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des principaux foyers de la corporation des voleurs.

2. BARAGOUIN

Ce terme désigne l'argot en français, au XVI° siècle, et Cotgrave accompagne de cet appellatif les mots de pareille origine (p. ex. entrever, to understand. Barrag.). Du français, ou plutôt de la forme dialectale bargouin, dérive le hollandais bargoensch, argot des merciers.

En français, on rencontre le mot dans une lettre de grâce de 1391 (v. Littré), où il paraît avoir le même sens que baragouineux dans Molière (Fourb. de Scapin, III, 2 Ah! peste soit du baragouineux!) ou que baragouin du patois de l'Yonne : celui qui parle entre ses dents, d'une manière inintelligible et en contrefaisant sa voix 1. La confusion a passé de la personne qui parle à ce qu'elle dit, d'où l'acception de langage inintelligible, familière au français à partir du xvr° siècle.

3. BLESQUIN

La Vie Genereuse, de 1596, est accompagnée d'un dictionnaire en langage blesquin ou blesquien

1. Ce sens se trouve également indiqué chez d'Hautel (Dictionnaire du bas-langage, 1810): « On dit aussi baragouin par sobriquet d'un homme qui se hâte trop en parlant, ou dont les idées et les paroles sont confuses et obscures : c'est un vrai baragouin. »

avec l'explication en vulgaire. Cette épithète dérive de blesque, forme normanno-picarde de blesche, mercier, propr. sot, niais, ou qui se prétend tel pour mieux attraper les autres. C'est ainsi que arguche signifie à la fois argot et niais, (Milan zergon, scaltrito, furbo), répondant à mourmé, l'argot savoyard, rapproché du genevois mourme, stupide.

Blesquin répond d'ailleurs exactement à jobelin, son synonyme : le Jargon ou Jobelin du Maistre François Villon (1489), et dans une farce contemporaine (Ancien Théâtre, II, 399) :

Je n'entens point son jobelin ;
Parle il françoys ou latin?

Le sens primordial en est également niais (anc. fr. jobe, jobelin, niais, dupe), comme c'est aussi le sens probable de son autre synonyme bigorne : « Les Archisupposts de l'Argot qui enseignent le jargon à rouscailler bigorne », lit-on dans le Jargon de 1628 (p. 24). Le provençal bigorno signifie de même: sot, stupide.

4. NARQUOIS

Autre nom de l'argot au XVIIe siècle (Oudin, 1640 Parler narquois, parler le langage des gueux), ce terme désigne spécialement le parler

L'Argot ancien.

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de la soldatesque argotique, appelée narquois, ou drille. Parmi les poésies gaillardes du capitaine Lasphrise (1597), figure un « Sonnet en authentique langage soudardant », l'équivalent français de narquois.

Une appellation contemporaine, plutôt bizarre, pour argot, est ARTIS (Trippault, Celthellenisme, 1581, p. 27: Artis, langage des matois et jargon, pour aptos) ou arty, id. (Les Avantures d'Italie de M. d'Assoucy, 1677, p. 255: Ce langage de l'Arty, qui n'est commun qu'à ceux qui entriment sur le Ligourt et le passe Ligourt). Le mot signifie << pain » et il désigne le parler des gens qui appellent le pain artie.

5. ARGOT

C'est un des termes que le langage des voleurs a fourni au français littéraire, où il a acquis un sens nouveau. En effet, argot signifie originairement métier ou ordre des voleurs, d'où argotier, voleur, et argoter, mendier. Les gueux étaient les compagnons de l'argot (Oudin). Voici quelques exemples caractéristiques de ce sens primordial :

Jargon, 1628, p. 9: Ordre ou hierarchie de l'Argot;

Ibid., p. 35: Les Cagous emmenent leurs apprentifs pour les apprendre et exercer en l'Argot, et premierement leur enseignent à aquiger de l'amadoüe de plusieurs sortes..., à faire dix mille tours... ;

Ibid., p. 34: Pour estre parfait argotier, il faut sçavoir le jargon des Blesches ou Merciers, la truche comme les Gueux et la subtilité des Coupeurs de bourse ;

Ibid., p. 4: Lequel mestier s'appelle trucher ou argoter le plus franc, le plus aizé à apprendre...

En français, argot a désigné dès le début le langage des voleurs, ce qu'eux-mêmes appelaient le plus souvent jargon. La plus ancienne trace de cette acception purement française se trouve dans le Dictionnaire de Furetière (1690: Argot, le jargon des coupeurs de bourse et des bohémiens) et dans la préface de la comédie des Empiriques (1698): « Je me garderai bien, dit l'auteur, en parlant du provençal, de me donner le ridicule de prôner au milieu de Paris les charmes d'un langage qu'on traite d'un jargon aussi méprisable que l'argot », qu'il explique en note: «Jargon des gueux. On n'a pas tant de tort, presque tous les Gascons le sont. » Le Dictionnaire de l'Académie enregistre, à partir de 1740: Argot, langage des gueux; et Leroux le définit ainsi, dans son Dictionnaire comique (1718): « Espèce de baragouin que parlent à Paris les gueux, les laquais, les polissons, les décrotteurs entre eux 1. >>

1. Ajoutons la définition qu'en donne d'Hautel (Dictionnaire du bas-langage, 1810): « Argot, langage des porte-balles entr'eux, et qui se compose en partie de termes burlesques, de néologismes baroques et de mots anciens que l'usage a rejetés; on donne aussi ce nom au patois des vauriens, des filous, qui est inintelligible aux honnêtes gens. >>

Le sens originaire du mot était complètement oublié. Dans le Supplément du Lexique (1820) de Roquefort, on lit cette remarque, au mot argot : << Oudin s'est trompé en expliquant ce mot par gueuserie... Argot ne signifie pas gueuserie, mais jargon des bohémiens. >>

1

Faute d'avoir tenu compte de ce sens primitif, les nombreuses étymologies 1 émises sur l'origine du mot sont tombées dans le néant. Depuis la constatation de son état sémantique réel (et c'est à Vitu qu'en revient le mérite), une seule hypothèse a été proposée, celle de Schwob. La voici : « La Cour de Miracles a été divisée en quatre sections: Egypte, Bohème, Argot, Galilée. Le rapprochement de ces noms de pays orientaux suggère l'explication d'Argot par Arabie; le mot n'est pas autrement fait que Italgo pour Italien 2. » Une double difficulté, chronologique et de fait, rend cette hypothèse illusoire: l'ancien argot ignore absolument ces suffixes déformatifs, et l'argot moderne dit Arbico, diminutif d'Arbi, Arabe d'Algérie. D'ailleurs, nous n'avons pas trouvé trace de cette prétendue division de la Cour de Miracles; Sauval, dans sa minutieuse description (Antiquités de la Ville de Paris, 1724, tome I, p. 510-517), l'ignore complètement.

1. En voir le relevé dans l'Introduction du livre de Fr.-Michel. 2. Mémoires de la Société de Linguistique, vol. VII, p. 46.

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