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4. De la satisfaction de soi-même.

La satisfaction qu'ont toujours ceux qui suivent constamment la vertu est une habitude en leur âme, qui se nomme tranquillité et repos de conscience; mais celle qu'on acquiert de nouveau, lorsqu'on a fraichement fait quelque action qu'on pense bonne, est une passion, à savoir une espèce de joie, laquelle je crois être la plus douce de toutes, pour ce que sa cause ne dépend que de nous-mêmes. Toutefois, lorsque cette cause n'est pas juste, c'est-à-dire lorsque les actions dont on tire beaucoup de satisfaction ne sont pas de grande importance ou même qu'elles sont vicieuses, elle est ridicule et ne sert qu'à produire un orgueil et une arrogance impertinente1, ce qu'on peut particulièrement remarquer en ceux qui, croyant être dévots, sont seulement bigots et superstitieux, c'est-à-dire qui, sous ombre qu'ils vont souvent à l'église, qu'ils récitent force prières, qu'ils portent les cheveux courts, qu'ils jeûnent, qu'ils donnent l'aumône, pensent être entièrement parfaits, et s'imaginent qu'ils sont si grands amis de Dieu, qu'ils ne sauraient rien faire qui lui déplaise, et que tout ce que leur dicte leur passion est un bon zèle, bien qu'elle leur dicte quelquefois les plus grands crimes qui puissent être commis par des hommes, comme de trahir des villes, de tuer des princes, d'exterminer des peuples entiers, pour cela seul qu'ils ne suivent pas leurs opinions.

DESCARTES.

Les Passions de l'âme, 3° partie, art. 190.

1. Cf. l'extrait intitulé: Contre l'enflure du cœur, page 264 de ce recueil.

5. Le remords.

Chaque homme a au milieu du cœur un tribunal où il commence par se juger soi-même, en attendant que l'Arbitre souverain confirme la sentence. Si le vice n'est qu'une conséquence physique de notre organisation, d'où vient cette frayeur qui trouble les jours d'une prospérité coupable? Pourquoi le remords est-il si terrible, qu'on préfère de se soumettre à la pauvreté et à toute la rigueur de la vertu, plutôt que d'acquérir des biens illégitimes? Pourquoi y a-t-il une voix dans le sang, une parole dans la pierre? Le tigre déchire sa proie, et dort; l'homme devient homicide, et veille. Il cherche les lieux déserts, et cependant la solitude l'effraye; il se traine autour des tombeaux, et cependant il a peur des tombeaux. Son regard est mobile et inquiet il n'ose regarder le mur de la salle du festin, dans la crainte d'y lire des caractères funestes 1. Ses sens semblent devenir meilleurs pour le tourmenter il voit au milieu de la nuit des lueurs menaçantes; il est toujours environné de l'odeur du carnage; il découvre le goût du poison dans les mets qu'il a lui-même apprêtés; son oreille, d'une étrange subtilité, trouve le bruit où tout le monde trouve le silence; et sous les vêtements de son ami, lorsqu'il l'embrasse, il croit sentir un poignard caché.

:

O conscience! ne serais-tu qu'un fantôme de l'imagination, ou la peur des châtiments des hommes ?? Je m'interroge; je me fais cette question : « Si tu pouvais, par un seul désir, tuer un homme à la Chine et hériter

Allusion à l'inscription qui apparut sur les murs du palais de Balthasar.

2. L'école anglaise contemporaine a soutenu cette thèse de l'origine empirique de la conscience.

de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu'on n'en saurait jamais rien, consentirais-tu à former ce projet ? » J'ai beau m'exagérer mon indigence; j'ai beau vouloir atténuer cet homicide en supposant que par mon souhait le Chinois meurt tout à coup sans douleur, qu'il n'a point d'héritier, que même à sa mort ses biens seront perdus pour l'État ; j'ai beau me figurer cet étranger comme accablé de maladies et de chagrins; j'ai beau me dire que la mort est un bien pour lui, qu'il l'appelle lui-même, qu'il n'a plus qu'un instant à vivre : malgré mes vains subterfuges, j'entends au fond de mon cœur une voix qui crie si fortement contre la seule pensée d'une telle supposition, que je ne puis douter un instant de la réalité de la conscience.

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Le repentir est littéralement le retour que fait l'âme sur elle-même pour se punir d'une faute qu'elle a commise; c'est une peine, un châtiment qu'elle s'inflige intérieurement, c'est le contre-coup naturel, la réaction du péché dans une conscience qui a conservé le sentiment de ses devoirs et de sa destination. Le repentir est donc un hommage tardif à la loi morale, l'hommage du regret; hommage, hélas! que nous mettons si souvent à la place d'un culte plus réel et plus direct; hommage dont nous sommes réduits à nous parer comme on se pare d'un crêpe aux funérailles d'un ami; mais quelle différence! l'ami que nous honorons par ce deuil de l'âme, c'est nous qui avons creusé sa tombe; ce devoir trahi, c'est nous qui l'avons trahi; cette bonne

œuvre négligée, c'est nous qui l'avons négligée; cette affection violée, c'est par nous qu'elle l'a été! Triste condition de notre nature dégradée, qui sans cesse a besoin de se laver dans les larmes, qui se console par la douleur même, et ne répare sa beauté primitive qu'en gémissant sur sa laideur présente! Mais que penser, d'un autre côté, de l'âme qui ne saurait plus se repentir? Comment une telle douleur serait-elle sans beauté? N'est-il pas des cas où le repentir équivaut et dispute même le prix aux belles actions, où le repentir est une grande œuvre? N'est-ce pas appuyées sur le repentir que des âmes énergiques ont pris l'essor le plus élevé? Le repentir, dans l'état actuel de notre nature, n'est-il pas souvent le plus pur de nos actes moraux et le plus efficace de nos exemples? Ne faut-il pas se féliciter et bénir Dieu lorsque, dans l'âme comprimée par le péché, cet énergique ressort se manifeste et repousse un odieux fardeau?... Otez le repentir de la vie humaine, combien ne sera-t-elle pas dévastée et flétrie, en supposant qu'il puisse rester la moindre place pour la vertu dans une âme où il n'en resterait aucune pour le repentir!

Nous enlever le repentir, ce n'est pas seulement nous dépouiller, c'est dépouiller tous ceux que nous avons offensés; notre repentir n'est-il pas leur bien? leur bien chèrement acquis? et trop souvent l'unique indemnité que nous puissions leur offrir? C'est là seulement qu'ils nous retrouvent tels que nous n'aurions jamais dù cesser d'être pour eux; c'est là que nous nous retrouvons nousmêmes, bons, équitables, compatissants, délicats, après avoir été le contraire de tout cela; c'est là que notre sens moral reparait dans sa rectitude; en sorte que si notre vie entière prenait le caractère de ces moments d'une amère douceur, si nous avions, à la rencontre de chaque épreuve, les mêmes dispositions que nous trou

vons en nous après l'épreuve subie, notre vie serait aussi douce à nos entours qu'elle leur est pénible. Qu'elles soient donc bénies ces heures tristes où nous leur rendons en regrets ce que nous aurions dû leur donner en bons offices et en bons procédés! Heureux sommes-nous de sentir en nous ce retour de charité, bien qu'inefficace! Heureux sont-ils de se trouver obligés d'aimer ceux qu'un souvenir amer leur conseillait peut-être de hair!

Mais, après avoir rendu à ce précieux mouvement de l'âme toute la justice qu'il mérite, nous devons signaler ce qui lui manque pour répondre à toute l'étendue des besoins de l'àme humaine.

Remarquons d'abord, si ce n'est à la charge du repentir, du moins à la charge de l'humanité, que le vrai repentir est bien plus rare qu'on ne pense. Son nom est bien souvent appliqué à des états moraux, à des impressions qui en diffèrent essentiellement. Combien de fois n'appelle-t-on pas repentir ce qui n'est que honte ou dépit d'orgueil! Cette méprise est trop facile. L'homme est intéressé de deux manières à l'accomplissement de la loi morale par la conscience d'abord, puis par le respect de sa propre dignité. La loi morale une fois reconnue, nous en faisons une partie de nous-mêmes; et nous la respectons à ce titre. Nous appliquons notre force et nous mettons notre honneur à la pratiquer exactement. Nous jouissons par amour-propre d'une fidélité qui rend témoignage de notre force; nous souffrons par orgueil d'une infidélité qui nous révèle notre faiblesse. Alors c'est moins à la loi qu'à nous-mêmes que nous faisons amende honorable; mais cette distinction nous échappe; elle se perd dans un vague sentiment de déplaisir et de confusion, que, sans plus d'examen, nous appelons repentir. Si nous y regardions de plus

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