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L'ERMITE EN PROVINCE.

M. JOUY (DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE).

31 juillet 1820.

M. Joux, membre de l'Académie française, l'un de nos littérateurs les plus distingués et comme poëte et comine prosateur, auteur de plusieurs tragédies du premier ordre, et du charmant ouvrage intitulé l'Ermite de la Chausséed'Antin, fut traduit le 31 juillet 1820, devant la cour d'assises alors investie, à l'exclusion du tribunal correctionnel, du droit de juger les délits de la presse.

Il était accusé de diffamation envers la municipalité et la ville de Toulon, pour avoir, dans un de ses ouvrages intitulé l'Ermite en province, contesté la justesse de cette inscription: FIDÉLITÉ DE 1793, qu'il avait remarquée sur la façade de la Maison Commune de Toulon. Le bon ermite avait, à ce sujet, fait la réflexion suivante : « Comme la ville << de Toulon, le port et tout ce qu'ils renfermaient furent li« vrés en même temps aux Anglais et aux Espagnols, on ne << sait si c'est à l'Angleterre ou à l'Espagne, que ces messieurs « furent fidèles : ce ne fut pas du moins à la France; aussi << cette inscription ne réjouit-elle que les étrangers..... >>

L'accusation fut soutenue vivement par M. l'avocat-général de Vatisménil.

M. Jouy fut défendu par Me Dupin, et acquitté par la cour, sur la déclaration du jury.

La

censure existait à cette époque dans toute sa fleur; et

comme, en permettant à tous les journaux de reproduire l'accusation, elle n'avait laissé à aucun la liberté de faire connaître la défense de M. Jouy, celui-ci fit imprimer le récit de son procès et le plaidoyer de son avocat, sous ce titre : la Municipalité de Toulon et l'Ermite en province, PROCÈS; avec cette épigraphe qui exprimait la pensée fondamentale de la défense: «< Non, jamais, dans aucun temps, dans aucune circonstance, sous aucun prétexte, l'action de livrer une << ville française à l'ennemi, n'a pu être considérée comme un << acte de fidélité. »

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Ce Procès est précédé d'une préface où M. de Jouy se plaint avec amertume de l'injuste et cruelle oppression de la censure. Il va même jusqu'à signaler lès censeurs par leurs propres noms, afin, dit-il, que l'on sache que ces choses se sont passées, l'an de gráce 1820, sous l'empire d'une loi suspensive de la liberté de la presse : les sieurs (tels et tels) étant censeurs !!

On trouve à la fin le discours que M. Jouy prononça même en cette occasion.

lui

PLAIDOYER

POUR M. JOUY,

DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE,

PRONONCÉ

DEVANT LA COUR D'ASSISES DE PARIS, LE 31 JUILLET 1820.

MESSIEURS

ESSIEURS LES JURÉS,

Voici encore un procès fâcheux, qui, sans utilité pour la chose publique, et sans avoir pour cause réelle la poursuite et la répression d'un délit véritable, n'est qu'un cadre destiné à faire ressortir la vanité des plaignans, en leur fournissant l'occasion, qu'ils ont avidement saisie, de faire parler d'eux, et d'exalter leur fidélité passée, en vue de l'avantage présent qu'ils espèrent sans doute en retirer.

Combien il est imprudent de soulever, en présence de la justice, ces sortes de questions, où l'on ne peut déclarer fidèle une partie de la France, sans accuser

l'autre de rébellion! où l'on ne peut satisfaire quelques amours-propres, qu'avec la certitude d'en blesser profondément un plus grand nombre! où l'on est sûr enfin de réveiller les haines, les oppositions, les animosités, les partis!....

ries

Vous pensez bien, Messieurs, que je ne discuterai pas la question dans les termes où l'ont posée messieurs les municipaux de Toulon : le procès ne consiste pas, comme ils l'ont complaisamment prétendu, à savoir si la ville de Toulon est digne ou indigne des armoique le roi a daigné lui concéder. Mais il s'agit de savoir si une inscription, exposée aux regards des nationaux et des étrangers, dans une ville que son port met en relation avec les quatre parties du monde; une inscription qui se rattache à une époque historique déjà loin de nous, et diversement appréciée par les écrivains de différens partis; si cette inscription, dis-je, a pu devenir l'objet d'observations critiques qui avaient pour but de prémunir les contemporains et la postérité contre cette idée, que la fidélité française ait pu jamais consister à livrer le sein de la patrie aux regards et aux insultes de l'étranger, et à confier le plus vaste de nos ports, la plus belle de nos escadres, et nos établissemens maritimes les plus importans, à qui?.... à un amiral anglais !

La question de fidélité aux Bourbons est étrangère à ce procès. A Dieu ne plaise que j'ôte rien à ce que cette fidélité eut de louable en tout temps, et de généreux à l'époque désastreuse dont nous parlons. Si l'inscription rappelait la réception d'un prince français dans les murs de Toulon, cette ville n'aurait eu

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à déplorer ni de sanglantes réactions, ni la perte de sa marine, ni l'incendie de ses arsenaux...... Mais la question est tout entière entre la France et l'étran

que

ger : elle consiste à savoir si l'action de livrer une place quelconque, et surtout une place de guerre, aux ennemis de son pays, peut, dans aucun cas, dans aucun temps, et sous quelque prétexte ou couleur ce soit, être revendiquée comme une preuve de fidélité? Pour apprécier l'accusation portée contre M. de Jouy, il faut d'abord considérer que l'occupation de Toulon par les Anglais est un fait, un fait constant, un fait devenu historique. Il convient aussi de voir comment ce fait a été transmis à notre connaissance, en quels termes et sous quelles couleurs il a été présenté par les divers écrivains des divers partis. — Il deviendra facile ensuite de décider si la manière dont M.Jouy a parlé, après eux, de ce même événement, est répréhensible, et constitue le délit de diffamation dont il est accusé.

-

Je ne rechercherai pas les causes qui, en 1793, déterminèrent à recevoir les Anglais et les Espagnols dans l'enceinte de Toulon. Que ce soit la haine de la Convention, ou l'amour de la légitimité, ou ces deux sentimens réunis; la crainte des réactions, ou l'envie d'en exercer à son tour; la famine qui désolait alors le pays, ou le résultat d'insinuations étrangères; peu importe, je ne m'attache qu'au fait.

.... A l'époque dont nous parlons, les flottes anglaise et espagnole étaient en vue du port de Toulon. Un parti se déclare dans la ville; on parle d'y introduire les étrangers, et de se placer sous leur protection.

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