Images de page
PDF
ePub

Depuis le célebre M. de la Bourdonnais, qui l'a gouvernée pendant dix à douze années, & qui doit être regardé comme le fondateur de la colonie, puifqu'il eft le premier qui y ait établi l'Agriculture, on a fans ceffe erré de projets en projets; on y a tenté la culture de toutes les efpeces de plantes, & l'on n'en a fuivi aucune. Le caffé, le coton, l'indigo, la cane à fucre, le poirier, le cannelier, le mûrier, le thé, le cacaoier, le roucou, tout a été cultivé par effais; mais avec cette légéreté qui ne permet aucun fuccès. Si l'on avoit fuivi le plan fimple du fondateur, qui étoit de s'affurer du pain, l'Isle seroit aujourd'hui florissante; l'abondance y régneroit parmi les Colons, les équipages des vaiffeaux y trouveroient les approvifionnements néceffaires.

La culture des grains, quoique négligée & mal entendue, eft celle qui réuffit le mieux. Les terres qui y font

employées rapportent fucceffivement chaque année une récolte de froment & une autre de riz ou de bled de Turquie, fans jamais fe repofer, fans recevoir aucun amendement, & fans autre labour, que celui que j'ai dit être pratiqué à Madagascar.

Le manioc, qui a été transporté du Bréfil par M. de la Bourdonnais, & qui ne fut d'abord cultivé qu'avec répugnance & par force, eft aujourd'hui la principale reffource des Colons pour la nourriture des efclaves. La culture de cette racine eft la même à l'Ifle de France qu'en Amérique. Je ne répéterai pas ici ce que plufieurs voyageurs en ont dit.

On avoit autrefois tranfporté de Madagascar dans cette Ifle, destroupeaux nombreux de boeufs & de moutons; mais depuis que l'on a calculé qu'il y avoit plus de profit particulier à transporter des efclaves que des bœufs, on a négligé l'augmentation

des troupeaux que les befoins continuels de la colonie & des vaiffeaux diminuent fans ceffe. D'ailleurs, on n'a encore formé dans l'Ifle aucun pâturage, où ils ont été formés avec fi peu d'intelligence, qu'aucun n'a réuffi. L'Ifle produit naturellement en différents cantons un gramen admirable, qui croît à la hauteur de cinq à fix pieds. Ce gramen fort de la terre au commencement de la faifon des pluies; il fait toute fa végétation dans l'efpace de trois mois que dure cette faifon. Les Colons profitent de ce temps pour y faire pâturer leurs troupeaux qui s'y engraiffent promptement; mais la végétation finie, il ne reste plus fur la terre qu'une paille trop dure pour que les bêtes puiffent s'en nourrir. Bientôt le feu apporté par mille accidents au milieu de ces pailles, les confument, & avec elles, une par-. tie des forêts voisines.

Pendant tout le refte de l'année,

les troupeaux vont errer & languir dans les bois. La plus grande faute qui ait été commise dans cette Isle, celle qui préjudicie le plus au fuccès de la culture, eft d'avoir défriché les forêts par le feu, fans laiffer aucun bois de distance en distance dans les défrichements. Les pluies qui, dans cette Ifle, font le feul amendement & le meilleur que la terre puiffe rece voir, fuivent exactement les forêts, s'y arrêtent, & ne tombent plus fur les terres défrichées. D'ailleurs, ces terres n'ont aucun abri contre la violence des vents, qui détruifent fouvent toutes les récoltes.

Nous avons vu ci-devant que les Hollandois qui n'avoient pas de bois au Cap, y en ont planté pour garantir leurs maifons. L'Ile de France en étoit couverte, & nos Colons les y ont détruits.

Obfervations faites à la Côte de
Coromandel.

Dans tous les temps, l'Agriculture a été floriffante aux Indes orientales; elle y a néanmoins beaucoup dégénéré depuis la conquête des Mogols qui, comme tous les peuples barbares, ont méprisé le travail qui nourrit l'homme, pour s'attacher à cet art deftructeur qui défole la terre.

En s'emparant du Pays, les conquérants s'en font approprié toutes les terres. Les Empereurs des Mogols les ont divisées en plufieurs grands fiefs amovibles qu'ils diftribuent aux Grands de leur Empire, lefquels les afferment à leurs vaffaux, & ceux-ci à d'autres; de forte que les terres ne font plus cultivées que par des journaliers & des valets de fous- fermiers.

Comme il n'eft pas de pays au monde plus fujet à la révolution que

« PrécédentContinuer »