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Pourquoi donc ces vallées qu'on dirait perdues dans les Alpes retiennent-elles l'attention? C'est qu'elles montrent un rapport original des sociétés avec le sol. Si exiguës qu'elles paraissent, elles ajoutent un trait à la physionomie générale de la France. Dans ces replis des Alpes, c'est une petite France qui s'est conservée. Par la langue, les sympathies, elle s'incorpore à la grande. Elle tient à nous par des souvenirs communs, et surtout par le rôle que ses enfants actifs, industrieux, prompts à se déplacer, jouent dans notre vie économique. Ils apportent à Lyon, surtout à Marseille leurs habitudes de travail et d'épargne. Ils franchissent même l'Océan : depuis près d'un siècle, les Barcelonnettes se rendent au Mexique, où ils fondent des établissements commerciaux se recrutant entre parents. Et de plus jeunes vont remplacer leurs aînés, quand ceux-ci, fortune faite, rentrent dans leur solitaire vallée.

CHAPITRE IV

LA VALLÉE DU RHÔNE

ET LA TRANSITION VERS LE MIDI

L

E fiord marin pliocène qui fut le précurseur immédiat du Rhône avait occupé des vallées déjà creusées très profondément par l'érosion des cours d'eau de l'époque précédente. Son niveau, comme celui du fleuve qui lui a succédé, fut très bas, et vers ce niveau de base très déprimé affluèrent de toutes parts les eaux. C'est ainsi que la limite septentrionale du fiord rhodanien, qui se trouvait vers Givors, attira à elle les eaux du grand lac bressan devenu plus tard la Saône. Et dans l'intérieur des Alpes l'attraction ne cessa de s'étendre d'abord elle entraîna les eaux échappées du Mont-Blanc; puis jusqu'au fond du Valais, ce fut le tour des rivières qui primitivement avaient coulé vers le Nord et suivi par le seuil de la Venoge, au Nord-Ouest de Lausanne, une voie visible encore vers le Rhin.

Assurément le Rhône coule à un niveau supérieur à celui du fiord qui l'a précédé; il a comblé et élevé son lit; en reculant de plus en plus son embouchure il a notablement diminué sa pente. Néanmoins cette pente est encore rapide. Elle ne s'adoucit légèrement, entre la Saône et l'Isère, que pour s'accentuer de nouveau (0 m. 80 par kilomètre) entre la Drôme et l'Ardèche. Pour emprunter la terminologie de l'École américaine, le Rhône est un fleuve envahissant, qui continue à faire des conquêtes, à empiéter sur les domaines fluviaux voisins. L'étrange configuration de ce long bassin fluvial, projetant des bras jusqu'aux Vosges et au Saint-Gothard, est due à une série d'empiéte

ments.

L'évolution du réseau fluvial met en évidence un fait qu'il faut signaler à cause de sa signification générale à partir de l'époque

EVOLUTION

DU RÉSEAU
FLUVIAL.

APPARITION

DES CALCAIRES

SUR LA RIVE

DROITE DU Rhône.

éocène, la dépression fut de plus en plus rejetée vers l'Ouest. La direction qu'a adoptée finalement le Rhône, tout contre le Massif central, l'écornant même entre Vienne et Tournon, doit être regardée comme la dernière phase d'un mouvement progressif. Elle s'explique par la marche que les plissements alpins ont suivie, procédant graduellement de l'intérieur vers l'extérieur du système, de la concavité vers la convexité de l'arc, et n'envahissant qu'à l'époque miocène l'espace où se dressent actuellement les chaînes subalpines.

Vers Tournon, les terrains primitifs entre lesquels le Rhône venait de couler se retirent sur la rive droite. Bientôt, dans la plaine découverte où l'Isère mêle ses alluvions à celles du Rhône, l'œil est averti d'un changement de nature. Tous ceux qui ont descendu la vallée du Rhône ont remarqué, aux approches de Valence, une montagne de forme conique, de couleur grise et rousse, qui tranche sur l'uniforme rangée des croupes gneissiques; les ruines du château de Crussol grimpent sur sa cime chauve. Isolée, presque insolente, elle se campe par le travers de la vallée, comme un défi du Midi dont elle est une apparition.

Ce n'est encore qu'un avant-coureur, un témoin détaché d'une formation qui se révèle pour la première fois. Mais à une douzaine de kilomètres vers le Sud, à La Voulte, commence désormais sans interruption une bande de calcaires jurassiques qu'on peut suivre du Nord-Est au Sud-Ouest pendant 80 kilomètres. Ces calcaires, d'ailleurs fissurés, sont d'un grain si pur qu'ils ne laissent que très peu de particules insolubles pour contribuer à la formation de l'humus. Ils étendent un désert de pierre entre la vallée du Rhône et le bord du Massif central. Les roches, découpées en forme de parallélipipèdes, s'étagent comme des degrés d'escaliers, des gras (gradus), suivant le nom local qui les désigne. Dans les fentes perpendiculaires qui les séparent un pulvérin roussâtre, échappé aux vents et aux eaux, a pu se loger c'est dans ces pincées de terre végétale qu'un peu de culture trouve asile. L'Ardèche à Vogüé, puis la Baume, le Chassezac traversent en cluses ces plateaux.

Ce serait entre la vallée et le Massif central un écran de séparation. Mais cette zone inhospitalière n'adhère pas immédiatement au bord cristallin du Massif; elle s'y appuie par l'intermédiaire d'une zone marneuse, étroite, mais assez tendre pour que les eaux y aient creusé des vallées et des bassins. Un pays s'est formé à la faveur de ces articulations, le Vivarais. C'est là qu'a pris place un petit monde à part, nid de culture et d'industrie. Privas, Aubenas ont abrité dans un isolement relatif leur indépendance de villes protestantes. Il semble que le protestantisme méridional ait de préférence élu domi

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4 kil.

CARTE 47. COULOIR DU BAS-VIVARAIS.

Entre le cours du Rhône et le bord du Massif central s'interpose une zone de séparation. Le plateau des Gras, désert de pierre, isole le couloir populeux au milieu duquel est situé Aubenas. Ce couloir est formé par une étroite bande de terrains marneux et tendres qui suit le pied des hauteurs granitiques, et où les eaux ont entaillé de larges vallées et déposé des alluvions. Cela a favorisé la constitution d'une petite autonomie politique, noyau du Vivarais.

BANDE

DE CALCAIRES
CORALLIGÈNES.

cile dans ces plis étroits qui, des deux côtés mais à distance, accompagnent la vallée du Rhône. La position des pays protestants du Dauphiné, Trièves, Diois, correspond, derrière le rideau des Alpes calcaires, à celle de la zone urbaine et protestante du Vivarais.

La bande de plateaux calcaires ne se termine pas en réalité au Vivarais. Une série de petits causses se prolonge jusqu'à travers le Gévaudan, surtout dans la zone fracturée qui sépare le mont Goulet du mont Lozère. On distingue à leur couleur et à leur forme, à travers les croupes granitiques qui les entourent, ces petits îlots calcaires. Ce sont les témoins par lesquels les Gras se relient à la grande zone sédimentaire de Causses dont il sera question plus loin. Avec eux commence donc une des zones les plus caractéristiques de la nature du Midi français.

En avant de ce plateau des Gras, une nouvelle série de roches vient prendre place sur les bords du Rhône. On voit à partir du Teil se dresser des roches de calcaire urgonien, pétries de polypiers, d'une éclatante blancheur. Le Teil est, grâce à elles, le pays du plâtre, où la poussière blanche couvre tout, maisons, arbres, routes, visage des ouvriers. Entre Viviers et Châteauneuf, ces roches resserrent le Rhône dans un défilé. Elles font partie d'une longue chaîne de récifs coralligènes qui, de Grenoble aux Garigues du Bas-Languedoc, enserre en forme semi-annulaire le bord oriental du Massif. Ces récifs, par leur dureté, ont résisté mieux que les parties marneuses qui sont intercalées entre eux. Ils forment l'ossature de la contrée, les parois des escarpements éclatants entre lesquels file le fleuve vers Châteauneuf, Viviers et Donzère. C'est ce passage, remarquable au point de vue du climat comme de la structure, qui est définitivement la porte du Midi.

On voit combien peu la vallée du Rhône ressemble à ces vallées à pente continue et régulière qu'évoque d'ordinaire ce nom. Elle se compose d'une série saccadée de paliers, reliés par des cluses. Tantôt elle s'élargit à perte de vue; tantôt, comme à Vienne, elle se réduit à un cirque étreignant le fleuve; tantôt enfin ce n'est qu'une brèche étroite à travers une bande calcaire qui barre la vallée. C'est qu'en effet le cours du Rhône marque les étapes du passage critique à travers cette zone plissée et tourmentée du Bassin méditerranéen, où, pendant la durée de l'époque tertiaire, le sol a été en mou

vement.

Aujourd'hui, des refoulements qui ont affecté la vallée, des volcans même qui ont poussé leurs coulées jusqu'au bord du fleuve, y laissant pour témoin le roc de Rochemaure, de toutes les énergies

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