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SEUIL

ENTRE VOSGES
ET MORVAN.

s'essayer avant de se déployer à part. L'une, toute vosgienne, est celle des grandes abbayes, des villes rouges construites en grès, Lure, Luxeuil, des vallées ensevelies sous les cerisiers, des sources thermales dans les fentes profondes du sol. L'autre est celle des calcaires encadrant régulièrement des vallées aux eaux brillantes, celle de la belle pierre grise qui communique à Montbéliard et à Besançon l'aspect sévère de leurs édifices.

Ce furent surtout les rocs calcaires qui, comme points de surveillance et de ralliement, dans ce carrefour de l'Europe, fixèrent les premiers hommes. Nombre d'abris, camps, grottes en font foi. Ces forteresses naturelles servirent plus tard de crans d'arrêt au passage des invasions. Le peuple qui en tenait les clefs devint une puissance politique. Strabon dit que les Séquanes étaient maîtres d'ouvrir ou de fermer aux Germains la route de la province romaine. L'avenue dont ils étaient en possession était la vallée du Doubs, voie directe et magnifique, entre le roc de Montbéliard, voisin de l'antique Mandeure, et la boucle fluviale qui enlace étroitement l'oppidum de Besançon. Au pied des talus raides et boisés se pressent les vignes, les cultures, les prés et les villages; et la vieille cité militaire et ecclésiastique conserve avec ses grandes maisons en pierre, ses portes cintrées, ses fontaines, quelque chose de la gravité romaine.

Si l'on suivait le Jura, une chaîne d'analogies continues de sol et même de végétation nous mènerait, par les Préalpes calcaires, jusqu'au seuil de la Provence. Avec les Vosges, au contraire, la série des massifs anciens s'interrompt pour ne reparaître qu'au Morvan. Une continuité souterraine, il est vrai, relie ces deux massifs; sous la mince couverture de dépôts sédimentaires qui les dérobe, des pointements de roches archéennes affleurent aux flancs des vallées; un petit massif primaire, au nord de Dole, fait même pour un moment réapparaître les formes ballonnées et la végétation siliceuse en plein pays jurassique. On retrouve dans les directions des vallées, très fréquemment orientées du Nord-Est au Sud-Ouest, les linéaments d'une structure primitive, archaïque, que n'ont pu entièrement masquer les accidents postérieurs. Il n'en reste pas moins une lacune; et, par le seuil qui interrompt ici le front du massif, se transmettent librement entre le Bassin de Paris et la vallée de la Saône, les vents, les pluies, mille influences diverses.

Ce seuil est la célèbre région de passages qui fait communiquer la Méditerranée avec la Manche et la mer du Nord, qui a cimenté les

1. Forêt de la Serre, sur 17 kilomètres de long et 4 de large, atteignant 380 mètres de haut.

deux parties principales de la France. Mais ces passages divergent, et la physionomie même du seuil change suivant la succession des roches qui le constituent. De la Bourgogne au plateau lorrain par Lamarche et Martigny, de Langres à la Meuse et à la Champagne par le Bassigny, de Dijon ou de Chagny par l'Auxois à la vallée de la

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Un seuil peu sensible, sur les alluvions anciennes, sépare les eaux destinées au Rhône et au Rhin. De larges franges d'alluvions témoignent de l'action torrentielle sur la périphérie méridionale des Vosges. Dans le mélange incohérent des formes, les pointements calcaires ont de bonne heure désigné aux établissements humains l'emplacement où s'est fixé Belfort. Cependant la porte historique qu'ont suivie les peuples est plutôt celle dont Montbéliard gardait les abords: la vallée du Doubs.

Seine, les communications profitent de conditions différentes, ouvrent d'autres perspectives, créent entre les populations des rapports de nature diverse.

Une parenté intime relie la Lorraine méridionale et le Nord de la Bourgogne. Dans la région que les géographes appellent Faucilles, et les paysans la Vôge, presque aucune différence de niveau ne sépare

PASSAGE ENTRE
LORRAINE

ET BOURGOGNE.

PASSAGES

DE LANGRES.

les affluents de la Moselle de ceux de la Saône. L'accent local, le vocabulaire géographique avec ses désinences en ey, l'aspect large et trapu des maisons, leur disposition intérieure se continuent d'une contrée à l'autre.

Ce n'est pas là pourtant que se fait la soudure historique entre Lorraine et Bourgogne. La Vôge se termine brusquement vers l'Ouest, devant un talus calcaire qui la domine d'environ 80 mètres. Il y a là un de ces accidents topographiques qui, par suite de l'inclinaison des couches vers le centre du Bassin parisien, vont se répétant entre les Vosges et Paris. On voit ainsi, chaque fois que la pente géologique amène des couches plus dures à la surface, leur base affouillée par les eaux se dresser en forme de talus ayant leur regard vers l'Est. C'est un de ces talus qui sépare la Vôge de la Plaine, les grès du calcaire. Le contraste est frappant. Sitôt que ce calcaire coquillier, d'âge triasique, prend possession de la surface, le sol devient pierreux et sec, les champs remplacent les bois, le pays se découvre. Au lieu des communications sinueuses imposées dans la Vôge par la multiplicité diffuse des eaux, les routes se déroulent en droite ligne. Elles s'allongent, des lieues entières, sans dévier de leur direction voies romaines, routes modernes. Le long de la voie romaine construite sur la corniche même du talus calcaire, de façon à dominer le pays, les villages agricoles se succèdent à brefs et réguliers intervalles. Ce pays, plan et découvert, fut pratiqué, parcouru, mis en culture avant les pays forestiers qui lui sont contigus, et qui, lorsqu'ils étaient plus intacts, faisaient comme une ceinture forestière à la Lorraine. Entre Lorraine et Bourgogne, là fut un des principaux passages, une des voies par lesquelles le vieux centre de Langres communiquait avec les pays mosellans.

Si l'on continue vers l'Ouest, des couches moins anciennes viennent à la surface; et, avec elles, des pays nouveaux. Ce sont ici les marnes du lias, essentiellement aptes par leur imperméabilité à retenir les eaux que laissent filtrer les calcaires poreux et fissurés des couches supérieures. Aussi cette contrée est-elle une des plus remarquables réunions de sources. Six lieues environ, sur un plateau largement ondulé que sillonne une voie romaine, séparent la fontaine de Meuse de la Marne naissante. Vers le Rhin, vers la Seine, vers le Rhône divergent dans un étroit rayon des vallées. Ces rivières naissantes ont creusé dans les marnes des combes fertiles entamant par des cirques les plates-formes qui les surmontent. Des éperons, des abrupts, de secs promontoires se détachent ainsi entre des langues de sol arrosé et verdoyant. Il n'y a guère, entre les espaces buissonneux ou forestiers qui s'étalent, que des bandes restreintes, des

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CARTE 44.

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PAYS DE PASSAGE ENTRE LA LORRAINE ET LA BOURGOGNE. La bande dure et sèche des calcaires coquilliers (voir fig. 34) se dresse sous forme de chaussée au-dessus des couches ravinées du grès (grès triasique) qui constitue la Vôge. Les bois interrompus ne reparaissent qu'au Nord-Ouest avec la zone du grès infraliasique. Une ligne de villages jalonne la base du talus calcaire suivant la ligne des sources. Celui-ci ressemble à un isthme entre deux mers de forêts; des voies de communication de tout âge le sillonnent.

PASSAGES

DE L'AUXOIS.

commencements de vallées qui ne tardent pas à s'écarter. Mais dans ce cadre le mélange des eaux, des prairies et des champs, surmontés de forêts, a suffi pour grouper dans des occupations communes des populations ayant conscience de leur unité, et pour former un pays spécial, que les habitants appellent proprement le Bassigny 1. Si la vie y était étroite, n'y avait-il pas les routes depuis longtemps fré quentées qui s'y croisent? Vers les Pays-Bas, vers Reims, vers Sens des voies romaines avaient fixé la circulation.

L'oppidum d'un ancien peuple gaulois occupe le promontoire dont la Marne naissante a entaillé la base. De très loin sur le plateau tacheté de taillis on voit de blancs rubans de routes se diriger vers les grandes et tristes constructions ecclésiastiques qui signalent Langres. L'aspect est en harmonie avec la sévérité des horizons. Il n'y a point ici pour gêner l'évocation de l'histoire l'importunité des bruits du présent. La vie semble éteinte. Peut-être ne fut-elle jamais bien intense; et cependant ces routes ont vu passer les marchands, les armées, et le sillage historique d'une circulation séculaire.

Les marnes du lias ne tardent pas à plonger, au Sud-Ouest de Langres, sous des couches plus récentes. Imaginez alors de larges plates-formes calcaires inclinées vers l'Ouest, tombant à pic vers l'Est. Entre Langres et Dijon se déroule la Montagne, le sec pays des eaux qui s'engouffrent, des vallées rares dont le fond plat n'est inondé que lorsque les pluies de l'hiver ont fait regorger les eaux souterraines; pays pauvre, avec ses rares maisons grises couvertes en lauzes, mais sur lequel un air vivifiant distribue la vigueur et la santé. Sur le bord abrupt, qu'une faille presque rectiligne at découpé au-dessus de la vallée de la Saône, les eaux n'ont en général entaillé que de courtes combes. Il semble, lorsqu'on arrive au pied de ces raides talus, qu'on se heurte contre un mur. Cependant, dans cette masse dure, deux brèches ont été entaillées, là où les eaux ont concentré leur effort. Chacune est devenue un passage historique : l'un, aujourd'hui le plus fréquenté, est celui de Dijon, l'autre, plus anciennement connu des hommes, débouche entre Nolay et Chagny. Au pied du mont de Rème, Rome-Château, promontoires calcaires qui gardent les vestiges d'établissements d'âges anciens, s'insinuait la route dont les Romains firent une de leurs grandes voies vers Autun.

La brèche dijonnaise a un aspect imposant. Ruisselant avec impétuosité sur les pentes imperméables de l'Auxois, les eaux ont entamé

1. Le nom, comme il est arrivé souvent, s'est étendu historiquement au delà de son cercle naturel. Ce qu'on appelle ainsi, dans le pays, c'est la haute vallée de la Meuse jusque vers Bourmont. (L. Gallois, Le Bassigny, dans Annales de Géog., t. X, 1901, p. 115.)

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