Images de page
PDF
ePub

gens-là, je ne dis pas qu'ils sont masqués, car ils ne portent point leur masque, ils ne l'ont qu'à la main, et vous disent «Tenez, le voilà. » Cela est charmant, et j'aime tout à fait cette manière d'être ridicule; car enfin, il faut l'être, et de toutes les manières de l'être, celle qui mérite le moins de mépris à mon gré, c'est celle qui ne trompe point les autres, qui ne les induit pas en erreur sur notre compte; il n'y a que les vanités fines et souples qui me révoltent.

Les ridicules bien francs, qui ne se cachent point, comme je dis, qui se livrent à toute ma critique, à toute la moquerie que j'en puis faire, je ne leur dis mot, je les laisse là, ce serait battre à terre; mais ces fourberies d'une âme vaine, ces singeries adroites et déliées, ces impostures si bien concertées qu'on ne sait presque par où les prendre pour les couvrir de l'opprobre qu'elles méritent, et qui mettent presque tout le monde de leur parti, oh! que je les hais, que je les déteste !

Cependant il faut faire semblant de n'en rien voir; car on doit vivre avec tout le monde. Il ne s'agit pas de marquer ses dégoûts; et les gens qui se piquent de ne pouvoir souffrir ces sortes de défauts, qui les persécutent partout où ils les trouvent, je ne les aime pas trop non plus ces gens-là; ils ne sont point aimables. Et qu'ils n'aillent point dire qu'ils n'en agissent comme cela que parce qu'ils sont amis de la vérité : ce discours-là ne vaut rien; ces grands amis de la vérité ne la disent point quand ils parlent ainsi. Ce n'est pas le parti de la vérité qu'ils prennent là-dedans; c'est plutôt qu'ils sont extrêmement vains eux-mêmes, et que leur vanité ne saurait endurer le succès des fausses vertus des autres; cela fatigue leur amour-propre, et non pas leur raison.

Entendez-vous, messieurs les véridiques, ne nous vantez point tant votre caractère; je n'en voudrais pas,

moi. Vous n'êtes que des hypocrites aussi, avec cette haine vigoureuse dont vous faites profession contre certains défauts, et des hypocrites peut-être plus haïssables que les autres; car sous ce beau prétexte d'antipathie vertueuse pour la fausse modestie, vous ne trouvez personne à votre gré, vous satirisez tout le monde, aussi bien l'imposteur qui joue les vertus qu'il n'a pas, que l'honnête homme qui les a; vous êtes ennemis déclarés de tous les honneurs d'autrui, vous n'en voudriez que pour vous; tout ce qui est loué et estimé vous déplaît. Allez, je ne suis point votre dupe. Laissez les gens en paix; souffrez la vertu; pardonnez aux autres hommes leur vanité; elle est plus supportable que la vôtre, elle vit du moins avec celle de tout le monde. Les autres hommes ne sont que ridicules, et vous par-dessus le marché vous êtes méchants; ils font rire, et vous, vous offensez; ils ne cherchent que notre estime, et vous, vous ne cherchez que nos affronts; est-il de personnage plus ennemi de la société que le vôtre?

Cependant on a la bonté de vous craindre; c'est à qui sera de vos amis, afin de n'être pas mordu. J'ai remarqué même que votre protection, car votre amitié en est une, gâte ceux à qui vous l'accordez; ils ne s'inquiètent plus d'eux; il leur semble, parce que vous les aimez, que leur fortune est faite; ils ne se gênent plus, ils parlent haut, ils raisonnent sur les autres; ils les jugent. On les écoute, on les entoure; et pendant que tout le monde n'ouvre la bouche sur votre chapitre qu'avec crainte et respect, eux, ils jouissent superbement de l'avantage de parler de vous d'une manière aisée et familière; on voudrait bien être à leur place. Ils racontent vos reparties, vos jugements, vos audaces; ils ajoutent qu'ils vous querellent tous les jours, qu'ils vous retiennent, mais que vous n'entendez pas raison sur certaines

choses. C'est un étrange homme, disent-ils; il faut marcher droit avec lui; les caractères faux ne l'accommodent point. Du reste, c'est le meilleur garçon du monde, et le plus simple. Je lui dis ce que je veux, moi; quelquefois il se fàche, et il me divertit; mais on ne le changera point.

Tout ce que dis là, au reste, je l'ai vu arriver, comme je le raconte, et je le rends trait pour trait.

[blocks in formation]

Qu'est ce que ce respect humain1 qui nous arrête? timidité et pusillanimité. Nous craignons la censure du monde, et par là nous avouons au monde que nous n'avons pas assez de force pour le mépriser dans les conjonctures mêmes où nous le jugeons plus méprisable : aveu qui devrait seul nous confondre. Nous craignons de passer pour des esprits faibles, et nous ne pensons pas que cette crainte est elle-même une faiblesse, et la plus pitoyable faiblesse. Nous avons honte de nous

1. Bourdaloue, quelques pages plus loin, explique l'emploi de cette locution: « Pourquoi l'appelons-nous respect humain, sinon, dit l'Ange de l'école, saint Thomas, parce qu'en mille rencontres il nous fait respecter la créature plus que Dieu? Dieu me fait connaitre ses volontés, il me fait intimer ses ordres; mais l'homme à qui je veux plaire, ou à qui je crains de déplaire, ne les approuve pas; et moi qui dois alors décider, dans la seule vue de plaire ou de ne pas déplaire à l'homme, je deviens rebelle à Dieu : j'ai donc, en effet, plus de respect pour l'homme que pour Dieu; et quoique je sois convaincu de l'excellence et de la souveraineté de l'être de Dieu, c'est une conviction en idée qui n'empêche pas que réellement et actuellement je ne préfère l'homme à Dieu. >>

déclarer, et nous ne voyons pas que cette honte, pour m'exprimer de la sorte, est elle-même bien plus honteuse que la déclaration qu'il faudrait faire. Car qu'y a-t-il de plus honteux que la honte de paraître ce que l'on est et ce que l'on doit être? Une parole, une raillerie nous trouble, et nous ne considérons pas ni de quoi ni par qui nous nous laissons troubler. De quoi? puisqu'il n'est rien de plus frivole que la raillerie, quand elle s'attaque à la véritable vertu; par qui? puisque c'est par des hommes vains dont il nous doit peu importer d'être ou blamés ou approuvés; des hommes dont souvent nous ne faisons nulle estime; des hommes dont la légèreté nous est connue aussi bien que l'impiété; des hommes dont nous ne voudrions pas suivre les conseils, beaucoup moins recevoir la loi, dans une seule affaire; des hommes pour qui nous ne voudrions pas nous contraindre dans un seul de nos divertissements : ce sont là néanmoins ceux pour qui nous nous faisons violence, ceux que nous ménageons, ceux à qui, par le plus déplorable aveuglement, nous nous assujettissons en ce qui touche le plus essentiel de nos intérêts, savoir : le salut et la religion. Après cela, piquons-nous, je ne dis pas de grandeur d'àme, mais de sagesse et de solidité d'esprit; après cela, flattons-nous d'avoir trouvé la liberté en suivant le parti du monde. « Non, non, mes frères, reprend saint Chrysostome, ce n'est point là qu'on la trouve : bien loin d'y parvenir par là, c'est par là que nous tombons dans la plus basse servitude; et l'un des plus visibles châtiments que Dieu exerce déjà sur nous, quand nous voulons vivre en mondains, c'est qu'au même temps que nous pensons à secouer son joug, qu'il appelle et qu'il a bien sujet d'appeler un joug doux et aimable, il nous laisse prendre un autre joug mille fois plus humiliant et plus pesant, qui est le joug

du monde et des lois du monde. Caractère de servitude dans le respect humain, et caractère de lâcheté.

« Je dis làcheté, et lâcheté odieuse. J'appartiens à Dieu par tous les titres les plus légitimes, et comme homme formé de sa main, enrichi de ses dons, racheté de son sang, héritier de sa gloire; et comme chrétien, lié à lui par le nœud le plus inviolable, et engagé par une profession solennelle à le servir; mais au lieu de m'armer d'une sainte audace et de prendre sa cause en main, je l'abandonne, je le trahis1! Lâcheté impardonnable : on ne peut pas même la supporter dans ces âmes mercenaires que leur condition et le besoin attachent au service des grands; et ce qui doit bien nous confondre, c'est le zèle qu'ils font paraître, et où ils cherchent tant à se signaler dès qu'il s'agit de ces maîtres mortels dont ils attendent une récompense humaine et une fortune périssable. >>

De là nait pour les grands du monde, pour toutes les personnes qui ont quelque autorité, et qui tiennent quelque rang dans le monde, une obligation plus étroite et plus indispensable d'être non seulement sincères, mais exemplaires dans le culte de Dieu et dans l'exercice de leur religion; et c'est l'avis important que leur donne saint Augustin. « Car, dit ce Père, ce sont les grands qui doivent guérir cette faiblesse du respect humain dans les petits; ce sont ceux que Dieu a élevés qui doivent autoriser cette sainte liberté avec laquelle il veut être

1. Bourdaloue parle du respect humain en moraliste chrétien pour qui le respect humain consiste le plus souvent à n'oser, par peur du monde, remplir des devoirs pieux. Mais il y a aussi un respect humain laïque, si l'on peut dire, et qui consiste à n'oser parler ni agir comme on pense, et même quelquefois à parler et à agir comme on ne pense pas, et, comme on dit, à hurler avec les loups.

« PrécédentContinuer »