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cas, c'est l'obstination qu'il honore; et jusque dans le mal, il applaudit à la persévérance. Une conduite radicalement mauvaise s'absout dans l'opinion à force de conséquence. Les circonstances du temps où nous vivons ont pu imprimer une nouvelle force à cette tendance de l'opinion. Les variations, la versatilité de tant d'hommes de notre âge, ont manifestement une autre cause que le repentir. L'intêrêt, qui en est le mobile à peu près avoué, les a justement flétries, et a relevé d'autant le prix de la constance, quel qu'en soit d'ailleurs le principe. Il convient à la noblesse de notre nature corrompue, réduite à choisir entre des misères, de préférer hautement celle de l'orgueil à celle de la cupidité. Il en est résulté, grâce à la grossièreté de nos perceptions morales, que le repentir, qui a un faux air d'inconstance, est généralement décrédité. Ne rien désavouer, ne jamais revenir sur ses pas, fait partie aujourd'hui de l'idéal d'un homme fort. On n'est plus en état de voir que c'est dans le repentir qu'est la force. Chacun veut que sa vie ressemble à un livre imprimé, où ne se reproduit au ́cune des ratures du manuscrit; chacun se pique d'avoir une vie sans ratures; on voudrait ne pas même laisser soupçonner la trace des hésitations, des combats intérieurs qui précèdent toute résolution importante; il ne tient pas à nous qu'on ne nous croie, sur chaque sujet, soudainement illuminés, infailliblement inspirés; et le vieil adage qui dit que l'erreur est le propre de l'humanité, existe pour tout le monde en général et pour personne en particulier1.

VINET.

Discours sur quelques sujets religieux.

Le repentir et la repentance.

1. Vinet poursuit, après ces pages, la démonstration qui s'y faisait déjà jour. Pour lui il n'y a de véritable repentir que celui que sou

7.

Contre l'esprit de compromis1.

On ne renonce pas à un certain degré de vertu; et l'on regarderait comme un outrage, si l'on était accusé d'en manquer car il y a de la gloire à vivre dans sa profession d'une manière pure et exemplaire. Mais on serait presque aussi sensible au reproche d'être dévot qu'à l'accusation d'être mondain.

On trouve certaine bassesse et certaine obscurité à être pleinement homme de bien, solidement humble, profondément pénétré de la religion, attendri jusqu'au fond du cœur par une vive piété2, préparé à tous les mépris, consacré à la pénitence, mort à tous les désirs et à toutes les espérances du siècle, plein en tout de l'esprit et des sentiments de Jésus-Christ crucifié. On laisse à d'autres ce précieux héritage. On ne prétend pas à une telle perfection, si peu d'usage dans le monde, et qui coûte si cher; et l'on ne comprend pas qu'en l'abandonnant on a laissé tout échapper; qu'on n'a retenu que des feuilles, et laissé à d'autres le fruit; qu'on leur a cédé la vérité, et qu'on s'est contenté d'un fantôme et d'une ombre.

La piété ne commence à être vraie que lorsqu'on s'y livre pleinement, qu'on cesse d'employer à son égard le compas et la mesure, qu'on s'efforce de lui ouvrir et de lui élargir tout son cœur, et de l'en rendre absolument maîtresse. Les ménagements sont une suite de nos

tient le sentiment religieux. On ne peut aimer la loi, on peut aimer Dieu. Et on ne se repent que quand on aime. Le repentir que Vinet appelait « le repentir naturel » restait en deçà. Il appelle repentance le repentir ainsi achevé.

1. « L'esprit de compromis, voilà Satan. » IBSEN, Brand.

2. Ce que Du Guet dit de la piété peut s'entendre d'une vertu purement laïque:

ténèbres, et une preuve de notre peu d'amour. On n'a pas commencé de marcher, quand on craint d'aller trop loin, et d'atteindre le terme et le but. Et l'on ignore où réside la gloire et l'honneur, quand on rougit de la plus honorable distinction qui puisse être entre les hommes, et qui vient uniquement de la piété1.

DU GUET.

Traité de la prière, 3o partie.

8.

Sur la fausse pénitence.

Ce n'est donc pas l'hypocrisie, et cette feinte indigne qui a recours aux pratiques extérieures de la vertu pour cacher ses crimes, que je me propose ici de combattre : c'est au contraire l'erreur de la bonne foi, et l'excès de confiance que la plupart des âmes mondaines mettent en ces devoirs extérieurs, lesquelles ne comptant pour rien la conversion du cœur et le changement de vie,

1. Cf. VINET, Discours sur quelques sujets religieux (Le chrétien dans la vie active). « Qu'est-ce que ce marchandement perpétuel entre l'homme et Dieu ? Qu'est-ce que ce chrétien occupé à faire minutieusement la part de Dieu et la sienne, et tout rempli de la crainte d faire la sienne trop petite? Qu'est-ce que ce fidèle qui prétend se partager en deux, le mondain et le fidèle, comme s'il ne fallait pas de toute nécessité que le mondain fùt tout mondain et le fidèle tout fidèle? Qu'est-ce que cet homme qui a deux cœurs, l'un pour le monde, l'autre pour Dieu? Qu'est-ce que ce dévouement qui fait ses conditions, qui prend ses réserves, qui stipule ses indemnités? Oh! l'amour est un meilleur casuiste. L'amour a bientôt tranché la difficulté Tout pour Dieu et rien pour moi, voilà sa devise. Tout pour Dieu, pourvu que Dieu soit avec moi. Qu'alors il enrichisse ou dépouille ma vie, qu'il étende ou resserre mon activité, qu'il satisfasse mes goûts ou qu'il les contrarie, si j'ai mon Dieu, j'ai tout à la fois. C'est lui que je veux servir, c'est à lui que je veux plaire; le reste est indifférent. »

vivant toujours dans les mêmes désordres, sont plus tranquilles dans cet état, parce qu'elles y mêlent quelques œuvres de piété, et se flattent d'une compensation qui déshonore la piété même, et qui, leur faisant perdre tout le mérite de ces œuvres, leur laisse toujours toute l'impénitence et toute l'énormité de leurs crimes. Or, voilà une illusion universellement répandue dans le monde.

Ainsi on taxe son jeu et ses plaisirs pour les pauvres : on les fait entrer en société de son gain; et la fureur du jeu, si opposée au sérieux et à la dignité de la vie chrétienne, n'a plus rien de criminel à nos yeux, depuis qu'on a trouvé le secret de mettre les pauvres de moitié dans cette passion effrénée. Ainsi on ouvre sa maison à des serviteurs de Dieu, on cultive leur amitié, on conserve avec eux des liaisons d'estime et de confiance, on les intéresse à demander à Dieu notre conversion, et on est bien plus tranquille sur ses crimes depuis qu'on a chargé des gens de bien d'obtenir pour nous la grâce de la pénitence. Ainsi enfin on consacre certains jours à la séparation et à la retraite on s'enferme dans une maison sainte, plutôt pour jouir quelques moments plus à loisir de la paresse, que pour fuir les plaisirs: on favorise tout ce qui peut être utile au bien: on se choisit un guide fameux et éclairé : on parait plus souvent au pied du tribunal sacré on est de toutes les assemblées de piété on s'interdit même certains abus publics dont on ne faisait pas autrefois de scrupule; on passe dans le monde pour avoir pris le parti de la vertu; cependant hors les grands crimes dont on est sorti, tout le reste est encore le même; le cœur toujours plein de jalousies, d'antipathies, de désirs d'élévation et de faveur, les entretiens également assaisonnés d'amertume, de satire, de malignité envers nos frères; la vie pas moins tiède,

sensuelle, oisive, inutile; les soins du corps et de la figure pas moins vifs et empressés; l'humeur et la hauteur dans un domestique point adoucie; la sensibilité pour le plus léger mépris ou pour un simple oubli, pas moins excessive. Malgré tout cela on se rassure, parce qu'on se voit environné de tous les signes de la piété; qu'on a pris tous les moyens extérieurs d'assurer sốn salut, et qu'on n'a oublié que celui de se changer soi

même.

Non, mes frères, la confiance qui prend sa source dans les œuvres extérieures de la piété, met le cœur dans une fausse tranquillité, dont on ne revient guère; c'est par là que le peuple juif, fidèle observateur des pratiques extérieures, persévéra jusqu'à la fin dans son aveuglement. Aussi les prophètes que le Seigneur leur suscitait, de siècle en siècle, bornaient presque tout leur ministère à les détromper de cette erreur dangereuse. « Ne comptez pas, leur disaient-ils, sur les victimes et sur les offrandes que vous venez présenter à l'autel; ne vous confiez pas sur la multitude de vos œuvres et de vos observances légales: ce que le Seigneur demande de vous, c'est un cœur pur, c'est une pénitence sincère, c'est la cessation de vos crimes, c'est un amour sincère de ses commandements, c'est une vie sainte et innocente, c'est de déchirer vos cœurs et non vos vêtements, c'est d'ôter le mal qui est au milieu de vous. »

MASSILLON

Sermon sur le véritable culte.

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