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victimes de cet épouvantable jugement aient versé leur sang en vain? Mais il n'est pas temps d'insister sur ces sortes de matières; notre siècle n'est pas mûr encore pour s'en occuper laissons-lui sa physique, et tenons cependant toujours nos yeux fixés sur ce monde invisible qui expliquera tout.

La guerre est divine dans la gloire mystérieuse qui l'environne, et dans l'attrait non moins inexplicable qui nous y porte.

La guerre est divine dans la protection accordée aux grands capitaines, même aux plus hasardeux, qui sort rarement frappés dans les combats, et seulement lorsque leur renommée ne peut plus s'accroitre et que leur mission est remplie.

La guerre est divine par la manière dont elle se déclare. Je ne veux excuser personne mal à propos; mais combien ceux qu'on regarde comme les auteurs immédiats des guerres sont entraînés eux-mêmes par les circonstances! Au moment précis amené par les hommes et prescrit par la justice, Dieu s'avance pour venger l'iniquité que les habitants du monde ont commise contre lui. La terre avide de sang..., ouvre la bouche pour le recevoir et le retenir dans son sein jusqu'au moment où elle devra le rendre. Applaudissons donc autant qu'on voudra au poète estimable qui s'écrie :

« Au moindre intérêt qui divise
« Ces foudroyantes majestés,
<< Bellone porte la réponse,
«Et toujours le salpêtre annonce
«Leurs meurtrières volontés. »

Mais que ces considérations très inférieures ne nous empêchent point de porter nos regards plus haut.

La guerre est divine dans ses résultats, qui échappent

absolument aux spéculations de la raison humaine : car ils peuvent être tout différents entre deux nations, quoique l'action de la guerre se soit montrée égale de part et d'autre. Il y a des guerres qui avilissent les nations, et les avilissent pour des siècles; d'autres les exaltent, les perfectionnent de toutes manières, et remplacent même bientôt, ce qui est fort extraordinaire, les pertes momentanées par un surcroît visible de population. L'histoire nous montre souvent le spectacle d'une population riche et croissante au milieu des combats les plus meurtriers; mais il y a des guerres vicieuses, des guerres de malédictions, que la conscience reconnait bien mieux que le raisonnement : les nations en sont blessées à mort, et dans leur puissance, et dans leur caractère; alors vous pouvez voir le vainqueur même dégradé, appauvri, et gémissant au milieu de ses tristes lauriers, tandis que, sur les terres du vaincu, vous ne trouverez, après quelques moments, pas un atelier, pas une charrue qui demande un homme.

La guerre est divine par l'indéfinissable force qui en détermine les succès. C'était sûrement sans y réfléchir, mon cher chevalier, que vous répétiez l'autre jour la célèbre maxime, que Dieu est toujours pour les gros bataillons. Je ne croirai jamais qu'elle appartienne réellement au grand homme à qui on l'attribue1: il peut se faire enfin qu'il ait avancé cette maxime en se jouant, ou sérieusement dans un sens limité et très vrai; car Dieu, dans le gouvernement temporel de sa providence, ne déroge point (le cas de miracle excepté) aux lois générales qu'il a établies pour toujours. Ainsi, comme deux hommes sont plus forts qu'un, cent mille hommes doivent avoir plus de force et d'action que cinquante

1. Turenne. (Note de l'auteur.)

mille. Lorsque nous demandons à Dieu la victoire, nous ne lui demandons pas de déroger aux lois générales de l'univers; cela serait trop extravagant; mais ces lois se combinent de mille manières, et se laissent vaincre jusqu'à un point qu'on ne peut assigner. Trois hommes sont plus forts qu'un seul sans doute la proposition générale est incontestable; mais un homme habile peut profiter de certaines circonstances, et un seul Horace tuera les trois Curiaces. Un corps qui a plus de masse qu'un autre a plus de mouvement: sans doute, si les vitesses sont égales; mais il est égal d'avoir trois de masse et deux de vitesse, ou trois de vitesse et deux de masse. De même une armée de 40 000 hommes est inférieure physiquement à une autre armée de 60 000 : mais si la première a plus de courage, d'expérience et de discipline, elle pourra battre la seconde; car elle a plus d'action avec moins de masse, et c'est ce que nous voyons à chaque page de l'histoire. Les guerres, d'ailleurs, supposent toujours une certaine égalité; autrement il n'y a pas de guerre. Jamais je n'ai lu que la République de Raguse ait déclaré la guerre aux sultans, ni celle de Genève aux rois de France. Toujours il y a un certain équilibre dans l'univers politique, et même il ne dépend pas de l'homme de le rompre (si l'on excepte certains cas rares, précis et limités); voilà pourquoi les coalitions sont si difficiles si elles ne l'étaient pas, la politique étant si peu gouvernée par la justice, tous les jours on s'assemblerait pour détruire une puissance; mais ces projets réussissent peu, et le faible même leur échappe avec une facilité qui étonne dans l'histoire. Lorsqu'une puissance trop prépondérante épouvante l'univers, on s'irrite de ne trouver aucun moyen pour l'arrêter; on se répand en reproches amers contre l'égoïsme et l'immoralité des cabinets qui les empêchent de se

réunir pour conjurer le danger commun: c'est le cri qu'on entendit aux beaux jours de Louis XIV; mais, dans le fond, ces plaintes ne sont pas fondées. Une coalition entre plusieurs souverains, faite sur les principes d'une morale pure et désintéressée, serait un miracle. Dieu, qui ne le doit à personne, et qui n'en fait point d'inutiles, emploie, pour rétablir l'équilibre, deux moyens plus simples tantôt le géant s'égorge lui-même, tantôt une puissance bien inférieure jette sur son chemin un obstacle imperceptible, mais qui grandit ensuite on ne sait comment, et devient insurmontable; comme un faible rameau, arrêté dans le courant d'un fleuve, produit enfin un atterrissement qui le détourne1.

J. DE MAISTRE.

Les Soirées de Saint-Pétersbourg, 7o entretien.

1. La thèse développée dans ces pages éloquentes, indépendamment même de tous les développements accessoires et souvent si intéressants qui l'ornent, la thèse relative au rôle providentiel de la guerre a été reprise plusieurs fois dans notre siècle, et en particulier par M. de Moltke. Elle est contestable de ce qu'il y a toujours eu des guerres on ne saurait conclure qu'il y en aura toujours, car un pareil argument arrêterait le progrès en tout ordre. Il est possible que les rivalités industrielles, scientifiques arrivent à servir, sans effusion de sang, de ferment suffisant à l'activité humaine, et se substituent à la guerre comme moyen d'éducation pour les nations et comme appel d'énergie. Mais c'est là question difficile à discuter dans une note. Nous n'avons toutefois pas voulu laisser passer sans une protestation cette divinisation de la guerre.

Dans son Esquisse sur les progrès de l'esprit humain, Condorcet avait écrit: « La guerre entre les peuples, comme les assassinats, seront au nombre de ces atrocités extraordinaires qui humilient et révoltent la nature, qui impriment un long opprobre sur le pays, sur le siècle dont les annales en ont été souillées.

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Il faut surtout rapprocher des pages cruelles de Joseph de Maistre l'ironie, où il entre tant de pitié, de Montaigne et de La Bruyère : Quand à la guerre, qui est la plus grande et pompeuse des actions humaines, je ne sçauroy volontiers si nous nous en voulons servir pour argument de quelque prérogative, ou, au rebours, pour tesmoi

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Il semble donc que la femme ait pour idéal la perfection de l'amour, et l'homme la perfection de la justice. C'est dans ce sens que saint Paul a pu dire que la femme est la gloire de l'homme et l'homme la gloire de Dieu. Ainsi la femme qui s'absorbe dans l'objet de sa tendresse est pour ainsi dire dans la ligne de la nature, elle est vraiment femme, elle réalise son type fondamental. Âu contraire, l'homme qui enfermerait sa vie dans l'adoration conjugale, et qui croirait avoir assez vécu en se faisant le prêtre d'une femme aimée, celui-là n'est qu'un demihomme, il est méprisé par le monde et peut-être secrètement dédaigné par les femmes elles-mêmes. La femme vraiment aimante désire se perdre dans le rayonnement de l'homme de son choix, elle veut que son amour rende l'homme plus grand, plus fort, plus mâle, plus actif.

gnage de nostre imbécilité et imperfection; comme de vray, la science de nous entre-desfaire et entretuer, de ruyner et perdre nostre propre espèce, il semble qu'elle n'a pas beaucoup de quoy faire désirer aux bêtes qui ne l'ont pas. » Essais 1, 12.

<< Si vous voyez deux chiens qui s'aboient, qui s'affrontent, qui se mordent et se déchirent, vous dites: « Voilà de sots animaux ; » et vous prenez un bâton pour les séparer. Que si l'on vous disait que tous les chats d'un grand pays se sont assemblés par milliers dans une plaine, et qu'après avoir miaulé tout leur saoûl, ils se sont jetés avec fureur les uns sur les autres, et ont joué ensemble de la dent et de la griffe, que de cette mêlée il est demeuré de part et d'autre neuf à dix mille chats sur la place, qui ont infecté l'air à dix lieues de là par leur puanteur; ne diriez-vous pas : « Voilà le plus abominable sabbat dont on ait jamais ouï parler? » Et si les loups en faisaient de même, quels hurlements, quelle boucherie ! Et si les uns ou les autres vous disaient qu'ils aiment la gloire, concluriez-vous de ce discours qu'ils la mettent à se trouver à ce beau rendez-vous, à détruire ainsi et à anéantir leur propre espèce ? ou, après l'avoir conclu, ne ririezvous pas de tout votre cœur de l'ingénuité de ces pauvres bètes ?... » Chapitre Des Jugements.

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