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le peu d'engrais, mais autour duquel la culture subissait suivant la distance une proportion décroissante. Dans l'impossibilité de renouveler les sucs nourriciers, on laissait au climat, à l'humidité naturelle de ce sol argileux, le soin de faire croître l'herbe. Ces habitudes ont marqué d'une empreinte ineffaçable la physionomie du pays. Si, en bien des endroits, grâce aux progrès modernes, les champs ont cessé de revêtir périodiquement l'aspect de genetières et de landes, ils sont toujours restés minuscules, enclos de haies que rehaussent souvent des levées de terre pour enfermer le bétail, toujours prêts en apparence à revenir sans changement à leur destination périodique de pâtis ou pâturages.

La dissémination des fermes est l'accompagnement naturel de ce mode d'exploitation. Tel est en effet le mode de peuplement. Ce qui montre sa corrélation avec la nature du sol, c'est qu'il cesse dans les campagnes calcaires qui bordent immédiatement le Massif. Sans communications faciles avec le dehors, dans ces enclos d'arbres, parmi ces closeries et ces pâturages, entre les étangs et les flaques bien plus multipliées autrefois et garnissant les moindres creux de terrain, s'éparpillaient sur toute la surface du pays les maisons basses et, le plus souvent, faute de matériaux, mal construites des habitants. Ainsi ont-ils toujours vécu, isolés par les longues saisons pluvieuses, en rapport seulement aux jours de fête ou de foire avec le monde extérieur.

Dans les contrées de sol moins morcelé et de circulation assez facile pour que, sans dommage pour l'exploitation des terres, les hommes puissent vivre groupés, c'est le bourg ou le village qui est devenu l'unité essentielle de la vie rurale. Cet état existe dans le Nord et dans l'Est. Chez la population rurale « agglomérée autour du clocher » s'est développée une vie propre, qui a eu sa force et son organisation dans l'ancienne France, la vie de village. Si borné qu'y soit l'horizon, si affaiblis qu'y parviennent les bruits du dehors, le village compose une petite société accessible aux influences générales. Au lieu d'être dispersée en molécules, la population y forme noyau; et ce rudiment d'organisation suffit pour donner prise sur elle.

En Lorraine, en Bourgogne, en Champagne, en Picardie, l'habitant de la campagne est surtout un villageois; dans l'Ouest, c'est un paysan. Parmi les variétés de caractères qui ont pu se développer chez lui subsistent, comme trait commun, les qualités ou défauts qui tiennent à l'isolement. Le village est un organe qui est resté languissant, par rapport au pullulement des fermes et des hameaux. La population ne s'y est pas concentrée. Si tenaces sont les habitudes contractées

COMPARAISON

AVEC L'EST DE LA FRANCE.

PAYSAN

ET VILLAGEOIS.

en conformité avec les conditions naturelles que, même de nos jours, il n'y a rien à reprendre à la description que traçaient, au xvII° siècle, les intendants: « Les paroisses, disait Miroménil, sont assez peuplées, mais il y a peu de gens dans les bourgs. » Ce qui, dans les mouvements populaires de la Révolution, servait de lieux de ralliement, c'était, sur mot d'ordre, des auberges de campagne, ou même

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CARTE. 52.

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RÉPARTITION PROPORTIONNELLE DE LA POPULATION ÉPARSE ET AGGLOMÉRÉE. (Extrait du Dénombrement de 1891, graphique n° 10.)

La population agglomérée est définie « celle qui se groupe immédiatement autour du clocher». Elle comprend, dans la région du Nord-Est, plus des neuf dixièmes des habitants. Au contraire, dans les départements qui correspondent à peu près en totalité au Massif primaire de l'Ouest, la proportion de la population éparse est de 73 pour 100 (Côtes-du-Nord), à 56,5 pour 100 (Loire-Inférieure, où la moyenne est abaissée par la présence d'une grande ville).

une lande, un arbre, une chapelle isolée. On a construit en Vendée des routes stratégiques: elles n'ont point formé d'agglomérations; la route de Cholet à La Roche traverse des lieues sans rencontrer un village. L'industrie même y répugne à la concentration dans les villes, et donne ainsi le spectacle d'une résistance aux influences présentes.

Il y a là entre les diverses régions de la France le principe de différences profondes. L'aspect des cartes topographiques où sont

figurés les hameaux et les fermes isolées peut donner une idée de ces variétés de répartition. Les fermes n'ont jamais été en France l'objet d'un recensement; mais du moins le dénombrement de 1891 nous a-t-il fait connaître le nombre des hameaux et principaux groupes distincts du chef-lieu de la commune 1. Il a permis aussi d'évaluer le chiffre de la population agglomérée et de la population éparse, en résumant ce rapport dans un croquis que nous croyons devoir reproduire, si sommaires et si imparfaites qu'en soient les indications.

Sans doute ce régime de population disséminée n'est pas particulier à l'Ouest, puisqu'il prévaut aussi dans le Centre et une partie du Midi. Mais dans cette région seulement il s'associe à une densité considérable de population, qui, même en Bretagne, est aux trois quarts au moins rurale. L'Ouest est une masse compacte, où, sur une étendue de plus de 60 000 kilomètres carrés, règnent des conditions relativement uniformes d'existence. Là sont les principaux contingents de cette France paysanne qui vit à côté de la France surtout urbaine et villageoise du Nord-Est et des bords de la Méditerranée. Malgré les variétés que les côtes, le contact de la mer et des influences extérieures ont çà et là introduites, l'impression dominante, conforme à celle que ses paysages laissent dans le souvenir, est celle. d'un grand pays rural, où les changements ne se produisent ni de la même manière ni du même pas qu'ailleurs.

1. Exemple de contraste: 18 926 hameaux dans le département de la Manche; 824 dans celui de l'Aube.

CHAPITRE II

LE POITOU ET LA PARTIE MÉRIDIONALE

DU MASSIF DE L'OUEST

LE POITOU
CALCAIRE.

L

E Poitou forme la transition vers l'Ouest. Il représente entre le Massif primaire de l'Ouest et le Massif central un seuil déprimé qui fut un détroit à l'époque où les mers de l'époque jurassique vinrent à interrompre leur continuité primitive. Lorsque, dans l'époque suivante, il eut émergé, les mers du Bassin parisien et de celui d'Aquitaine s'avancèrent à la rencontre les unes des autres, sans parvenir pourtant à se rejoindre. Ainsi le seuil est resté pendant une énorme période exposé à l'érosion. Cependant elle n'a pas réussi à enlever de la surface les couches sédimentaires déposées par les anciennes invasions marines. On voit, à une vingtaine de kilomètres au Nord de Poitiers, l'horizon barré par une ligne de coteaux uniformes c'est le talus des grès et sables dits cénomaniens qui terminent le pays verdoyant de Châtellerault et forment la transition entre Touraine et Poitou. Dès lors, les secs et durs calcaires de la plaine poitevine prennent possession de la surface. Ils la couvrent d'une couche en réalité très mince, car çà et là dans le lit des vallées des pointements de roches trahissent le voisinage du substratum archéen. Mais c'est assez pour imprimer au sol et aux habitants une physionomie autre que dans les massifs anciens, et pour ouvrir à la circulation générale des passages dont nous avons déjà montré l'importance.

A quelques lieues des reliefs mouvementés du Limousin, on voit s'étaler entre le Clain et la Charente une plate-forme calcaire que traversent en ligne droite chemin de fer et routes. La roche se décompose en une mince couche de terre rousse appelée groie,

empâtant d'innombrables plaquettes d'un calcaire légèrement marneux. Ces pierres assemblées en tas forment des chirons, ou sont disposées en murs de clôture autour des champs. Sur les parties plus renflées de la surface, la groie devient plus argileuse et plus chargée de silex; mais entre ces chailles, la terre, disent les paysans, est <«< douce comme de la soie ». C'est la terre légère, mais tout imprégnée de phosphore et de chaux, qu'il suffit de gratter avec l'araire primitif ou de remuer à la bêche pour obtenir les récoltes de blé et de noix qui suffisaient jadis à l'existence des habitants.

L'eau est rare; à défaut de puits, qui doivent descendre parfois jusqu'à 50 mètres, c'était jadis fort loin aux rivières et aux sources qu'il fallait recourir. Mais rares aussi sont les vallées. Souvent leur fond est à sec. Il y a des pertes de rivières, des cirques où l'eau disparaît, mais parfois aussi, comme le veut la nature perméable et fissurée de ces roches, des cavernes engendrant de belles sources, des dives aux eaux claires. Seules, quelques grandes rivières ont pu creuser, à travers ces roches dures et cimentées de silex, des vallées profondes aux flancs garnis de sources; mais le bas est souvent trop marécageux; la rouche s'y substitue aux prairies. Sur leurs bords escarpés, sur leurs promontoires en saillie, sur leurs rampes éclatantes et rocailleuses, d'anciens oppida, plus tard devenus des châteaux forts ou des villes, Poitiers, Lusignan, se sont installés. Celles-ci garnissent les corniches, elles s'inscrivent dans les courbes des rivières, elles s'étagent comme Poitiers entre la rivière lente et herbeuse et une ligne de marais. Dans l'intervalle des vallées, la population, d'ailleurs rare, est plutôt disséminée en hameaux que groupée en gros villages.

Ce pays, où de toutes parts les lignes horizontales obsèdent les yeux, n'est pourtant pas une surface dépouillée après la moisson, un vaste champ de labour triste et sans arbres. Si l'on parvient à l'embrasser d'un point élevé, il paraît garni d'arbres. C'est que la plaine poitevine est parsemée de terrains de transport arrachés par d'anciens ruissellements au Limousin ou à la Gâtine. Ces sols quartzeux, qui ont perdu par lavage la potasse dont ils étaient imprégnés, introduisent sur le plateau poitevin un élément exotique, quelque chose comme l'apparition subite d'un autre pays. Dès que s'élève à un certain niveau la convexité du plateau calcaire, on voit s'étendre des plaques argileuses et blanchâtres, dont jusqu'à ces derniers temps la culture n'avait pu faire la conquête. D'assez grandes forêts y subsistent au nord de Poitiers celle de Moulière, où les loups sont encore nombreux; ou, aux abords du Limousin, celle de Charroux, d'où les charbonniers acheminent par baudets leur denrée vers

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