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servi; ce sont ceux à qui naturellement on veut plaire qui doivent témoigner par leur conduite que jamais l'impiété ni le vice ne leur plaira, mais qu'au contraire la religion et la vertu leur plaira toujours. Comme le respect humain s'attache à eux, et qu'ils en sont les objets, ce sont eux qui doivent le détruire, ou en sanctifier l'usage. Or, ils font l'un et l'autre, et par leurs paroles, et par leurs actions, quand ils parlent et qu'ils vivent en chrétiens et tel est le remède du respect humain. »

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Tout zèle de la perfection des autres, qui ne suppose pas un zèle sincère de se perfectionner soi-même, quelque droite intention d'ailleurs qui le fasse agir, est un zèle peu sensé, un zèle mal ordonné, un zèle même chimérique et faux, et par conséquent un zèle sans autorité du côté de celui qui l'exerce, et sans effet de la part de ceux envers qui on l'exerce. Pourquoi un zèle sans autorité du côté de celui qui l'exerce? Saint Grégoire pape en apporte la raison : « parce qu'il n'y a que le bon exemple que l'on donne, et le témoignage qu'on se rend d'avoir commencé par soi-même, qui puisse autoriser une entreprise aussi délicate que celle de réformer les autres; et que, du moment que le zèle n'est pas soutenu d'une régularité au moins égale à celle qu'il exige du prochain, et dont il veut faire une loi au prochain, il n'a plus même cette bienséance qui

lui serait nécessaire pour se déclarer et pour agir. Je m'explique. Vous vous inquiétez de mille choses que vous prétendez être autant d'abus, et à quoi l'on convient avec vous qu'il serait bon d'apporter remède; mais on vous dit, au même temps, que cette inquiétude vous sied mal, tandis que tout ce qu'il y a dans vous-même de blâmable et souvent d'insupportable ne trouble en rien votre tranquillité. Vous êtes touché des injustices et des désordres qui règnent dans notre siècle, et l'on ne peut pas désavouer qu'il n'y en ait de très grands et en très grand nombre; mais d'ailleurs on vous répond que vous avez mauvaise grâce de parler si haut, et de déclamer avec tant de chaleur contre des désordres étrangers, tandis que vous prenez si peu garde à certains désordres visibles qu'on remarque dans votre personne, et que vous y pourriez remarquer. Vous donnez des avis salutaires, et peut-être, eu égard aux sujets et aux circonstances, ces avis sont-ils bien fondés; mais, quelque bien fondés qu'ils puissent être, on ne comprend pas avec quelle assurance vous osez les donner à celui-ci ou à celle-là, et les donner si exactement, et les donner si rigoureusement, en ne vous les donnant jamais à vous-même. Car on a toujours droit de s'étonner que des défauts dont Dieu ne vous a point fait responsable, et qu'il ne tient pas à vous de corriger, excitent tant vos murmures et vos plaintes, lorsque les vôtres, dont vous devriez être encore plus en peine, et dont Dieu vous demandera compte, ne font sur vous nulle impression. Ordonnez dans vous la charité, selon le précepte et l'expression du Saint-Esprit ; c'est-à-dire avertissez-vous vous-même, reprenez-vous vous-même, scandalisez-vous de vous-même; et puis vous serez reçu à reprendre et à censurer les autres. Sans cela, non seulement votre zèle n'a rien que de faible, mais il devient

même en quelque sorte méprisable, puisqu'il porte avec soi sa réfutation, et qu'il n'y a qu'à l'opposer à luimême pour le faire taire et pour le confondre. »

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Qu'y a-t-il de plus commun, dans le christianisme, que l'illusion de ce zèle pharisaïque, qui consiste à ètre éclairé pour les autres, régulier pour les autres, fervent pour les autres, et pour soi-même sans exactitude, sans attention, sans réflexion? Que voit-on maintenant dans le monde? Vous le savez des gens qui voudraient rétablir l'ordre partout ailleurs que dans leurs personnes et dans leur conduite; des laïcs corrompus et peut-être impies, qui prêchent sans cesse le devoir aux ecclésiastiques; des séculiers mondains et voluptueux, qui ne parlent que de réforme pour les religieux; des hommes de robe pleins d'injustices, qui invectivent contre le libertinage de la Cour; des courtisans libertins, qui déclament contre les injustices des hommes de robe; des particuliers d'une conduite déréglée, qui cherchent des moyens pour remettre ou pour maintenir la règle dans l'État, mais à qui l'on pouvait bien dire ce que Jésus-Christ disait à ces femmes de Jérusalem: Nolite flere super me, sed super vos ipsas flete1; « ne pleurez point sur moi, mais sur vous-mêmes. »

En effet, on s'afflige et on gémit, on se plaint que le monde se pervertit tous les jours, qu'il n'y a plus de religion, que les intérêts de Dieu sont abandonnés; et l'on ne gémit pas sur les relâchements où l'on tombe et où l'on s'entretient, sur la mauvaise éducation qu'on donne à ses enfants, sur les débauches qu'on tolère dans ses domestiques. Saint Paul avait peine à comprendre comment celui qui n'a pas soin de sa maison

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pouvait avoir le zèle de l'Église de Dieu : Quomodo Ecclesiæ Dei diligentiam habebit1?

De là, zèle sans effet de la part de ceux envers qui on l'exerce, et voici pourquoi : car, comme nous n'aimons pas à être corrigés, et que naturellement toute réforme qui nous vient d'ailleurs que de nous-mêmes, par la seule raison qu'elle vient d'ailleurs, nous blesse et nous révolte, nous nous attachons volontiers à examiner quiconque, sous une apparence de zèle et de charité, veut prendre l'ascendant sur nous; et nous croyons bien nous en défendre, quand nous remarquons dans lui certains faibles qu'il ne remarque pas lui-même, et sur quoi il ne se fait pas justice. Par là nous éludons toutes ses remontrances; par là nous savons lui fermer la bouche; par là, bien loin de l'écouter, nous devenons fiers et indociles; par là nous pensons avoir droit de lui répondre ce que répondit Jéthro à Moïse Stulto labore consumeris2; « vous travaillez en vain, et vous prenez une peine bien inutile. » La plus grossière des erreurs est de penser que l'on vous croira, lorsqu'il parait par votre conduite que vous ne vous croyez pas vous-même; que l'on suivra vos conseils, quand vous êtes le premier dans la pratique à les abandonner. C'est bàtir d'une main tandis que l'on détruit de l'autre ce que l'Écriture traite de folie. De là vient que ceux qui, dans le monde et par office, sont chargés de répondre des autres et de les corriger, ont une double obligation; mais une obligation, dit saint Augustin, aussi terrible devant Dieu qu'elle est indispensable, de s'appliquer avant toutes choses à leur perfection propre, pour se

1. Tim., III, 5.

2. Exod., xvIII, 18,

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Onuphre n'a pour tout lit qu'une housse de serge grise, mais il couche sur le coton et sur le duvet; de même il est habillé simplement, mais commodément, je veux dire d'une étoffe fort légère en été, et d'une autre fort moelleuse pendant l'hiver; il porte des chemises très déliées, qu'il a un très grand soin de bien cacher. Il ne dit point: Ma haire et ma discipline3; au contraire; il passerait pour ce qu'il est, pour un hypocrite, et il veut passer pour ce qu'il n'est pas, pour un homme dévot : il est vrai qu'il fait en sorte que l'on croie, sans qu'il le dise, qu'il porte une haire et qu'il se donne la discipline. Il y a quelques livres répandus dans sa chambre indifféremment*; ouvrez-les c'est le Combat spirituel, le Chrétien intérieur et l'Année sainte : d'autres livres sont sous la clef. S'il marche par la ville, et qu'il découvre de loin un homme devant qui il est nécessaire qu'il soit

1. Onuphre est le personnage de Tartuffe, tel que le comprend La Bruyère en 1691. Il le compare avec le Tartuffe que Molière avait représenté en 1667, et signale les différences et les ressemblances d l'un et l'autre hypocrite. Il a de même refait le Misanthrope.

2. Très fines.

3. Allusion au vers de Molière (Tartuffe, I. 2) : « Laurent, serrez ma haire avec ma discipline. » C'est la première parole de Tartuffe entrant en scène. — La haire est une sorte de chemise de crin, que l'on met sur sa chair pour faire pénitence et se mortifier; la discipline est un instrument de flagellation.

4. Négligemment.

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