Images de page
PDF
ePub

CLIMAT.

Alsace à la Séquanie celtique, qui plus tard la retint sous la dépendance de la métropole ecclésiastique de Besançon.

Importante comme région de transit, l'Alsace est aussi et surtout une terre qui a attiré et fixé de bonne heure la population, qui a nourri un développement politique original.

a

Le climat est remarquable. Il frappait par quelque chose de plus clair, de plus lumineux, l'attention de Goethe. Ce Rhénan de Francfort revoyait dans ses souvenirs d'Alsace les nuages qui pendant des semaines restent attachés aux montagnes, sans troubler la pureté du ciel. La remarque est fine et vraie. C'est au sud de Strasbourg et surtout sur le bord oriental des Vosges que la nébulosité accuse une décroissance. Au tournant des Vosges méridionales, les vents pluvieux du Sud-Ouest se sont déchargés de leur fardeau de vapeurs; ils sont descendants, c'est-à-dire plus secs. En fait, il ne tombe à Colmar que la moitié de la hauteur moyenne de pluie qu'on constate à Fribourg-en-Brisgau. Il arrive ainsi que, sur le bord occidental de cette plaine où les eaux regorgent, où l'on a vu dans des inondations restées fameuses l'Ill et le Rhin réunir leurs eaux, il y une zone sèche où l'eau s'infiltre, parfois même fait défaut. Les rayons d'un soleil généreux activent la végétation et en prolongent la durée. L'apparition des feuilles est de quinze jours en avance sur l'Allemagne; et, en automne, de belles journées chaudes achèvent de faire mûrir les vins capiteux des coteaux sous-vosgiens. De Thann à Mutzig, au bord des Vosges, la vigne marque le paysage d'une empreinte aussi impérieuse et exclusive qu'à Épernai ou qu'à Beaune. On ne voit qu'elle entre les gros villages blancs aux maisons serrées. Un trait de nature méridionale se prolonge par la lisière orientale des Vosges. Le châtaignier y atteint son extrême limite vers le Nord. La faune alsacienne compte même plusieurs animaux d'origine franchement méridionale genette et lézard vert entre autres, qui retrouvent leur midi dans la zone calcaire et sèche des collines sousvosgiennes.

L'homme a prospéré aussi, il a profité de cette clémence accueillante de la nature. La clarté du ciel et la douceur de vivre ont mis en lui de la gaieté. « Le naturel de ce peuple est la joie, » écrivait le premier intendant français qui gouverna l'Alsace. Pour bien des peuples venus de contrées plus ingrates et plus sombres, ce pays a marqué le commencement d'émancipation de la vie besoigneuse, l'épanouissement joyeux dans une nature qui invite à la fécondité et en donne l'exemple.

1. Dichtung und Wahrheit, 3° partie, liv. II.

Le secret de cette fécondité tient à cette espèce de sol qu'on appelle en Alsace le loss. Ce terrain privilégié occupe le long des montagnes une bande interrompue par les débouchés des rivières. A la surface, c'est un sol brun, limoneux, propre à la fabrication des briques, animé par de nombreuses tuileries; mais dans les tranchées verticales qui l'entr'ouvrent, le long des carrières ou des ravins secs qui le coupent, on voit, sous cette épiderme, des couches friables d'un jaune clair où le calcaire dissous à la surface se retrouve sous forme de concrétions ou poupées. Les eaux s'infiltrent à travers ces couches. C'est comme un épais manteau qui couvre les pentes allongées des collines, où il s'élève jusqu'à 380 et 400 mètres de hauteur absolue; il a été déblayé au contraire et il manque dans la région basse des Ried et des alluvions récentes. Cette masse terreuse, à y regarder de près, est loin d'être homogène. Elle se compose de couches de transport, différentes par l'âge du dépôt et par les éléments qui la constituent. Des lits de graviers, argiles, sables fluviatiles existent à la base et reparaissent par intervalles entre des couches épaisses de particules plus fines, où rien n'indique l'action des eaux. Quelques-unes de ces couches sont décalcifiées, preuve qu'elles ont été longtemps exposés à l'action de l'air et des pluies. Ainsi la formation de ces dépôts est l'œuvre de longues périodes alternativement sèches ou marquées par des retours offensifs de régime torrentiel. Une masse énorme de débris, depuis les graviers grossiers jusqu'à la poussière impalpable, a été livrée par les grandes destructions vosgiennes, à l'action tour à tour prépondérante des eaux torrentielles et des vents.

Ces terrains constituent un sol nourricier qui a attiré les animaux et les hommes. Partout où il règne, soit à Tagolsheim dans le Sundgau, soit à Egisheim et en d'autres stations près de Colmar, soit à Achenheim près de Strasbourg, des objets d'industrie primitive, des ossements humains parfois, indiquent une prise de possession très ancienne, qui s'est poursuivie sans interruption sur les mêmes lieux. C'est par cette zone que l'homme a fait la conquête de l'Alsace. Avant de dessécher ses plaines noyées, de s'aventurer près des eaux vagabondes, de défricher forêts et vallées, c'est sur ces terrains naturellement secs, faciles à travailler et fertiles, qu'il a fondé, puis multiplié ses établissements. Sans la présence de ce terroir bienfaisant, on s'expliquerait peu le caractère précoce qui distingue nettement la civilisation de la contrée.

La bande de loss est inégalement répartie le long des Vosges :

1. Voir suprà 1o partie, chap. 1, p. 34.

LE LESS

ALSACIEN.

STRASBOURG.

Au Sud elle est étroite, souvent interrompue; elle abandonne encore aujourd'hui près de la moitié de la Haute-Alsace aux bois ou aux landes. Mais au nord de Schlestadt et surtout entre Hochfelden et Strasbourg, dans le pays appelé Kochersberg, elle s'étale : c'est la région rurale et agricole par excellence. Limitée au Sud par la Bruche, à l'Est et au Nord par les forêts de Brumath et de Haguenau, elle s'élève vers l'Ouest par petits ressauts jusqu'au voisinage de Saverne. Les cultures y couvrent tout; le type exclusif de peuplement est le village villages atteignant rarement 500 habitants, mais très rapprochés, d'aspect riche et cossu, avec leurs larges maisons en pisé qu'égayent leurs poutres entre-croisées, leurs balcons, leurs sculptures, leur entourage de vergers.

L'Alsace est une contrée de zones géographiques bien tranchées, dont chacune a marqué son empreinte distincte sur l'homme. Le plantureux et riant village des plaines de loss; le village étroitement serré, bâti en calcaire blanc, sur le vignoble; la petite ville impériale et murée à l'entrée des vallées; puis çà et là, planant sur les hauteurs, les châteaux ruinés, les mystérieuses fortifications de temps plus anciens encore telles sont, dans leur rapport particulier avec les différences de relief et de sol, les formes très déterminées, très individuelles et très précises que les établissements humains ont gardés en Alsace. Partout de petites autonomies, tirant des conditions locales leur vie et leur physionomie propres.

Il est un point de la plaine où les terrasses de loss se prolongent plus avant que partout ailleurs. Dentelées à la base par des échancrures concaves qu'ont entaillées d'anciens méandres de la Bruche, elles ne se terminent qu'aux bords de l'Ill, à l'endroit où il multiplie ses bras avant de se jeter dans le Rhin. A Schiltigheim et Konigshofen, leurs dernières éminences dominent l'île fluviale où se forma le noyau de Strasbourg. Un camp romain y succéda à quelque établissement celtique. Ce fut une ville rhénane, mais surtout «< la ville des routes ». De bonne heure, c'est vers l'Ouest, vers Konigshofen et les premières terrasses de loss que s'étendent des faubourgs. Là aboutit la voie romaine qui vient de Saverne. Elle eut soin de se tenir sur ces platesformes découvertes que l'inondation n'atteint pas, qui n'opposent pas de marais, où les rivières mêmes sont rares, et qui par là ressemblent à un pont naturel entre le Rhin et les Vosges.

Celles-ci s'interrompent presque au nord-ouest de Strasbourg. Lorsque, vers Niederbronn, Worth, Bouxwiller, Saverne, on se rapproche de leur bord, l'œil est dérouté par les traits du paysage, il n'y retrouve plus le cadre habituel de la plaine. Des collines semées sans ordre remplacent le rideau des côtes sous-vosgiennes; il est

visible qu'elles sont constituées par des pointements de roches diverses. Des sources minérales nombreuses se font jour. Ces indices font pressentir ce que l'observation géologique a constaté : l'existence d'un champ de fractures très étendu et très morcelé, tout un système de dislocations et de failles, qui, dans cette partie de la façade vos

[graphic][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][merged small]

CARTE 41.

[ocr errors]

1

O kil

1

TERRASSES DE LOESS ENTRE SAVERNE ET STRASBOURG.

Type de contrée agricole très anciennement occupée par l'homme. Elle a servi de chaussée naturelle entre les Vosges et le Rhin. Strasbourg s'est établi à l'extrémité des terrasses.

gienne, hache la structure'. Entre des compartiments enfoncés se dressent des lambeaux de roches, témoins épars de rangées presque entièrement détruites. La continuité même des Vosges semble atteinte. Les grès qui, au nord du Donon, en composent à peu près exclusivement la surface, se réduisent entre Saverne et Sarrebourg à une bande qui n'a pas plus de 20 kilomètres de large. La montée même, malgré les hardis lacets de la route dont Goethe parlait avec admiration, se réduit à 250 ou 300 mètres au-dessus de Saverne un étage à franchir plutôt qu'un col. Dans toute l'étendue de cette région

1. Voir plus haut, chap. 1, carte 32 (Failles des Vosges).

effondrée, les passages faciles se multiplient. Bitche, non moins que Saverne, offre une voie naturelle; elle conduit vers Metz, comme celle de Saverne vers Toul et Paris.

Cette chaîne de relations se lie, à Strasbourg, avec la navigation désormais plus facile du Rhin, avec les voies qui, par la dépression de Pforzheim, se dirigent vers le Neckar et le Danube. L'importance de la cité où se nouent ces rapports ne pouvait que s'accroître. Elle tenait les passages. On retrouvait la domination de ses évêques sur les roches qui surmontent Saverne, comme sur les coteaux d'Offenburg, qui surveillent la rive droite du Rhin.

Ce fut ainsi une nouvelle personnalité urbaine, commerçante et guerrière, qui grandit dans la famille des cités d'Alsace. Elle les domine, comme la flèche de sa cathédrale domine au loin les arbres parmi lesquels elle s'élance; mais elle est des leurs. C'est une république urbaine plutôt qu'une capitale de province. L'Alsace resta toujours le pays fortement municipal, dont la vie ne s'est jamais concentrée dans un seul foyer. De cette vie urbaine sont sorties les fécondes initiatives, aux temps de l'humanisme comme aux débuts de l'industrie moderne.

peu

Chose remarquable cependant, l'autonomie de ces robustes individualités, urbaines, villageoises ou régionales, n'a pas nui au sentiment de l'unité de la contrée. Celle-ci a été aimée et étudiée comme d'autres. Une harmonie toujours présente s'exhale de cet ensemble que le regard peut presque partout embrasser la montagne, la plaine, le fleuve. Le monde de souvenirs et de légendes qui s'y rattache s'associe aux premières imaginations de l'enfance. Enfin même cette nature d'Alsace, tout empreinte encore de l'action puissante des phénomènes géologiques, garde certains traits de nature primitive, pour lesquels est ordinairement mortel le contact d'une civilisation avancée : là peut-être est son charme le plus exquis, le principe de son action profonde sur l'homme.

« PrécédentContinuer »