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9. Contre l'enflure du cœur.

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N'aimez point vos fautes mais aimez l'utile humiliation qui les suit. N'en négligez aucune; mais ne travaillez point à les corriger par orgueil. Craignez plus l'éclat de la vertu, et l'admiration qu'elle attire, que vos faiblesses et vos péchés; car le plus grand de tous est l'enflure du cœur, et une vaine complaisance dans sa justice, dont quelquefois certaines imperfections extérieures sont le remède. Dès qu'on est tombé, il faut penser à Dieu, et non aux hommes; se relever avec paix, et non descendre encore plus bas par le dépit, la mauvaise honte, et le découragement. Regardez l'indignation et la colère dont on est alors tenté contre soi-même, comme un mal plus grand que celui qu'on déplore; et craignez avec sujet que si les fautes ordinaires ne font qu'aigrir l'orgueil, dont elles doivent être le remède, elles ne soient suivies de quelqu'autres plus importantes qui en seront le châtiment.

Ne soyez jamais si en crainte que lorsque vous ferez quelque bien, que vous parlerez avec sagesse et avec raison, et que vous mériterez d'être approuvée1 : parce

1. Cet avis est adressé à une religieuse, mais cette humilité nécessaire à la vertu d'une religieuse, l'est à toute autre espèce de vertu. Toutefois ce sont les moralistes chrétiens qui ont signalé avec le plus d'insistance ce danger, ce vice des gens vertueux. Rapprocher du morceau que nous citons les lignes suivantes de Rancé : « Le cœur de tous les hommes est un champ d'une fécondité surprenante pour les mauvaises choses. L'orgueil y a jeté de profondes racines; elles s'y trouvent presque partout, quoique souvent elles soient imperceptibles; quelque bonne que soit la semence que vous ayez jetée, ne vous y fiez pas pour peu que celui qui doit cultiver ce champ lui refuse son travail et le secours de sa main, il ne sera pas longtemps à se couvrir de ronces et d'épines; et il arrivera qu'un Solitaire, dont la vie n'aura point été exercée par ces saintes pratiques de mortification, la passera tout entière dans une fausse sécurité, et sera

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que vous serez alors sur le bord le plus étroit et le plus glissant du précipice de la vanité. Efforcez-vous d'être plus humble, après avoir eu plus de ferveur et de sentiments dans l'usage des sacrements, ou après avoir souffert quelque chose avec plus de patience et de douceur qu'à l'ordinaire car le démon est attentif à enlever ce fruit dès qu'il paraît; et il est juste que Dieu le permette si l'on s'en élève et si l'on s'y plaît. Recevez toujours avec un secret sentiment de tristesse toutes les louanges et toutes les marques d'estime et d'amitié, de crainte que Dieu ne frappe de malédiction ces vains applaudissements et estimez-vous heureuse au contraire d'être négligée, méprisée, reprise avec quelques manières sévères, parce que Dieu se rend ordinairement plus présent et plus indulgent dans ces moments précieux.

DU GUET.

Lettres sur divers sujets de morale et de piété.

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Le scrupule est un doute en matière de morale, qui n'est pas fondé, ou qui l'est très légèrement, quoiqu'il aille quelquefois jusqu'à la persuasion, et qu'il remplisse la conscience de trouble et de perplexités.

Quand une personne est souvent inquiétée par des doutes de ce genre, ou sur un point particulier, ou sur plusieurs, on lui donne le nom de scrupuleuse; et ce nom, qui a quelque chose d'humiliant, attire quelquefois

dans sa cellule, selon les paroles d'un grand saint, bouffi d'orgueil et de présomption, comme un Dragon enflé de son venin dans sa caverne. »> (Lettre d'un abbé régulier sur le sujet des Humiliations.... 1677).

sur la piété, dont ordinairement une telle personne fait profession, une partie du mépris qu'on a pour de telles faiblesses.

Ce mépris est injuste mais la témérité, qui le fait retomber sur la piété même, l'est infiniment davantage. Car la sagesse et la lumière sont essentielles à la piété; et c'est de nos ténèbres, et non pas d'elle, que viennent nos perplexités et nos doutes.

Les ténèbres de ceux qui ne vivent pas dans la crainte de Dieu, sont sans comparaison plus grandes mais ils y sont tranquilles, parce que leur cœur est aussi corrompu que leur esprit est obscurci, et que rien ne trouble la paix qui est entre leurs pensées et leurs désirs.

S'ils commençaient à connaitre des devoirs qu'ils n'aiment pas, ils seraient troublés; et s'ils recevaient plus d'amour pour le bien que de lumière pour le discerner, ils seraient dans la peine et l'inquiétude.

C'est dans ce dernier état que sont les personnes qui leur paraissent méprisables. Elles ont le cœur droit; elles aiment ce qu'il faut aimer, et elles craignent ce qu'il faut craindre; mais elles n'ont pas assez de lumière pour discerner l'un de l'autre, et elles appréhendent avec raison la séduction et la méprise.

Si elles joignaient la docilité au soin qu'elles ont de consulter des personnes éclairées, leur état serait parfait, parce qu'elles auraient ce qu'il y a de plus précieux dans la religion, qui est la charité; et qu'en recevant des autres la lumière, elles seraient exemptes de l'enflure qui l'accompagne si souvent, et ne s'écarteraient point de la voie sûre de l'humilité et de l'obéissance.

Mais il est difficile qu'avec une conscience délicate, que tout avertit, et que tout est capable d'alarmer, on

1. Il s'agit des directeurs de conscience.

se rende, sans répliquer, à une décision étrangère, qui trouve le cœur déjà ému et troublé, et qui ne peut faire qu'avec lenteur une impression contraire à celle qu'il a déjà reçue.

Plus on craint pour son salut, plus on veut être certain qu'on ne l'expose pas; et aucun homme sur la terre ne doit être surpris qu'on hésite entre lui et sa propre conscience, et qu'on balance quelque temps entre ce qu'il dit au dehors, et ce qu'on croit entendre au dedans.

Rien n'est plus dangereux que de manquer de fidélité pour ce cri intérieur de la conscience, qui est la règle personnelle de chaque particulier, et qui fait à chacune de ses actions l'application des règles générales de la loi naturelle. Quand on tâche d'étouffer cette voix secrète, on mérite de ne plus rien entendre, et l'on s'expose à marcher toute sa vie dans les ténèbres qu'on lui a préférées.

L'homme de bien sait cela: et il est bien à plaindre, quand sa conscience l'avertit à contretemps, et qu'elle lui fait sur des actions excusables, ou même innocentes, des reproches aussi vifs et aussi effrayants que si elles étaient criminelles. Car on ne lui peut pas dire : N'écoutez jamais votre conscience. Et l'on ne peut pas lui dire non plus : Écoutez-la toujours. Le milieu entre ces deux extrémités, qui est de l'écouter quelquefois, est impraticable pour lui, puisqu'il faudrait pour cela discerner quand elle avertit à propos, et quand elle se trompe, et le discerner avec évidence: ce qui suppose une lumière qu'il n'a pas.

Une cause fort ordinaire des scrupules, et des doutes qui n'ont point un fondement sérieux, est une faiblesse naturelle de l'esprit, sur qui tout fait impression; qui, comme une cire molle, prend de toutes les pensées une espèce d'empreinte; et qui reçoit de presque tous les

objets un certain ébranlement, qui trouble son repos. Cette disposition peut être plus ou moins étendue; et quand elle est portée jusqu'à l'excès, elle limite beaucoup la liberté et la raison, ou les éteint même tout à fait. Je ne la considère point dans ce dernier cas, une telle extrémité n'ayant besoin que de compassion, et non de conseil.

Je n'entends donc par faiblesse d'esprit qu'un simple défaut naturel, compatible d'ailleurs avec beaucoup de droiture et de vertu, et qui consiste à être facilement agité et à ne pouvoir démêler jusqu'où l'agitation est allée.

Une discussion fort exacte, et du trouble, et de ce qui l'a causé, convient peu aux personnes de ce caractère. On les embarrasse en les écoutant trop, comme on les afflige en ne les écoutant point du tout. Il faut bien connaître leurs dispositions, et leur en peu parler. L'examen qu'on en ferait avec elles deviendrait dans la suite la matière d'un autre; et c'est moins par la lumière que par la confiance qu'elles ont en leurs guides, qu'on peut les rassurer.

DU GUET.

Traité des scrupules, 1" partie.

11.

Un cas de conscience.

Le premier mot du chapelier fut de faire entendre à mon père que l'auditoire était un peu nombreux pour ce qu'il avait à lui dire. Tout le monde se leva, et il ne resta que le prieur, l'homme de loi, le géomètre et moi, que le chapelier retint.

<< Monsieur Diderot, dit-il à mon père, après avoir

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