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Est correptio mendax in ira contumeliosi 1. Ce n'est pas qu'il dise toujours des choses fausses: mais c'est qu'en voulant paraître avoir le dessein de nous servir en nous corrigeant de quelque défaut, il n'a que le dessein de déplaire et d'insulter.

Nous devons donc regarder cette impatience, qui nous porte à nous élever sans discernement contre tout ce qui nous paraît faux, comme un défaut très considérable, et qui est souvent beaucoup plus grand que l'erreur prétendue dont nous voudrions délivrer les autres. Ainsi, comme nous nous devons à nous-mêmes la première charité, notre premier soin doit être de travailler sur nous-mêmes, et de tâcher de mettre notre esprit en état de supporter sans émotion les opinions des autres qui nous paraissent fausses, afin de ne les combattre jamais que dans le désir de leur être utiles.

Or, si nous n'avions que cet unique désir, nous reconnaîtrions sans peine qu'encore que toute erreur soit un mal, il y en a néanmoins beaucoup qu'il ne faut pas s'efforcer de détruire, parce que le remède serait souvent pire que le mal, et que, s'attachant à ces petits maux, on se mettrait hors d'état de remédier à ceux qui sont vraiment importants. C'est pourquoi, encore que Jésus-Christ fùt plein de toute vérité2, comme dit saint Jean, on ne voit point qu'il ait entrepris d'ôter aux hommes d'autres erreurs que celles qui regardaient Dieu et les moyens de leur salut. Il savait tous leurs égarements dans les choses de la nature. Il connaissait mieux que personne en quoi consistait la véritable éloquence. La vérité de tous les évén ments passés lui était parfaitement connue. Cependant il n'a

1. Eccl., XIX, 28. 2. Joann., 1, 14.

point donné charge à ses apôtres ni de combattre les erreurs des hommes dans la physique, ni de leur apprendre à bien parler, ni de les désabuser d'une infinité d'erreurs de fait dont les histoires

remplies.

étaient

Nous ne sommes pas obligés d'être plus charitables que les apôtres. Et ainsi, lorsque nous apercevons qu'en contredisant certaines opinions qui ne regardent que des choses humaines nous choquons plusieurs personnes, nous les aigrissons, nous les portons à faire des jugements téméraires et injustes, non seulement nous pouvons nous dispenser de combattre ces opinions, mais même nous y sommes souvent obligés par la loi de la charité 1.

Mais en pratiquant cette retenue, il faut qu'elle soit entière, et il ne se faut pas contenter de ne choquer pas en face ceux qu'on se croit obligé de ménager; il ne faut faire confidence à personne des sentiments que l'on a d'eux, parce que cela ne sert de rien qu'à nous décharger inutilement. Et il y a souvent plus de danger de dire à d'autres ce que l'on pense des personnes qui ont du crédit et de l'autorité dans un corps, et qui règnent sur les esprits, que de le dire à eux-mêmes; parce que ceux à qui l'on s'ouvre ayant souvent moins de lumière, moins d'équité, moins de charité, plus de faux zèle et plus d'emportement, ils en sont plus blessés que ceux mêmes de qui on parle ne le seraient ; et enfin, parce qu'il n'y a presque point de personnes

1. On peut trouver que Nicole sacrifie trop complètement l'amour de la vérité à l'amour de la paix. Il est pour Philinte contre Alceste. On sait que Nicole, par une étrange contradiction de sa nature et de sa destinée, passa une grande partie de sa vie à soutenir des polémiques où l'engageait Arnauld, son ami, en faveur du jansénisme. Et quand il voulut s'en dégager, il eut à se défendre encore cette fois contre ses amis jansénistes qui l'accusaient de faiblesse.

vraiment secrètes, que tout ce qu'on dit des autres leur est rapporté, et encore d'une manière qui les pique plus qu'ils ne le seraient de la chose même. Et ainsi il n'y a aucun moyen d'éviter ces inconvénients, qu'en gardant presque une retenue générale à l'égard de tout le monde.

NICOLE.

Des moyens de conserver la paix avec

les hommes, 1e partie, ch. vII.

11. Sur l'indiscrétion.

Mme de Maintenon ayant demandé aux demoiselles de la classe jaune1 sur quoi elles désiraient qu'elle leur fit l'instruction, Mlle de Chardon proposa l'indiscrétion ; Mme de Maintenon la renvoya à la Conversation qu'elle avait faite sur cette matière.

Elles demandèrent ce que c'était que de rompre en visière. « C'est, dit Mme de Maintenon, dire des choses désobligeantes en face, comme de reprocher ouvertement à une personne les défauts de l'esprit ou du corps, quelque malheur arrivé dans sa famille et choses semblables. >> Elles demandèrent des exemples sur l'indiscrétion. « C'en est une, répondit Mme de Maintenon, de parler d'un défaut devant une personne qui l'a, de relever les avantages d'une belle taille en présence d'un bossu, de parler du désagrément d'une personne qui a quelque autre difformité devant quelqu'un qui serait borgne ou qui aurait la bouche de travers ou qui boiterait et pareilles choses; de dire qu'on

1. Voir note p. 446.

2. Mme de Maintenon avait composé plusieurs Conversations, sur l'Indiscrétion, sur la Raison, etc., pour l'édification de ses élèves.

serait bien fàché d'avoir des parents qui fussent morts sur un échafaud devant une personne qui a un semblable malheur dans sa famille; de vanter la noblesse devant des personnes qui ne sont pas nobles et qui tiennent cependant un certain rang par leur fortune.

« Une personne indiscrète fait tout mal à propos, elle entre à contretemps, elle sort de même1. » Entrer mal à propos, c'est rendre visite à une personne quand elle est en affaires ou qu'elle est avec une autre qui lui est assez intime pour être bien aise de se trouver seule avec elle; on sort à contretemps quand, après avoir fait cette indiscrétion, on fait sentir à la personne qu'on s'aperçoit qu'elle serait bien aise de se trouver seule avec son amie et qu'on sort sur-lechamp; c'est l'embarrasser et l'obliger à se défendre, car il n'y a personne qui ose convenir tout franchement qu'elle est de trop dans la conversation. Quand on a tant fait que de faire une visite mal à propos, il faut faire comme si on ne s'apercevait pas de l'embarras qu'on cause, rendre sa visite très courte, et chercher un prétexte pour en sortir honnêtement et le plus tôt qu'on peut, sans faire sentir que c'est parce qu'on s'aperçoit qu'on interrompt la conversation commencée avec l'autre personne, à moins que celle qu'on va voir ne fût en affaire; car pour lors il serait de la prudence de ne pas passer outre et de remettre la visite à un autre jour. Une personne indiscrète n'entend point ce qu'on veut qu'elle sache et elle écoute ce qu'on ne veut pas qu'elle entende; parce que dans le premier cas, au lieu d'écouter ceux qui parlent et d'entrer dans le sujet de la conversation, elle l'interrompt pour dire ce qui lui

1. Phrase de la Conversation rappelée au commencement de la lettre.

vient dans l'esprit; elle écoute ce qu'on ne veut pas qu'elle entende dans une conversation dont elle ne devrait pas être, au lieu de se retirer prudemment quand elle voit des personnes qui parlent bas. Rien ne rend si indiscrète que de n'être occupée que de soi: c'est ce qui fait qu'on ennuie, rapportant tout à soi, ne parlant que de soi, de ses maux, de ses affaires; rien ne rend si désagréable dans la société. Je connais une jeune personne de la Cour qui est haïe de tout le monde sans être mauvaise, mais seulement parce qu'elle n'est occupée que d'elle-même et qu'elle veut toujours en parler. On m'en faisait des plaintes un de ces jours; on prétendait qu'elle nuisait aux autres par les rapports qu'elle m'en faisait; je répondis: Comment me diraitelle ce que font les autres, elle qui ne parle que d'ellemême ? La personne qui m'en faisait des plaintes convint avec moi que c'était là en effet son tort et ce qui la fait haïr. Je ne cache pas d'ailleurs qu'elle ait jamais fait ni dit du mal à personne.

« Pour éviter les indiscrétions, il faut, comme je vous le disais tout à l'heure, ètre occupé des autres plus que de soi; penser avant que parler si ce qu'on va dire ne fera de peine à personne, s'il n'aura pas de mauvaises suites; prendre garde si en se plaçant on n'incommode point quelqu'un. N'est-ce pas une de révéler un

indiscrétion, dit Mlle de Chabot, secret? Cela passe l'indiscrétion, répondit Mme de Maintenon; c'est une perfidie qui est bien opposée à la probité dont nous parlions l'autre jour, c'est une infamie dont une personne d'honneur n'est pas capable. Lequel aimeriez-vous mieux, dit-elle en apostrophant Mlle de Vandeuil, de dire indiscrètement votre secret à quelqu'un ou de déclarer celui qu'un autre vous aurait confié? J'aimerais mieux, dit la demoiselle, dire celui

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