré dans la Renommée du 7 décembre 1819.

QUESTION DE DROIT

POUR

M. LE MARÉCHAL NEY,

SUR L'EXCEPTION D'INCOMPÉTENCE,

TIRÉE PARTICULIÈREMENT DE LA QUALITÉ DE PAIR DE FRANCE, A LUI CONFÉRÉE PAR LE ROI.

L'AFFAIRE de M. le maréchal Ney présente la question de savoir s'il peut être justiciable d'un conseil de guerre, et s'il n'est pas au contraire fondé à demander son renvoi à la chambre des pairs, pour être jugé conformément à la Charte constitutionnelle.

Depuis la promulgation de la Charte, aucune question de ce genre n'a encore été soumise à l'appréciation des jurisconsultes et des tribunaux. Sous ce rapport, la question peut paraître neuve.

Mais, à défaut d'exemples récens qui puissent nous guider dans son examen, nous trouvons dans les fastes de notre histoire des lumières qui jetteront le plus grand jour sur la solution.

Cette marche a paru d'autant plus naturelle, qu'elle s'accorde parfaitement avec l'esprit de la Charte.

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En effet, dans le préambule où sa Majesté daigne nous expliquer ses intentions paternelles, on trouve ces paroles royales : « Nous avons cherché les principes de la Charte constitutionnelle dans le carac«tère français, et dans les monumens vénérables « des siècles passés. Ainsi nous avons vu dans le re« nouvellement de la pairie une institution vraiment <«< nationale, et qui doit lier tous les souvenirs à <«< toutes les espérances, en réunissant les temps an« ciens et les temps modernes. »

Or, si les principes n'ont pas changé, les conséquences restent nécessairement les mêmes; et ce qu'on jugeait autrefois dans les causes intéressant les pairs, on devra le juger encore aujourd'hui.

On décidera, par conséquent, que le maréchal Ney ayant été créé pair de France par le Roi, ne peut être jugé que par la chambre des pairs.

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La preuve de cette proposition sera séparée en deux parties.

Dans la première, nous rapporterons les monumens historiques qui établissent qu'autrefois un pair ne pouvait être jugé que par la cour des pairs, et` non par des commissaires ou autres juges délégués.

Dans la seconde, nous démontrerons, par analogie de principes et de conséquences, que le maréchal Ney doit être jugé par la chambre des pairs, et non par un conseil de guerre.

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