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Leger à croire, recueillir et ramasser toutes nouvelles, surtout les fascheuses, tenant tous rapports pour veritables et asseurés avec un sifflet ou sonnette de nouveauté, l'on l'assemble comme les mouches au son du bassin.

Sans jugement, raison, discretion: son jugement et sa sagesse, trois dez et l'adventure; il juge brusquement et à l'estourdie de toutes choses, et tout par opinion, ou par coustume, ou par plus grand nombre, allant à la file comme les moutons qui courent après ceux qui vont devant, et non par raison et verité. Plebi non judicium, non veritas; ex opinione multa, ex veritate pauca

judicat1.

Envieux et malicieux, ennemy des gens de bien, contempteur de vertu, regardant de mauvais œil le bonheur d'autruy, favorisant au plus foible et au plus meschant, et voulant mal aux gens d'honneur, sans sçavoir pourquoy, sinon pour ce que ce sont gens d'honneur, et que l'on en parle fort et en bien ?.

Peu loyal et veritable, amplifiant le bruict, encherissant sur la verité, et faisant tousjours les choses plus grandes qu'elles ne sont, sans foy ny tenue. La foy d'un peuple, et la pensée d'un enfant, sont de mesme durée, qui change non seulement selon que les interests changent, mais aussi selon la difference des bruicts que chaque heure du jour peut apporter.

Mutin, ne demandant que nouveauté et remuement; seditieux, ennemy de paix et de repos: ingenio mobili, seditiosum, discordiosum, cupidum rerum novarum, quieti

§ 4. Dans le discours pour Murena: Nihil est incertius vulgo, nihil obscurius voluntate hominum, nihil fallacius ratione tota consiliorum, etc. Orat. pro Murena, § 35.

1. Voyez Tac., Hist., 1. 1, chap. 32. 2. Allusion à l'histoire d'Aristide.

CICER., pro Roscio, 39.

et otio adversum1, surtout quand il rencontre un chef : car lors ne plus ne moins que la mer, bonace de nature, ronfle, escume et faict rage agitée de la fureur des vents; ainsi le peuple s'enfle, se hausse et se rend indomptable : ostez-lui les chefs, le voilà abattu, effarouché, et demeure tout planté d'effroy, sine rectore præceps, pavidus, socors: nil aussnra plebs principibus amoti2.

Soustient et favorise les brouillons et remueurs de mesnage, il estime modestie, poltronnerie, prudence, lourdise au contraire, il donne à l'impetuosité bouillante le nom de valeur et de force: prefere ceux qui ont la teste chaude et les mains fretillantes, à ceux qui ont le sens rassis, qui poisent les affaires, les vanteurs et babillards aux simples et retenus.

Ne se soucie du public ny de l'honneste, mais seulement du particulier, et se picque sordidement pour le profit privata cuique stimulatio, vile decus publicum3.

Tousjours gronde et murmure contre l'Estat, tout bouffi de mesdisance et propos insolens contre ceux qui gouvernent et commandent. Les petits et pouvres n'ont autre plaisir que de mesdire des grands et des riches, non avec raison, mais par envie, ne sont jamais contens de leurs gouverneurs et de l'estat present *.

Mais il n'a que le bec, langues qui ne cessent, esprits qui ne bougent, monstre duquel toutes les parties ne sont que langues, qui de tout parle et rien ne sçait, qui tout regarde et rien ne voit, qui rit de tout et de tout pleure, prest à se mutiner et rebeller et non à combattre; son propre est d'essayer plustost à secouer le

1. SALLUST., Bell. Jugurth., cap. 45.

2. TACIT., Hist., 1. IV, cap. 37. — Annal., 1. I, cap. 55.

5. TACIT., Hist., 1. 1 (fin).

4. Rerum novarum cupidine, et odio præsentium. TACIT., Hist., 1. II. · cap. 8 (fin).

joug qu'à bien garder sa liberté procacia plebis ingenia, impigræ linguæ, ignavi animi1.

Ne scachant jamais tenir mesure ny garder une mediocrité honneste; ou très bassement et vilement il sert d'esclave, ou sans mesure est insolent et tyranniquement il domine; il ne peut souffrir le mors doux et temperé, ny jouir d'une liberté reiglée, court tousjours aux extremités, trop se fiant ou mesfiant, trop d'espoir ou de crainte. Ils vous feront peur si vous ne leur en faictes: quand ils sont effrayés, vous les baffouez et leur sautez à deux pieds sur le ventre; audacieux et superbes si on ne leur monstre le baston, dont est le proverbe : oings-le il te poindra; poinds-le, il t'oindra: nil in vulgo modicum;· terrere ni paveant; ubi pertimuerint, impune contemni; audacia turbidum, nisi vim metuat; aut servit humiliter, aut superbe dominatur; libertatem, quæ media, nec spernere nec habere 2.

Très ingrat envers ses bienfacteurs. La recompense de tous ceux qui ont bien merité du public, a tousjours été un bannissement, une calomnie, une conspiration, la mort. Les histoires sont celebres de Moyse et de tous les prophetes, de Socrates, Aristides, Phocion, Lycurgus, Demosthene, Themistocles et la verité a dict qu'il n'en eschappoit pas un de ceux qui procuroient le bien et le salut du peuple 5; et au contraire il cherit ceux qui l'oppriment, il craint tout, admire tout.

Bref, le vulgaire est une beste sauvage; tout ce qu'il pense n'est que vanité, tout ce qu'il dict est fauls et erroné; ce qu'il reprouve est bon, ce qu'il approuve est mauvais, ce qu'il loue est infâme, ce qu'il faict et

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entreprend n'est que folie. Non tam bene cum rebus humanis geritur ut meliora pluribus placeant: argumentum pessimi turba est1. La tourbe populaire est mere d'ignorance, injustice, inconstance, idolatre de vanité, à laquelle vouloir plaire ce n'est jamais faict : c'est son mot: vox populi vox Dei, mais il faut dire, vox populi vox stultorum 2. Or, le commencement de sagesse est se garder net, et ne se laisser emporter aux opinions populaires.

CHARRON.

De la Sagesse, I, 54.

6. Faut-il instruire le peuple?

Ne craignez pas que le bas peuple lise jamais Grotius et Puffendorff; il n'aime pas à s'ennuyer. Il lirait plutôt (s'il le pouvait) quelques chapitres de l'Esprit des lois, qui sont à portée de tous les esprits, parce qu'ils sont très naturels et très agréables. Mais distinguons, dans ce que vous appelez peuple, les professions qui exigent une éducation honnête, et celles qui ne demandent que le travail des bras et une fatigue de tous les jours. Cette

1. SENEC., De Vita Beata, cap. 2.

2. C'est à peu près dans le même sens que Plutarque a dit : « Plaire à une populace est ordinairement déplaire aux sages. » PLUT., Comment il faut nourrir les enfants.

3. Hugo de Groot, ou Grotius (1585-1645), l'auteur du De jure belli et pacis, mais qui était trop chrétien pour être tout à fait estimé de Voltaire. Le baron de Puffendorf (1632-1694), allemand, professa le droit des gens à Heidelberg, et fut conseiller intime de l'électeur de Brandebourg; son principal ouvrage a paru sous le titre de de Jure naturæ gentium. (Note de M. Lanson dans son édition des Lettres du XVII° siècle.)

dernière classe est la plus nombreuse. Celle-là, pour tout délassement et pour tout plaisir, n'ira jamais qu'à la grand'messe et au cabaret, parce qu'on y chante, et qu'elle y chante elle-même; mais, pour les artisans plus relevés, qui sont forcés par leurs professions mêmes à réfléchir beaucoup, à perfectionner leur goût, à étendre leurs lumières, ceux-là commencent à lire dans toute l'Europe. Vous ne connaissez guère, à Paris, les Suisses que par ceux qui sont aux portes des grands seigneurs, ou par ceux à qui Molière fait parler un patois inintelligible, dans quelques farces1; mais les Parisiens seraient étonnés s'ils voyaient dans plusieurs villes de Suisse, et surtout dans Genève, presque tous ceux qui sont employés aux manufactures passer à lire le temps qui ne peut être consacré au travail. Non, monsieur, tout n'est point perdu quand on met le peuple en état de s'apercevoir qu'il a un esprit. Tout est perdu au contraire quand on le traite comme une troupe de taureaux; car, tôt ou tard, ils vous frappent de leurs cornes. Croyez-vous que le peuple ait lu et raisonné dans les guerres civiles de la Rose rouge et de la Rose blanche en Angleterre, dans celle qui fit périr Charles Ier sur un échafaud, dans les horreurs des Armagnacs et des Bourguignons, dans celles mêmes de la Ligue? Le peuple, ignorant et féroce, était mené par quelques docteurs fanatiques qui criaient : « Tuez tout, au nom de Dieu. » Je défierais aujourd'hui Cromwell de bouleverser l'Angleterre par son galimatias d'énergumène; Jean de Leyde, de se faire roi de Munster; et le cardinal de Retz, de faire des barricades à Paris 2.

1. Voyez Mascarille contrefaisant le suisse, dans l'Étourdi.

2. On voit quelles illusions se faisait Voltaire. Mais on s'attendait peut-être à d'autres arguments, tirés, non de l'intérêt, mais de l'idée de droit, ou d'un sentiment de sympathie. Cette attente est trompée. Cette sympathie pour le peuple du moins reste sous-entendue.

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