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alors égard à nos prières, ne serait-ce pas un scandale pour nous, et ne commencerions-nous pas nous-mêmes

à douter de sa providence?

BOURDALOUE.

Sermon sur la prière.

CHAPITRE III

DE L'ÉDUCATION DE SOI-MÊME

1.

Connais-toi toi-même.

Pour devenir sage et mener une vie plus, réglée et plus douce, il ne faut point d'instruction d'ailleurs que de nous. Si nous estions bons escholiers, nous apprendrions mieux de nous que de tous les livres. Qui remet en sa mémoire et remarque bien l'excez de sa cholere passée, jusques où cette fievre l'a emporté, verra mieux beaucoup la laideur de cette passion, et en aura horreur et hayne plus juste, que de tout ce qu'en dient Aristote et Platon et ainsi de toutes les autres passions, et de tous les bransles et mouvemens de son ame. Qui se souviendra de s'estre tant de fois mesconté en son jugement, et de tant de mauvais tours que lui a fait sa memoire, apprendra à ne s'y fier plus. Qui notera combien de fois il luy est advenu de penser bien tenir et entendre une chose, jusques à la vouloir pleuvir2, et en respondre à autrui et à soy-mesme, et que le temps lui a puis3 fait voir du contraire, apprendra à se deffaire de ceste arrogance importune, et quereleuse presumption, ennemie capitale de discipline et de verité. Qui remarquera bien tous les maux qu'il a couru, ceux qui l'ont menacé, les

1. C'est une idée chère à la morale antique que Charron développe ici.

2. Garantir.

3. Depuis.

legeres occasions qui l'ont remué d'un estat en un autre, combien de repentirs luy sont venus en la teste, se préparera aux mutations futures, et à la recognoissance de sa condition, gardera modestie, se contiendra en son rang, ne heurtera personne, ne troublera rien, n'entreprendra chose qui passe ses forces et voilà justice et paix partout. Bref nous n'avons point de plus beau miroir et de meilleur livre que nous-mesmes, si nous y voulions bien estudier comme nous devons, tenant toujours l'œil ouvert sur nous et nous espiant de près.

CHARRON.
De la Sagesse, I, 1.

2.

Contre l'abus de l'examen de conscience.

Une trop grande attention à s'examiner, et à observer toutes ses actions et tous ses motifs, dégénère enfin en incertitude. Plus on se regarde de près et longtemps, moins on se connaît. Il faut un certain point de vue, pour discerner les objets; et quand ils sont trop voisins et trop approchés, ils deviennent aussi confus, ou même aussi invisibles, que s'ils étaient trop éloignés.

Il faut représenter cela à des hommes d'ailleurs pleins de mérite : mais qui ne connaissent pas la faiblesse de la raison humaine, et avec quelle facilité elle se trouble et s'éblouit, quand elle s'obstine à regarder un objet trop fixement. Ils se connaîtront mieux, quand ils se verront par intervalles, et à une certaine distance, car il n'y a que le milieu entre les deux extrémités, ou de se voir toujours, ou de ne se voir jamais, qui soit éclairé.

Il en est ainsi des objets sensibles, des raisonnements

métaphysiques, des réflexions sur soi-même et sur ses pensées. Un nuage se met entre l'objet et nous, et nous le cache, si nous faisons de trop grands efforts pour l'approfondir; et quand nous oublions que notre intelligence est bornée, notre application même à la continuer, l'émousse et la finit.

Il est d'ailleurs très difficile de juger bien de soimême. On est trop intéressé dans cet examen, et suspect avec raison. Les uns sont trop indulgents; les autres, de peur de tomber dans ce défaut, deviennent trop pointilleux. Les premiers évitent de se connaître; et les autres ne croient se connaître qu'autant qu'ils se condamnent.

Il y a un milieu d'une juste étendue entre ces deux excès; et ce milieu consiste à s'examiner sur le bien et sur le mal; à ne pas envelopper dans sa misère les dons de Dieu, et à ne pas aussi faire servir les dons de Dieu à couvrir sa propre misère; à gémir, et à rendre grâces, à n'excuser pas ce qui est mauvais, et à ne pas aussi être ingénieux à donner à ce qui paraît bon, un mauvais sens et un mauvais principe.

Il faut de l'équité pour soi-même, comme pour les autres; être humble, mais droit et simple; ne pas tomber dans l'ingratitude, pour éviter l'orgueil; et préférer une paix qui porte à la confiance, et qui rend l'amour plus vif et plus tendre, à une inquiétude soupçonneuse, qui ne fait qu'entretenir la crainte, et qui conduit enfin au découragement1.

DU GUET.

Traité des scrupules, 2° partie.

1. Cf. du même auteur, Lettres sur divers sujets de morale et de piété : « N'allez donc plus, je vous conjure, chercher dans le fond de votre misère de quoi entretenir celui de votre défiance. C'est le moyen d'être encore plus misérable, que de s'occuper si fort de la vue de

3. Qu'on ne fait pas tout le bien qu'on veut.

Quel est celui d'entre nous qui, parvenu à l'âge mûr, se trouve plus fort, meilleur et plus pur qu'il ne se trouvait dans sa jeunesse? Quel est, au contraire, celui d'entre nous qui ne se rappelle amèrement avec quelle confiance en sa propre nature il est entré dans le monde? Alors que peu de passions encore ont pris à notre cœur1, et que peu de responsabilité s'attache à nos actions, aucun obstacle visible ne s'interpose entre nous et la vertu. La vertu, en elle-même si belle, nous apparaît sous ses véritables traits, aussi longtemps que nous n'avons pas d'intérêt à en falsifier l'image. L'homme, en effet, ne la hait pas pour elle-même, mais pour les empêchements qu'elle apporte à ses désirs; et si sa présence n'amenait aucune contrainte et son aspect aucune humiliation, il ne cesserait jamais, croyez-le bien, de la trouver belle et de l'aimer. Telle est sa disposition au début de sa carrière, et tel est le principe de sa confiance en lui-même. Il aime la vertu sous bénéfice d'inventaire; et il compte bien que cet inventaire sera à son avantage; car il compte sans ses passions, qu'il ne connaît pas encore. Mais elles viennent, les passions; elles réclament leur part dans la vie, et cette part, c'est le tout; la passion d'un côté, la vertu de l'autre, sont également exigeantes, insatiables; mais la passion, c'est un être vivant, réel, c'est l'homme lui-même; et la vertu, c'est une idée, jusqu'à ce qu'unie dans notre âme à la pensée

son état car c'est le moyen d'y demeurer, que de n'oser espérer en sortir. Cherchez au contraire dans la bonté de Dieu de quoi soutenir votre espérance. Car le moyen de marcher, si l'on désespère d'arriver? >>

1. Évidemment incorrect.

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