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c'est pourquoi on trouvera dans leurs vers le pour et le contre; des sentences admirables pour la vertu, et contre elle les vices y seront blâmés et loués également; et pourvu qu'ils le fassent en de beaux vers, leur ouvrage est accompli. On trouvera dans ce philosophe un recueil de vers d'Homère pour et contre la vérité et la vertu : le poète ne paraît pas se soucier de ce qu'on suivra; et pourvu qu'il arrache à son lecteur le témoignage que son oreille a été agréablement flattée, il croit avoir satisfait aux règles de son art: comme un peintre, qui sans se mettre en peine d'avoir peint des objets qui portent au vice, ou qui représentent la vertu, croit avoir accompli ce qu'on attend de son pinceau, lorsqu'il a parfaitement imité la nature. C'est pourquoi, ceci est encore le raisonnement de Platon, sous le nom de Socrate, lorsqu'on trouve dans les poètes de grandes et admirables sentences, on n'a qu'à approfondir, et à les faire raisonner dessus, on trouvera qu'ils ne les entendent pas. Pourquoi? dit ce philosophe. Parce que, songeant seulement à plaire, ils ne se sont mis en aucune peine de chercher la vérité.

Un philosophe blâme ces arts, et les bannit de sa république avec des couronnes sur la tête et une branche de laurier dans sa main. Mais ce philosophe est-il lui-même plus sérieux, lui qui, ayant connu Dieu, ne le connaît pas pour Dieu; qui n'ose annoncer au peuple la plus importante des vérités; qui adore avec lui des idoles et sacrifie la vérité à la coutume? Il en est de même des autres qui, enflés de leur vaine philosophie, parce qu'ils seront ou physiciens, ou géomètres, ou astronomes, croiront exceller en tout, et soumettront à leur jugement les oracles. que Dieu envoie au monde pour le redresser la simplicité de l'Écriture causera un dégoût

extrême à leur esprit préoccupé; et autant qu'ils sembleront s'approcher de Dieu par l'intelligence, autant s'en éloigneront-ils par leur orgueil Quantum propinquaverunt intelligentia, tantum superbia recesserunt, dit saint Augustin. Voilà ce que fait dans l'homme la philosophie, quand elle n'est pas soumise à la sagesse de Dieu elle n'engendre que des superbes et des incrédules.

BOSSUET.

Traité de la concupiscence, ch. xvi.

11.

Qu'un méchant livre est une mauvaise action.

Mais si les fautes que les faux savants commettent dans les conversations sont excusables, les fautes où ils tombent dans leurs livres, après y avoir sérieusement pensé, ne sont pas pardonnables, principalement si elles sont fréquentes, et si elles ne sont point réparées par quelques bonnes choses; car enfin, lorsque l'on a composé un méchant livre, on est cause qu'un très grand nombre de personnes perdent leur temps à le lire, qu'ils tombent souvent dans les mêmes erreurs dans lesquelles on est tombé, et qu'ils en déduisent encore plusieurs autres, ce qui n'est pas un petit mal.

Mais, quoique ce soit une faute plus grande qu'on ne s'imagine, que de composer un méchant livre, ou simplement un livre inutile, c'est une faute dont on est plutôt récompensé qu'on en est puni; car il y a des crimes que les hommes ne punissent pas, soit parce qu'ils sont à la mode, soit parce qu'on n'a pas d'ordinaire une raison assez ferme pour condamner des criminels qu'on estime plus que soi.

On regarde ordinairement les auteurs comme des

hommes rares et extraordinaires, et beaucoup élevés au-dessus des autres; on les révère donc au lieu de les mépriser et de les punir. Ainsi il n'y a guère d'apparence que les hommes érigent jamais un tribunal pour examiner et pour condamner tous les livres qui ne font que corrompre la raison.

MALEBRANCHE.

De la recherche de la vérité, IV, 8.

12. Le devoir de l'écrivain.

Il faut écrire parce que l'on pense, parce que l'on est pénétré de quelque sentiment, ou frappé de quelque vérité utile. Ce qui fait qu'on est inondé de tant de livres froids, frivoles ou pesants, c'est que l'on ne suit pas cette maxime. Souvent un homme qui a résolu de faire un livre, se met devant sa table, sans savoir ce qu'il doit dire, ni même ce qu'il doit penser; ayant l'esprit vide, il essaie de remplir du papier, il écrit et efface, et forge des pensées et des phrases, comme le maçon bat du plâtre, ou comme l'artisan le plus grossier travaille à un ouvrage mécanique. Ce n'est pas le cœur qui l'inspire, ce n'est pas la réflexion qui le conduit, et ce qu'il laisse partout apercevoir, c'est l'envie d'avoir de l'esprit, et la fatigue que ce soin lui coûte. On trouve dans tout ce qu'il écrit cette empreinte dure et' cet importun caractère, car il est naturel que les ouvrages de la volonté portent la marque de leur origine. On voit un auteur qui sue pour penser, qui sue pour se faire entendre; qui, après avoir formé quelques idées toujours imparfaites, et plus subtiles que vraies, s'efforce de persuader ce qu'il ne croit pas, de faire

sentir ce qu'il ne sent pas, d'enseigner ce que lui-même ignore; qui, pour développer ses réflexions, dit des choses aussi faibles et aussi obscures que ses pensées mêmes : car ce que l'on conçoit nettement, on n'a pas besoin de le commenter; mais ce qu'on ne fait qu'entrevoir, ou ce qu'on imagine faiblement, on l'allonge plus aisément qu'on ne l'explique. L'esprit se peint dans la parole, qui est son image, et les longueurs du discours sont le sceau des esprits stériles et des imaginations ténébreuses; de là vient qu'il y a tant de remplissage dans les écrits, et si peu de choses utiles. Si l'on voulait ramener d'assez longs ouvrages à leurs principaux chefs, on verrait que tout se réduit à un très petit nombre de pensées, étendues avec profusion, et partout mêlées d'erreurs; et ce défaut, que l'on remarque dans les livres de réflexion, n'est pas moins sensible dans les ouvrages de pur sentiment: c'est une abondance stérile qui rebute, une vaine richesse de paroles qui ne couvre point la nudité des idées, des sentiments faibles dans le cœur, et bouffis par l'expression, de fausses couleurs, des mouvements feints et forcés. Aussi voyons-nous peu d'ouvrages qui se fassent lire sans peine il faut travailler pour démêler le sens d'un philosophe qui a cru s'entendre, pour découvrir le rapport des pensées d'un poète avec les images dont il les revêt, pour suivre les prolixités d'un orateur qui ne va point au but, et ne convainc ni ne touche. S'il fallait en juger par ces écrits, un livre n'est pas une suite d'idées qui naissent nécessairement les unes des autres; ce n'est pas un tableau où les yeux s'attachent d'eux-mêmes, et saisissent avidement les fortes images du vrai; ce n'est pas l'invention d'un homme qui s'oblige par son travail à nous épargner la peine de nous appliquer pour nous instruire: cet ordre si naturel est renversé; c'est le lecteur lui

même qui est obligé de s'ennuyer, pour trouver le mérite d'un ouvrage où l'on a prétendu le divertir; et, comme il n'imagine pas qu'un gros volume puisse ne contenir que peu de matière, ou que ce qui a coûté visiblement tant de travail soit si dépourvu de mérite, il croirait volontiers que c'est sa faute, s'il n'est pas plus amusé ou plus instruit.

Concluons de tout cela qu'il faut avoir pensé avant d'écrire, qu'il faut sentir pour émouvoir, connaître avec évidence pour convaincre, et que tous les efforts qu'on fait pour paraitre ce qu'on n'est pas, ne servent qu'à manifester plus clairement ce que l'on est. Pour moi, je voudrais que ceux qui écrivent, poètes, orateurs, philosophes, auteurs en tout genre, se demandassent du moins à eux-mêmes Ces pensées que j'ai proposées, ces sentiments que j'ai voulu inspirer, cette lumière, cette évidence de la vérité, cette chaleur, cet enthousiasme, que j'ai tâché de faire naître, en étais-je pénétré moi-même? En un mot, les ai-je contrefaits, ou éprouvés? Je voudrais qu'ils se persuadassent qu'il ne sert de rien d'avoir mis de l'esprit dans un ouvrage, quand on n'y a pas joint le talent d'instruire et de plaire. Je leur demanderais enfin de se souvenir de cette maxime, et de la graver en gros caractères dans leur cabinet : que l'auteur est fait pour le lecteur, mais que le lecteur n'est pas fait pour admirer l'auteur qui lui est inutile.

VAUVENARGUES.

Fragments.

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