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présence de l'héroïsme et du malheur; il fit un appel à la générosité française : cet appel fut entendu. La défense fut libre et populaire; mais ce fut son unique succès les trois Anglais furent condamnés. Les lois l'exigeaient, sans doute. Peut-être un jury anglais n'en eût pas été effrayé la souveraineté de ses verdicts commande quelquefois aux lois mêmes. Tous excusent, tous honorent ces mensonges de l'humanité : l'oracle de leur jurisprudence les a nommés de pieux parjures 1.

Un Anglais célèbre fournit bientôt à M. Dupin l'occasion de donner une revanche à la malice française. Un coup de pistolet fut tiré sur la voiture de lord Wellington: les perquisitions les plus exactes ne purent faire retrouver la balle2. Il était injurieux de penser que ce noble personnage eût été l'objet d'une espiéglerie innocente, ou le héros d'une intrigue coupable: il était de son importance et de son honneur qu'il eût été assassiné. Après quinze mois d'une procédure inutile, deux hommes parurent devant la Cour d'assises, absous avant d'avoir été entendus. Ce n'était point un débat : l'accusation demandait grâce; les accusés n'avaient pas besoin d'être défendus, mais vengés. Cette vengeance fut douce, des sarcasmes en firent les frais. C'était le temps où l'armée d'occupa

'Horace a dit dans le même sens : splendidè mendax.

* On croyait que la balle avait passé sous la voiture ; c'eût été tirer bien bas : et c'est ce qui fit dire à M. Dupin, pendant le débat, le général Wellington n'est pas un Achille que Con dút viser au talon.

tion évacuait notre territoire. M. Dupin reconduisit son général avec des épigrammes. On ne pouvait commenter plus gaiement le mot de Henri IV: Adieu, Messieurs; mais n'y revenez plus!

Des jours plus doux luisaient alors sur la France. Les erreurs se réparaient, les sévérités étaient adoucies. Le dernier des proscrits de 1815, le duc de Rovigo, errant depuis long-temps en Europe, trompa la surveillance diplomatique qui l'exilait loin de ses juges il entra de surprise dans sa prison. Il parut devant les tribunaux. Le défenseur du premier nom inscrit sur la liste du 14 juillet, défendit aussi le dernier. Mais si c'était la même accusation, ce ne fut pas le même jugement. Condamné à mort à l'unanimité par un conseil de guerre en 1815, le duc de Rovigo fut unanimement acquitté par un conseil de guerre en 1819.

Après avoir défendu l'honneur des vivans, M. Dupin eut encore à venger la mémoire des morts. Le maréchal Brune était tombé sous les coups d'un rassemblement populaire. Ses meurtriers cherchèrent un prétexte à l'impunité que ne leur assurait que trop la stupeur publique : ils accusèrent Brune de suicide, et placèrent ainsi l'assassinat sous la sauve-garde de la calomnie. L'indignation de sa veuve fut long-temps stérile; la justice refusait d'accueillir des plaintes qu'elle ne pouvait satisfaire, et de donner en spectacle son impuissance. En 1819, M. de Serre déchira

M. Dupin le surnomma plaisamment Agamemnon, par allusion à l'alliage des forces qu'il commandait.

le voile qui couvrait tant de crimes et de faiblesse. Cette accusation du passé était une garantie pour l'avenir la maréchale Brune fit entendre au pied du trône les accens d'une éloquente douleur. Après une longue impunité, une instruction fut commencée; un coupable obscur y fut seul compris, et n'eut pas besoin de fuir pour se dérober au supplice. Un grand acte de justice n'en fut pas moins accompli; l'esprit de parti fut obligé de reconnaître une de ses victimes, et d'avouer une de ses fureurs. Le défenseur du maréchal Ney plaida pour le maréchal Brune, attachant ainsi glorieusement son nom à l'infortune de l'un, et à la vengeance tardive offerte aux mânes de l'autre.

Ainsi disparaissaient les derniers vestiges de nos discordes récentes. Rendue à des temps plus calmes et à des soins plus heureux, la France poursuivait avec ardeur la pacifique conquête de ses libertés. La première de toutes, la liberté de la presse, dut rencontrer bien des obstacles; mais ces obstacles étaient utiles en ralentissant sa marche, ils régularisaient ses progrès. Souvent traduite devant les tribunaux, la liberté de la presse eut besoin de revendiquer ses droits et de produire ses titres. Le barreau se peupla pour elle de défenseurs : à leur tête se place M. Dupin. Jettons un coup d'œil sur cette partie de ses travaux.

Dans l'affaire de Lyon, en traçant le tableau des malheurs qui avaient désolé cette belle contrée, il retrouva l'indignation, et quelquefois aussi l'éloquence qui foudroya les supplices de Verrès. Dans l'affaire du professeur Bavoux, adoptant l'usage du barreau an

glais, il plaça la discussion dans le débat; et le plaidoyer, inutile à une cause déjà gagnée, ne fut plus, pour ainsi dire, que la proclamation anticipée de la victoire. Le plaidoyer pour Me Mérilhou, l'un des signataires de la souscription nationale, se recommande aux membres d'un Ordre plus attaché à sa discipline qu'à son indépendance, plus fier de ses devoirs que de ses droits. C'est le portrait de l'avocat dans toute sa noblesse; c'est celui du défenseur ou du client. La défense de M. Jouy présentait un écueil redoutable. Il avait dénoncé ceux qui, en 1793, livrèrent Toulon aux Anglais : la mairie de Toulon réclamant l'offense pour elle, et en poursuivant la réparation, colora la trahison du prétexte ou de l'excuse de la fidélité. M. Dupin justifia avec beaucoup d'adresse l'indignation de son client; il mit la légitimité hors de cause, et ne plaida que contre l'étranger, conciliant ainsi les souvenirs de l'émigration et les droits de la France. Le banc des accusés, ennobli par un académicien, fut bientôt sanctifié par un archevêque, M. de Pradt fut traduit à la Cour d'assises. Une accusation ingénieuse (triste éloge pour une accusation!) avait trouvé dans un de ses ouvrages ce qu'elle appelait des provocations coupables. Elle s'étayait sur des citations isolées, des passages mutilés, des rapprochemens moins naturels qu'habiles, des intentions désavouées avec énergie. C'était le système interprétatif avec ses armes accoutumées; la raison le combattit avec toute sa puissance. Cette fois, du moins, il fut vaincu.

La défense du Miroir exigeait des accens moins graves. Appelé à une réfutation légère et moqueuse d'une accusation qu'il fallait châtier plus encore que combattre, M. Dupin n'avait qu'à suivre une des prédilections de son esprit. La censure pesait sur les journaux politiques; les journaux littéraires avaient été épargnés de vieilles idées sur la frivolité de la littérature lui avaient valu cette indulgence dédaigneuse. C'était méconnaître son importance. Mobile et perfectible comme la société dont elle réfléchit l'image, elle reproduit tour à tour les passions et les idées qui règnent dans le siècle qu'elle embellit. Poétique sous Louis XIV, elle apporta ses pompes en tribut à ses fêtes. Railleuse et sceptique sous Louis XV, elle devint l'instrument d'une philosophie qui prenait le doute pour la profondeur, et se croyait supérieure parce qu'elle était indifférente. Elle est politique de nos jours; elle l'est à son insu, et souvent malgré elle. Il ne lui suffirait pas de s'isoler des préoccupations qui nous assiégent; les besoins et l'inquiétude de notre esprit l'y ramèneraient sans cesse : pourraitelle échapper aux allusions? Les allusions étaient le crime du Miroir. S'il était coupable, ses lecteurs étaient ses complices; fallait-il punir un délit universel? Les juges n'hésitèrent pas à l'absoudre, heureux peut-être que les auteurs de tant d'épigrammes fissent plaider qu'elles étaient innocentes : plus heureux ceux qu'elles avaient blessés, s'ils avaient pu le croire!

Le procès des refrains séditieux suivit de près celui des allusions politiques. Un homme, à qui

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