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affecté et sous un air de dégagement et de liberté prétendue, elle vous enseigne à cacher tous ces sentiments et à les déguiser; qu'en cela consiste un des premiers mérites du jeu, et que c'est ce qui en fait la plus belle réputation. Mais si le visage est serein, l'orage en est-il moins violent dans le cœur? et n'est-ce pas alors une double peine que de la ressentir tout entière au dedans et d'être obligé, par je ne sais quel honneur, de la dissimuler au dehors? Voilà donc ce que le monde appelle divertissement, mais ce que j'appelle, moi, passion, et une des plus tyranniques et des plus criminelles passions. Et, de bonne foi, mes chers auditeurs, pouvez-vous vous persuader que Dieu l'ait ainsi entendu, quand il vous a permis certaines distractions et certains délassements? Lui, qui est la raison même, peut-il approuver un jeu qui blesse toute la raison; et lui, qui est la règle par essence, peut-il vous permettre un jeu où tout est déréglé? Il vaut mieux jouer, dites-vous, que de parler du prochain, que de former des intrigues, que d'abandonner son esprit à des idées dangereuses beau prétexte, à quoi je réponds qu'il ne faut ni parler du prochain, ni former des intrigues, ni donner entrée dans votre esprit à des idées sensuelles, ni jouer sans mesure et à l'excès, comme vous faites. Quand votre vie serait exempte de tous les autres désordres, ce serait toujours assez de celui-ci pour vous condamner.

BOURDALOUE.

Sermon sur les divertissements du monde.

8. Le luxe.

A ne consulter que l'impression la plus naturelle, il semblerait que, pour dédaigner l'éclat et le luxe, on a

moins besoin de modération que de goût. La symétrie et la régularité plaisent à tous les yeux. L'image du bien-être et de la félicité touche le cœur humain qui en est avide mais un vain appareil qui ne se rapporte ni à l'ordre ni au bonheur, et n'a pour objet que de frapper les yeux, quelle idée favorable à celui qui l'étale peut-il exciter dans l'esprit du spectateur? L'idée du goût? Le goût ne paraît-il pas cent fois mieux dans les choses simples que dans celles qui sont offusquées de richesse? L'idée de la commodité? Y a-t-il rien de plus incommode que le faste1? L'idée de la grandeur? C'est précisément le contraire. Quand je vois qu'on a voulu faire un grand palais, je me demande aussitôt : Pourquoi ce palais n'est-il pas plus grand? pourquoi celui qui a cinquante domestiques n'en a-t-il pas cent? cette belle vaisselle d'argent, pourquoi n'est-elle pas d'or? cet homme qui dore son carrosse, pourquoi ne dore-t-il pas ses lambris? si ses lambris sont dorés, pourquoi son toit ne l'est-il pas ? Celui qui voulut bâtir une haute tour faisait bien de la vouloir porter jusqu'au ciel; autrement il eût eu beau l'éléver, le point où il se fût arrêté n'eût servi qu'à donner de plus loin la preuve de son impuissance. O homme petit et vain! montre-moi ton pouvoir, je te montrerai ta misère.

1. Le bruit des gens d'une maison trouble incessamment le repos du maitre; il ne peut rien cacher à tant d'Argus. La foule de ses créanciers lui fait payer cher celle de ses admirateurs. Ses appartements sont si superbes, qu'il est forcé de coucher dans un bouge pour être à son aise, et son singe est quelquefois mieux logé que lui. S'il veut diner, il dépend de son cuisinier, et jamais de sa faim; s'il veut sortir, il est à la merci de ses chevaux ; mille embarras l'arrêtent dans les rues; il brûle d'arriver, et ne sait plus qu'il a des jambes. On l'attend, les boues le retiennent, le poids de l'or de son habit l'accable, et il ne peut faire vingt pas à pied : mais s'il perd un rendez-vous, il est bien dédommagé par les passants; chacun remarque sa livrée, l'admire, et dit tout haut que c'est M. un tel. (Note de l'auteur.)

Au contraire, un ordre de choses où rien n'est donné à l'opinion, où tout a son utilité réelle, et qui se borne aux vrais besoins de la nature, n'offre pas seulement un spectacle approuvé par la raison, mais qui contente les yeux et le cœur, en ce que l'homme ne s'y voit que sous des rapports agréables, comme se suffisant à luimême, que l'image de sa faiblesse n'y paraît point, et que ce riant tableau n'excite jamais de réflexions attristantes. Je défie aucun homme sensé de contempler une heure durant le palais d'un prince et le faste qu'on y voit briller, sans tomber dans la mélancolie et déplorer le sort de l'humanité. Mais l'aspect de cette maison1 et de la vie uniforme et simple de ses habitants répand dans l'âme des spectateurs un charme secret qui ne fait qu'augmenter sans cesse. Un petit nombre de gens doux et paisibles, unis par des besoins mutuels et par une réciproque bienveillance, y concourt par divers soins à une fin commune: chacun trouvant dans son état tout ce qu'il faut pour en être content et ne point désirer d'en sortir, on s'y attache comme y devant rester toute la vie; et la seule ambition qu'on garde est celle d'en bien remplir les devoirs. Il y a tant de modération dans ceux qui commandent et tant de zèle dans ceux qui obéissent, que des égaux eussent pu distribuer entre eux les mêmes emplois sans qu'aucun se fût plaint de son partage. Ainsi nul n'envie celui d'un autre; nul ne croit pouvoir augmenter sa fortune que par l'augmentation du bien commun les maîtres mêmes ne jugent de leur bonheur que par celui des gens qui les environnent. On ne saurait qu'ajouter ni que retrancher ici, parce qu'on n'y trouve que les choses utiles et qu'elles y sont toutes; en sorte qu'on n'y souhaite rien

1. Il s'agit de la maison de M. et de Mme de Wolmar.

de ce qu'on n'y voit pas, et qu'il n'y a rien de ce qu'on y voit dont on puisse dire: Pourquoi n'y en a-t-il pas davantage? Ajoutez-y du galon, des tableaux, un lustre, de la dorure, à l'instant vous appauvrirez tout. En voyant tant d'abondance dans le nécessaire, et nulle trace de superflu, on est porté à croire que, s'il n'y est pas, c'est qu'on n'a pas voulu qu'il y fût, et que, si on le voulait, il y régnerait avec la même profusion : en voyant continuellement les biens refluer au dehors par l'assistance du pauvre, on est porté à dire : Cette maison ne peut contenir toutes ses richesses. Voilà, ce me semble, la véritable magnificence.

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Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été; ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver; mais surtout on ne saurait croire combien il en coûte à un mari pour mettre sa femme à la mode.

Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et de leurs parures? Une mode nouvelle viendrait détruire tout mon ouvrage, comme celui de leurs ouvriers, et, avant que tu eusses reçu ma lettre, tout serait changé.

Une femme qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne en revient aussi antique que si elle s'y était oubliée trente ans. Le fils méconnait le portrait de sa mère, tout l'habit avec lequel elle est peinte lui paraît étranger; il s'imagine que c'est quelque Américaine qui

y est représentée, ou que le peintre a voulu exprimer quelqu'une de ses fantaisies.

Quelquefois les coiffures montent insensiblement, et une révolution les fait descendre tout à coup. Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage d'une femme au milieu d'elle-même; dans un autre, c'étaient les pieds qui occupaient cette place, les talons faisaient un piedestal qui les tenait en l'air. Qui pourrait le croire? les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser et d'élargir leurs portes, selon que les parures des femmes exigeaient d'eux ce changement; et les règles de leur art ont été asservies à ces caprices.

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J'ai porté ma main contre mes yeux pour voir si je ne dormais point, lorsque j'ai vu dans votre lettre1 que vous aviez dessein de venir ici, et maintenant encore je n'ose me réjouir autrement de cette nouvelle que comme si je l'avais seulement songée toutefois je ne trouve pas fort étrange qu'un esprit grand et généreux comme le vôtre ne se puisse accommoder à ces contraintes serviles, auxquelles on est obligé dans la cour; et puisque vous m'assurez tout de bon que Dieu vous a inspiré de quitter le monde, je croirais pécher contre le Saint Esprit si je tachais à vous détourner d'une si sainte résolution; même vous devez pardonner à mon zèle, si je vous convie de choisir Amsterdam pour votre retraite, et de le

1. Dans une lettre du 23 avril 1631 écrite de Paris.

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