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reçues, parlent ou même font des livres contre ce qu'ils appellent le hasard ou le préjugé de la naissance, proposez, s'ils ont un nom ou seulement de l'honneur, de s'associer par le mariage une famille flétrie dans les temps anciens, et vous verrez ce qu'ils vous répondront.

Quant à ceux qui n'auraient ni l'un ni l'autre, comme ils parleraient aussi pour eux, il faudrait les laisser dire.

Cette même théorie ne pourrait-elle point jeter quelque jour sur cet inconcevable mystère de la punition des fils pour les crimes de leurs pères? Rien ne choque au premier coup d'œil comme une malédiction héréditaire : cependant, pourquoi pas, puisque la bénédiction l'est de même? Et prenez garde que ces idées n'appartiennent pas seulement à la Bible1, comme on l'imagine souvent. Cette hérédité heureuse ou malheureuse est aussi de de tous les temps et de tous les pays: elle appartient au Paganisme comme au Judaïsme ou au Christianisme; à l'enfance du monde, comme aux vieilles nations; on la trouve chez les théologiens, chez les philosophes, chez les poètes, au théâtre et à l'Église.

Les arguments que la raison fournit contre cette théorie ressemblent à celui de Zénon contre la possibilité du mouvement; on ne sait que répondre, mais on marche. La famille est sans doute composée d'individus qui n'ont rien de commun suivant la raison; mais

1. La Bible disait que lorsque les parents mangent des raisins verts, les dents des enfants sont agacées. J. de Maistre fait en outre allusion au dogme du péché originel.

2. Zénon d'Élée a donné non pas un, mais quatre arguments contre la réalité du mouvement, arguments qui donnent encore de la tablature aux philosophes de notre temps. Le plus célèbre de ces arguments est l'Achille, qui tend à démontrer qu'Achille aux pieds légers ne rattrapera pas une tortue.

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Sur la conduite qu'il faut tenir à leur égard.

Tàchez donc de vous faire aimer de vos gens sans aucune basse familiarité n'entrez pas en conversation avec eux; mais aussi ne craignez pas de leur parler assez souvent avec affection et sans hauteur sur leurs besoins. Qu'ils soient assurés de trouver en vous du conseil et de la compassion: ne les reprenez point aigrement de leurs défauts; n'en paraissez ni surpris, ni rebuté, tant que vous espérez qu'ils ne sont pas incorrigibles; faites-leur entendre doucement raison, et souffrez souvent d'eux pour le service, afin d'être en état de les convaincre de sang-froid que c'est sans chagrin et sans impatience que vous leur parlez, bien moins pour votre service que pour leur intérêt. Il ne sera pas facile d'accoutumer les jeunes personnes de qualité à cette conduite douce et charitable; car l'impatience et l'ardeur de la jeunesse, jointe à la fausse idée qu'on leur donne de leur naissance, leur fait regarder les domestiques à peu près comme des chevaux : on se croit d'une autre nature que les valets; on suppose qu'ils sont faits pour la commodité de leurs maitres. Tàchez de montrer combien ces maximes sont contraires à la

1. La philosophie du xvir siècle avait été essentiellement individualiste. J. de Maistre rétablit contre elle la notion de solidarité,

modestie pour soi, et à l'humanité pour son prochain. Faites entendre que les hommes ne sont point faits pour être servis; que c'est une erreur brutale de croire qu'il y ait des hommes nés pour flatter la paresse et l'orgueil des autres; que le service étant établi contre l'égalité naturelle des hommes, il faut l'adoucir autant qu'on le peut; que les maîtres, qui sont mieux élevés que leurs valets, étant pleins de défauts, il ne faut pas s'attendre que les valets n'en aient point 1, eux qui ont manqué d'instructions et de bons exemples; qu'enfin, si les valets se gâtent en servant mal, ce que l'on appelle d'ordinaire étre bien servi gàte encore plus les maîtres, car cette facilité de se satisfaire en tout ne fait qu'amollir l'âme, que la rendre ardente et passionnée pour les moindres commodités, enfin que la livrer à ses désirs.

FENELON

De l'Education des filles, ch. xii.

1. Cf: « Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connait-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets?» BEAUMARCHAIS, le Barbier de Séville, acte I, scène II.

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La seule habitude qu'on doit laisser prendre à l'enfant est de n'en contracter aucune; qu'on ne le porte pas plus sur un bras que sur l'autre; qu'on ne l'accoutume pas à présenter une main plutôt que l'autre, à s'en servir plus souvent, à vouloir manger, dormir, agir aux mêmes heures, à ne pouvoir rester seul ni nuit ni jour. Préparez de loin le règne de sa liberté et l'usage de ses orces, en laissant à son corps l'habitude naturelle, en e mettant en état d'être toujours maître de lui-même, et de faire en toutes choses sa volonté sitôt qu'il en

aura une.

Dès que l'enfant commence à distinguer les objets, il importe de mettre du choix dans ceux qu'on lui montre. Naturellement tous les nouveaux objets intéressent l'homme. Il se sent si faible qu'il craint tout ce qu'il ne connaît pas l'habitude de voir des objets nouveaux sans en être affecté, détruit cette crainte. Les enfants élevés dans des maisons propres où l'on ne souffre point d'araignées, ont peur des araignées, et cette peur leur demeure souvent étant grands. Je n'ai jamais vu de paysans, ni homme, ni femme, ni enfant, avoir peur des araignées.

1. La manière d'être, habitus.

Pourquoi donc l'éducation d'un enfant ne commencerait-elle pas avant qu'il parle et qu'il entende, puisque le seul choix des objets qu'on lui présente est propre à le rendre timide ou courageux? Je veux qu'on l'habitue à voir des objets nouveaux, des animaux laids, dégoûtants, bizarres, mais peu à peu, de loin, jusqu'à ce qu'il y soit accoutumé, et qu'à force de les voir manier à d'autres, il les manie enfin lui-même. Si, durant son enfance, il a vu sans effroi des crapauds, des serpents, des écrevisses, il verra sans horreur, étant grand, quelque animal que ce soit. Il n'y a plus d'objets affreux pour qui en voit tous les jours.

Tous les enfants ont peur des masques. Je commence par montrer à Émile1 un masque d'une figure agréable; ensuite quelqu'un s'applique devant lui ce masque sur le visage je me mets à rire, tout le monde rit, et l'enfant rit comme les autres. Peu à peu je l'accoutume à des masques moins agréables, et enfin à des figures hideuses. Si j'ai bien ménagé ma gradation, loin de s'effrayer au dernier masque, il en rira comme du premier. Après cela je ne crains plus qu'on l'effraye avec des masques.

Quand, dans les adieux d'Andromaque et d'Hector 2, le petit Astyanax, effrayé du panache qui flotte sur le casque de son père, le méconnait, se jette en criant sur le sein de sa nourrice, et arrache à sa mère un souris mêlé de larmes, que faut-il faire pour guérir cet effroi? Précisément ce que fait Hector, poser le casque à terre, et puis caresser l'enfant. Dans un moment plus tranquille on ne s'en tiendrait pas là; on s'approcherait du casque, on jouerait avec les plumes, on les ferait manier

1. Émile est le nom de l'élève idéal de Rousseau.

2. Au vie chant de l'Iliade.

5. Δακρύσεν γελάσασα.

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