Images de page
PDF
ePub

s'en empêcher, on mit une queftion de controverfe fur le tapis: notre Comteffe en fut caufe, elle eft de la Religion, & nous montra un livre de du Moulin; M. de Châteauneuf (c'eft le nom du valet de pied) l'entreprit, & lui dit que fa Religion ne valoit rien pour bien des raifons. Premiérement, Luther a cu je ne fai combien de bâtards; les Huguenots ne vont jamais à la Meffe; enfin il lui confeilloit de fe convertir, fi elle ne vouloit aller en Enfer car le Purgatoire n'étoit pas fait pour des gens comme elle. La Poitevine fe mit aufli-tôt fur Ecriture, & demanda un paffage où il fût parlé du Purgatoire; pendant cela le Notaire chantoit toujours, M. Jannart & moi nous endormîmes. L'après-dinée, de crainte que M. de Châteauneuf ne nous remît fur la controverfe, je demandai à notre Comteffe inconnue s'il y avoit de belles perfonnes à Poitiers; elle nous en nomma quelquesunes, entr'autres, une fille appellée Barigny, de condition médiocre, car fon pere n'étoit que Tailleur, mais au refte on ne pouvoit dire affez de chofes de la beauté de cette perfonne. C'étoit une claire brune, de belle taille, la gorge admirable, de l'embonpoint ce qu'il en falloit, tous les traits du vifage bien faits, les yeux beaux ; fi bien qu'à tout prendre il y avoit peu de chofes à fouhaiter; car rien, c'eft trop dire. Enfin non feulement les Aftres de la Province, mais ceux de la Cour lui devoient céder, jufques-là que dans un Bal où étoit le Roi, dès que la Barigny fut entrée, elle effaça ce qu'il y avoit de brillant; les plus grands foleils ne parurent auprès, que de fimples étoiles. Outre cela elle favoit les Romans, & ne manquoit

pas d'efprit. Quant à fa conduite, on la tenoit dans Poitiers pour honnête fille, tant qu'un mariage de conscience se peut étendre. Autrefois un Gentilhomme appellé Miravaux en avoit éte paffionnément amoureux, & vouloit l'épouser à toute force; les parens du Gentilhomme s'y oppoférent ; ils n'y euffent pourtant rien gagné, fi Clothon ne se fût mife de la partie; l'Amant mourut à l'armée, où il commandoit un Régiment. Les derniéres actions de fa vie & fes derniers foupirs ne furent que penfer à Maitreffe. Il lui laiffa douze mille écus par fon Teftament, outre quantité de meubles & de nippes de conféquence,qu'il lui avoit donné dès auparavant. A la nouvelle de cette mort Mademoiselle Barigny dit les chofes du monde les plus pitoyables, protefta qu'elle fe laifferoit mourir tôt ou tard, & en attendant recueillit le legs que fon Amant lui avoit fait. Procez pour cela au Préfidial de Poitiers, Appel à la Cour: mais qui ne préféreroit une Belle à des héritiers? Les Juges firent ce que j'aurois fait. Le cœur de la Dame fut contesté avec plus de chaleur encore. Ce fut un nommé Cartignon, qui en hérita. Ce dernier amant s'eft trouvé plus heureux que l'autre : la Belle eut foin qu'il ne mourût point fans être payé de fes peines: il y a, dit-on, Sacrement entr'eux, mais la chofe eft tenuë fecréte. Que dites-vous de ces mariages de confcience? Ceux qui en ont amené l'usage,n'étoient pas niais. On eft fille & femme tout à la fois; le mari fe comporte en galant; tant que l'affaire demeure en cet état, il n'y a pas lieu de s'y opposer, les parens ne font point les diables, toute chofe vient en fon temps, & s'il arrive qu'on fe laffe les uns des au

tres, il ne faut aller ni au Juge ni à l'Evêque. Voilà l'histoire de la Barigny. Ces avantures nous divertirent de telle forte que nous entrâmes dans Orleans fans nous en être prefque apperçus. Il fembloit même que le Soleil fe fût amufé à les entendre aufsibien que nous: car quoique nous euffions fait vingt lieues, il n'étoit pas encore au bout de fa traitte. Bien davantage, foit que la Barigny fût cette foirée à la promenade; foit qu'il dût fe coucher au fein de quelque riviére charmante comme la Loire, il s'étoit tellement paré que M. Châteauneuf & moi nous l'allâmes regarder de deffus le Pont. P r même moyen je vis la Pucelle, mais ma foi ce fut fans plaifir: je ne lui trouvai ni l'air, ni la taille, ni le vifage d'une Amazone. L'Infante Gradafillée en vaut dix comme elle, & fi ce n'étoit que M. Chapelain eft fon Croniqueur, je ne fais li j'en ferois mention. Je la regardai pour l'amour de lui plus long-temps que je n'aurois fait. Elle eft à genoux devant une Croix, & le Roi Charles en même pol ture vis à vis d'elle, le tout fort chétif & de petite, apparence. C'eft un monument qui fe fent de la pauvreté de fon fiécle. Le Pont d'Orleans ne me parut pas non plus d'une largeur ni d'une majefté proportionnée à la nobleffe de fon emploi, & à la place qu'il occupe dans l'Univers.

Ce n'eft pas petite gloire

Que d'être Pont fur la Loire.
On voit à fes pieds rouler
La plus belle des Riviéres
Que de fes vaftes carriéres
Phébus regarde couler.

Elle eft près de trois fois auffi large à Orléans que la Seine l'eft à Paris. L'horifon très-beau de tous les côtez, & borné comme il le doit être. Si bien que cette Riviere étant baffe à proportion, ses eaux fort claires, fon cours fans replis, on diroit que c'eft un canal. De chaque côté du Pont on voit continuellement des barques qui vont à voiles; les unes montent, les autres defcendent ; & comme le bord n'eft pas fi grand qu'à Paris, rien n'empê che qu'on ne les diftingue toutes: on les conte, on remarque en quelle diftance elles font les unes des autres, c'eft ce qui fait une de fes beautez: en effet ; ce feroit dommage qu'une eau fi pure fût entiérement couverte par des batteaux. Les voiles de ceux-ci font fort amples: cela leur donne une majefté de navires, & je m'imaginai voir le Port de Conftantinople en petit. D'ailleurs Orleans, à le regarder de la Sologne, eft d'un bel afpect. Comme la Ville va en montant, on la découvre quafi toute entiére. Le mail & les autres arbres qu'on a plantez en beaucoup d'endroits le long du rempart, font qu'elle paroît à demi fermée de murailles vertes; & à mon avis cela lui fied bien. De la particularifer en dedans, je vous ennuirois: c'en eft déja trop pour vous de cette matiére. Vous faurez pourtant que le quartier par où nous defcendîmes au Pont eft fort laid, le refte affez beau, des ruës fpatieufes, nettes, agéables, & qui fentent leur bonne ville. Je n'eus pas affez de temps pour voir le rempart, mais je m'en fuis laiffé dire beaucoup de bien, ainfi que de l'Eglife Sainte Croix. Enfin notre compagnie qui s'étoit difperfée de tous les côtez, revint fatisfaite. L'un parla d'une chofe, l'au

tre d'une autre. L'heure du fouper venue, Chevaliers & Dames fe furent feoir à leurs tables affez mal fervies, puis fe mirent au lit incontinent, comme on peut penser; & fur ce le Croniqueur fait fin au préfent chapitre.

A Amboife ce 30. Août 1663.

A

VII.

A LA MES ME.

Suite du même voyage.

Utant que la Beauffe m'avoit femblé ennuyeufe, autant le pays qui eft depuis Orleans jufqu'à Amboise me parut agréable & divertiffant, Nous eumes au commencement la Sologne, province beaucoup moins fertile que le Vendômois, lequel eft de l'autre côté de la riviere. Auffi a-t-on un Niais du pays pour très-peu de chofe, car cruxlà ne font pas fous comme ceux de Champagne ou de Picardie. Je crois que les Niaifes coûtent davantage. Le premier lieu où nous arrê tâmes, ce fut Cléry. J'allai auffi-tôt vifiter l'Eglife. C'eft une Collégiale affez bien rentée pour un Bourg, non que les Chanoines en demeurent d'accord, ou que je leur aye'oüi dire. Louis XI y eft enterré: on le voit à genoux fur fon tombeau, quatre enfans aux coins: ce feroient quatre Anges, & ce pourroient être quatre Amours, fi on ne leur avoit point arraché les aîles. Le bon apôtre de Roi fait là le faint homme, & eft bien mieux pris. que quand le Bourguignon le iena à Liége.

« PrécédentContinuer »