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& qui vivront éternellement dans la mémoire des hommes. L'un arrête les deffeins & les légions d'un grand Empereur, & par fon bel ordre, par fa conduite, par fon courage, malgré les attaques de cent mille combattans, il conferve deux ou trois Provinces, avec une Ville Impériale, ville que l'on tenoit pour perduë, & qui dès les premiers jours de fon fiége étoit ménacée d'une disette de toutes chofes. L'autre remet fous la puiffance des Lys la plus importante Place de nos Frontiéres, faifant en fept jours une conquête qui avoit coûté des années à nos anciens ennemis, & qui s'étoit affermie entre leurs mains par une poffeffion de près de trois fiécles. Un autre raffemble en lui ce que la prudence humaine, la piété, les vertus morales & politiques ont de précieux. Et tous fe rendant maîtres des cœurs par cent qualitez agréables & bien-faifantes, ce qui eft l'empire du monde le plus souhaitable, ils font nez encore avec une certaine éloquence par laquelle ils régnent fur les efprits. La fortune les a fait courir quelquefois dans la carriére de l'adverfité; cette volage & perfide amie leur a pû ravir des dignitez & des biens; mais il n'a jamais été en fon pouvoir de leur ôter la valeur, la fermeté d'ame, ni l'accortife, ni enfin tous ces autres dons que vous tenez d'eux, & qui font plus votre patrimoine que le nom même que vous portez. Tout le monde avoue, Monfeigneur, que vous êtes digne de le porter. V. A. n'a pas manqué d'en donner des preuves auffi-tôt que l'occafion s'en eft préfentée. On n'a jamais remarqué plus d'amour de gloire, ni moins de crainte pour le péril en une fi grande jeuneffe. Ce que je dis a

paru aux yeux d'un Monarque qui connoît par lui le véritable mérite. L'envie de répondre aux faveurs de fon alliance, pour laquelle les Maîtres de l'Europe foupirent tous, l'émulation & l'exemple de vos Ancêtres, mais plus que ces chofes, le témoignage de notre Prince, tout cela, dis-je, vous fervira d'aiguillon pour courir aux actions héroïques. Après que j'aurai loué les charmes de votre Perfonne, cette civilité engageante, & qui ne laiffe pas d'avoir un air de grandeur, ces maniéres fi gracieuses, je louerai en vous les femences de la vertu, ou plutôt j'en loüerai des fruits abondans, pour peu que le Ciel accorde de terme à mes jours, & me donne de loifir de vous témoigner avec combien de zéle je fuis, &c.

X I.

A MADEMOISELLE DE CHANMESLAY.

Lettre écrite de la Campagne en 1678.

Comme vous êtes la meilleure amie du monde, auffi-bien que la plus agréable, & que vous prenez beaucoup de part à ce qui regarde vos amis, il eft. à propos de vous mander ce que font ceux qui ne vous ont pas fuivie. Ils boivent depuis le matin jufqu'au foir, de l'eau, du vin, de la limonade, & catera, rafraichiffemens legers à qui eft privé de vous voir. La chaleur & votre ablence nous jettent tous en d'infupportables langueurs. Quant à vous, Mademoiselle, je n'ai pas befoin que l'on me mande ce que vous faites. Je

le vois d'ici. Vous plaifez depuis de matin jufqu'au foir, & accumulez coeurs fur cœurs. Tout fera bientôt au Roi de France, & à Mademoiselle de Chanmeflay. Mais que font vos courtifans? car pour ceux du Roi, je ne m'en mets pas autrement en peine. Charmez-vous l'ennui, le malheur au jeu, toutes les autres difgraces de M. de la Fare? Et M. de Tonnerre rapporte-t-il toujours au logis quelque petit gain? Il ne fauroit plus en faire de grands après l'acquifition de vos bonnes graces. Tout le refte n'eft qu'un furcroît de peu d'importance, & quiconque vous a gagnée ne fe doit que médiocrement réjouir de toutes les autres fortunes. Mandez-moi s'il n'a point entiérement oublié le plus fidéle de fes ferviteurs, & fi vous croyez qu'à fon retour il continuera de m'honorer de fes niches & de fes brocards.

X I I.

A M. LE PRINCE DE CONTY.

Comparaison d'Alexandre, de Céfar, & de Monfieur le Prince. 1684.

MONSEIGNEUR,

Sans une indifpofition qui me retient, j'aurois été à Chantilly pour m'acquitter de mes très-humbles devoirs envers Votre Alteffe Séréniffime. Ce que je puis faire à Paris, eft de chercher dans les

Ouvrages des Anciens & parmi les nôtres, quelque chofe qui vous puifle platre, & qui mérite d'entrer dans les conteftations de Monfieur le Prince. Elles font fort vives, & font honneur aux fujets qu'elles veulent bien agiter. Il n'ignore rien non plus que vous. Il aime extrêmement la difpute, & n'a ja mais tant d'efprit que quand il a tort. Autrefois la fortune ne l'auroit pas bien fervi, fi elle ne lui avoit oppofé des ennemis en nombre fupérieur, & des difficultez prefque infurmontables. Aujourd'hui il n'eft point plus content que lorfqu'on le peut combattre avec une foule d'autoritez, de raifonnemens & d'exemples; c'eft-là qu'il triomphe. Il prend la victoire & la raifon à la gorge pour les mettre de fon côté. Voilà l'homme le plus extraordinaire qui ait jamais mérité d'être mis au nombre des Dieux. Vous voulez bien, Monfeigneur, que je me ferve pour un peu de tems de ces termes. Ils font d'une langue qui convient merveil leusement bien à tout ce qui regarde Monfieur le Prince. On prépare fon apothéose au Parnasse; mais comme il n'eft nullement à propos de fe hâter de mourir pour se voir bien-tôt placé dans le tang des immortels, Monfieur le Prince laiffera paffer encore un nombre d'années avant le temps de fa déification; car de fon vivant il auroit de la peine à y confentir. C'eft proprement de lui qu'on peut dire.

Cui malè fi palpêre, recalcitrat undique tutus.

Si faut-il que je le mette en parallele avec quelque Céfar ou quelque Alexandre. Je ne ferai pas

le premier qui aura tenté un pareil dessein; c'est à moi de lui donner une forme toute nouvelle. Il ne fera pas dit que M. le Prince me liera la langue comme il a lié les bras à des millions d'hommes. Je pourrois auffi le comparer à Achille. Une ferme réfolution de ne point céder, l'amour des combats, la valeur y font tout entiers des deux côtez, Ils fe reffembloient affez quand M. le Prince étoit jeune; à préfent l'épithète de Pied-leger feroit clocher quelque peu la comparaifon. Puis j'ai réfervé le caractére d'Achille pour V. A. S. & je crois qu'en tems & lieu l'opiniâtreté & la véhémence ne vous manqueront non plus qu'à ce Grec; non plus qu'à votre Oncle, fi vous voulez. Je me reftrains donc à Cefar, & à Alexandre: mais pour les mieux comparer à M. le Prince, il faut que je les compare auparavant l'un à l'autre.

Il y a des gens qui ont trouvé quelque chofe de furnaturel & de divin dans Alexandre. Je fuis bien de leur avis; car fans recourir aux Fables que l'on a crû être obligé de chercher touchant le secret de fa naissance, afin de juftifier une telle opinion, je vois un enfant qui n'a rien que d'homme, ou pour mieux dire, de jeune Dieu. Il ne veut pas envoyer aux Jeux Olympiques, & dédaigne de remporter un honneur que célébroient tous les Poëtes, & que recherchoient des Rois mêmes.

Il ne faifoit guéres plus d'état de la puiffance de fon Pere, ni de la fageffe de les confeils, quoique ce Pére fut habile homme, & qu'il entendît à merveille fes interêts. Cependant fon fils fe moquoit de lui. Ne vous femble-t-il pas, Monfeigneur, que vous voyez Jupiter qui fait croire à Saturne que

c'eft

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