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de même prouvé à M. de Pradt que son livre était dangereux ?

On le prouva à Fénélon, et qui le lui prouva? Rome, qui, dit-on, est infaillible; mais ici, qu'il nous soit permis de dire que le ministère public ne l'est

pas.

Comme archevêque, ajoute-t-on, M. de Pradt devait du moins connaître le précepte qui prescrit d'obéir aux puissances établies. Oui certes, il le connaît ce précepte. Il le connaît, il sait l'observer.

C'est parce qu'il est soumis aux puissances établies, qu'il ne sépare point l'amour du Roi de l'amour de la Charte. C'est parce qu'il est soumis au gouvernement établi, qu'il a pris soin d'avertir ce gouvernement que son existence était liée à l'exécution du pacte fondamental.

En effet, Messieurs, reportons nos regards sur le sort de tous les gouvernemens dont l'histoire nous raconte la chute, ou qui sont tombés sous nos yeux. Aucun d'eux n'a pu survivre à la corruption du principe sur lequel il avait été établi. Les constitutions sont les colonnes sur lesquelles s'appuient les gouvernemens; on ne peut les ébranler sans qu'aussitôt l'édifice entier ne menace ruine.

C'est pour eux le tison de Méléagre, ils se consument et s'éteignent avec lui.....

PROCÈS DU MIROIR.

MM. JOUY, ARNAULT, DUPATY, GOSSE, etc.

Jugement du 18 mai 1821.

U

Au milieu d'un grand nombre de poursuites pour délits de la presse, le procès du Miroir a une physionomie toute particulière.

Ses rédacteurs n'étaient pas accusés d'avoir commis un délit, soit d'offenses, soit d'attaques, etc., etc.: ils étaient seulement prévenus de contraventions aux lois de la censure.

Comme journal des spectacles, des mœurs et des arts, les rédacteurs avaient pensé qu'ils étaient exempts de la censure à laquelle les lois d'exception n'assujétissaient que les écrits périodiques consacrés en tout ou en partie à la politique.

Mais le ministère public soutenait qu'ils n'en étaient pas moins sujets à l'empire de ces lois, parce que si leur journal n'était pas entièrement ni ouvertement consacré à la politique, ils se servaient habituellement d'allusions, d'apologues et de tournures sous lesquelles ils parvenaient à communiquer à leurs lecteurs des nouvelles ou des idées politiques.

Le ministère public, pour mieux caractériser leur genre de malice, leur reprochait le fréquent emploi qu'ils faisaient du sarcasme politique.

Ainsi toute la cause consistait en interprétations, à l'aide desquelles l'accusation s'efforçait de transformer en articles

Tom. x.

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politiques, des rédactions que les prévenus soutenaient n'avoir point ce caractère.

La cause fut des plus gaies. Les prévenus furent acquittés cum plausu, en première instance et sur l'appel..

Nous n'offrons ici qu'une analyse du plaidoyer de Ma Dupin, en exprimant à cette occasion les regrets de l'éditeur du Procès du Miroir, brochure in-8° publiée aussitôt après le jugement.:

<< Tels sont en abrégé les moyens de défense présentés par Me Dupin aux juges de MM. Jouy, Arnault, Dupaty, Gosse et Cauchois-Lemaire; nous aurions voulu rapporter à nos lecteurs dans son entier, cette improvisation que la rapidité du débit de l'orateur nous a empêché d'écrire littéralement sous sa dictée; nous n'avons pu en saisir que la physionomie, encore en avons-nous involontairement altéré quelques-uns des traits principaux, en leur ôtant le caractère original qu'ils empruntaient de l'expression piquante que leur prêtait le célèbre avocat. Notre analyse donnera cependant une idée de cette plaidoirie remarquable, où Me Dupin s'est montré tour à tour argumentateur habile, dissertateur profond, orateur éloquent, et Français dans toutes les acceptions de ce mot, c'est-à-dire généreux envers sa partie adverse, grave et spirituel à la fois, et toujours animé des plus nobles sentimens. »

m

PLAIDOYER

POUR

LES RÉDACTEURS DU MIROIR,

MESSIEU

ESSIEURS,

Le réquisitoire du ministère public vient de nous révéler l'intention et le but de l'accusation : la censure veut étendre son empire; : -+isfaite de la domination que les lois d'exception lui ont accordée sur tous les journaux consacrés à la politique, elle voit, avec un œil d'envie, la liberté laissée aux journaux plus spécialement réservés à la littérature

et aux arts.

Si les rédacteurs du Miroir des Spectacles avaient voulu se soumettre humblement et sans combat au visa censorial, ils eussent aisément échappé aux poursuites dont ils sont devenus l'objet : mais ils s'y sont hautement refusés; ils ont le noble orgueil de croire encore à la république des lettres; et ils préféreraient, sans balancer, la mort...... de leur journal, au despotisme d'un censeur.

provoque

(La suspension de sens, comprise dans cette phrase, dans l'assemblée un rire général. Me Dupin fait remarquer que l'accusation est tellement ridicule, qu'il n'est pas surpris de voir qu'elle excite le rire.

M. le président observe que cette conduite des auditeurs n'en est pas moins inconvenante. -Aussi, dit Me Dupin, je proteste hautement contre toute marque d'approbation qui serait donnée à mes discours; et je crois d'autant plus nécessaire de m'en expliquer, que la malveillance de certains journaux ne manque jamais d'imputer les accidens d'audience à une prétendue conformité d'opinion entre le public et les prévenus.)

L'orateur reprend :

Avant tout, Messieurs, il faut bien se fixer sur le caractère de l'accusation. Les articles qui vous sont dénoncés, n'ont rien de coupable en soi : sans cela, et si, par exemple, ils renfermaient une provocation à la révolte, une attaque contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres, ou enfin quelque chose de tant soit peu séditieux, ils seraient l'objet d'un autre genre de procès. Pourquoi ces articles, bien que reconnus innocens, sont-ils donc attaqués? C'est, dit-on, parce qu'ils ont trait à la politique; or, il n'est pas permis de parler de politique sans la permission de la censure... Nous voyons donc ici,

Ce qui fut blanc au fond, rendu noir par la forme.

Il ne s'agit ni d'un crime, ni d'un délit; mais simplement d'une contravention aux lois de la censure.

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