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cette dernière fin de la vie, et qui, par cette seule raison qu'ils ne trouvent pas en eux-mêmes les lumières qui les en persuadent, négligent de les chercher ailleurs et d'examiner à fond si cette opinion est de celles que le peuple reçoit par une simplicité crédule, ou de celles qui, quoique obscures d'elles-mêmes, ont néanmoins un fondement très solide et inébranlable, je les considère d'une manière toute différente.

Cette négligence en une affaire où il s'agit d'euxmêmes, de leur éternité, de leur tout, m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit; elle m'étonne et m'épouvante : c'est un monstre pour moi. Je ne dis pas ceci par le zèle pieux d'une dévotion spirituelle. J'entends au contraire qu'on doit avoir ce sentiment par un principe d'intérêt humain et par un intérêt d'amour-propre; il ne faut pour cela que voir ce que voient les personnes les moins éclairées.

Il ne faut pas avoir l'âme fort élevée pour comprendre qu'il n'y a point ici de satisfaction véritable et solide; que tous nos plaisirs ne sont que vanité; que nos maux sont infinis; et qu'enfin la mort, qui nous menace à chaque instant, doit infailliblement nous mettre dans peu d'années dans l'horrible nécessité d'être éternellement ou anéantis ou malheureux.

Il n'y a rien de plus réel que cela, ni de plus terrible. Faisons tant que nous voudrons les braves, voilà la fin qui attend la plus belle vie du monde. Qu'on fasse réflexion là-dessus, et qu'on dise ensuite s'il n'est pas indubitable qu'il n'y a de bien en cette vie qu'en l'espérance d'une autre vie; qu'on n'est heureux qu'à mesure qu'on s'en approche, et que, comme il n'y aura plus de malheurs pour ceux qui avaient une entière assurance de l'éternité, il n'y a point aussi de bonheur pour ceux qui n'en ont aucune lumière.

C'est donc assurément un grand mal que d'ètre dans ce doute; mais c'est au moins un devoir indispensable de chercher, quand on est dans ce doute; et ainsi celui qui doute et qui ne cherche pas est tout ensemble bien malheureux et bien injuste. Que s'il est avec cela tranquille et satisfait, qu'il en fasse profession, et enfin qu'il en fasse vanité, et que ce soit de cet état même qu'il fasse le sujet de sa joie et de sa vanité, je n'ai point de termes pour qualifier une si extravagante créature.

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Plus je rentre en moi, plus je me consulte, et plus je lis ces mots écrits dans mon âme Sois juste et tu seras heureux. Il n'en est rien pourtant, à considérer l'état présent des choses: le méchant prospère et le juste reste opprimé. Voyez aussi quelle indignation s'allume en nous quand cette attente est frustrée! La conscience s'élève et murmure contre son auteur; elle lui crie en gémissant: « Tu m'as trompé ! — Je t'ai trompé, téméraire! Qui te l'a dit? Ton âme est-elle anéantie? as-tu cessé d'exister? 0 Brutus! ô mon fils, ne souille pas ta noble vie en la finissant; ne laisse pas ton espoir et ta gloire avec ton corps aux champs de Philippes 1. Pourquoi dis-tu la vertu n'est rien, quand tu vas jouir du prix de la tienne? Tu vas mourir, penses-tu: non, tu vas vivre, et c'est alors que je tiendrai ce que j'ai promis. >> On dirait, aux murmures des impatients mortels que

1. Allusion au suicide de Brutus après la défaite de Philippes.

Dieu leur doit la récompence avant le mérite, et qu'il est obligé de payer leur vertu d'avance. Oh! soyons bons premièrement, et puis nous serons heureux. N'exigeons pas le prix avant la victoire, ni le salaire avant le travail. Ce n'est pas dans la lice, disait Plutarque, que les vainqueurs de nos jeux sacrés sont couronnés, c'est après qu'ils l'ont parcourue.

Ici-bas mille passions ardentes absorbent le sentiment intime, et donnent le change aux remords; les humiliations, les disgrâces qu'attire l'exercice des vertus, empêchent d'en sentir tous les charmes. Mais quand, délivrés des illusions que nous font le corps et les sens, nous jouirons de la contemplation de l'Etre suprême et des vérités éternelles dont il est la source, quand la beauté de l'ordre frappera toutes les puissances de notre âme, et que nous serons uniquement occupés à comparer ce que nous avons fait avec ce que nous aurions dû faire, c'est alors que la voix de la conscience reprendra sa force et son empire; c'est alors que la volupté pure qui nait du contentement de soi-même, et le regret amer de s'être avili, distingueront par des sentiments inépuisables le sort que chacun se sera préparé. Ne me demandez point, ô mon bon ami! s'il y aura d'autres sources de bonheur et de peines je l'ignore; et c'est assez de celles que j'imagine pour me consoler de cette vie et m'en faire espérer une autre. Je ne dis point que les bons seront récompensés; car quel autre bien peut attendre un être excellent que d'exister selon sa nature? Mais je dis qu'ils seront heureux, parce que leur auteur, l'auteur de toute justice les ayant faits sensibles, ne les a pas faits pour souffrir; et que, n'ayant point abusé de leur liberté sur la terre, ils n'ont pas trompé leur destination par leur faute ils ont souffert pourtant dans cette vie, ils seront donc dédommagés dans une autre.

Ce sentiment est moins fondé sur le mérite de l'homme que sur la notion de bonté qui me semble inséparable de l'essence divine. Je ne fais que supposer les lois de l'ordre observées, et Dieu constant à lui-même.

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Quant à la question de savoir si les actes de vertu et de courage sont récompensés dès ce monde, il faut beaucoup distinguer, ce me semble. Il est difficile de la soutenir avec apparence d'un homme qui se jette à l'eau pour sauver un inconnu, et qui se noie avec lui. Ce que j'en dis n'est certes pas pour décourager du courage, mais pour mettre chaque chose à sa place. Vous savez que c'est ma manie. Je crois que la hardiesse à bien faire a sa raison dans l'autre monde et que les actes de résistance désespérée contre le mal, dans certaines âmes, sont une preuve précisément de l'autre monde. Un grand citoyen qui regarde un tyran en face et qui le défie au milieu de ses légions, de ses juges corrompus et de ses bourreaux, ne lui dit pas : « Je suis plus fort que vous. Ce serait d'un matamore; il lui dit : « J'ai derrière moi un principe qui est plus fort que vous; il vous tuera tôt ou tard, et moi je vais où il règne toujours. Bonne nuit. » Cela est écrit en caractères invisibles sur tous les drapeaux des grandes causes; mais, cela dit, je conviens que souvent même en ce monde on recueille les fruits d'une volonté énergique. On a surtout ce sentiment de repos qui résulte d'être en complicité

avec le bien, si je puis parler ainsi, et l'on dit avec plus de raison que Sosie: « J'ai bon maître, et voilà notre maison. » Vous voyez que je prêche, même à mon curé.

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Et c'est pour cela que je m'arrête à vous, mes frères, qui êtes ici assemblés. Je ne parle plus du reste des hommes, je vous regarde comme si vous étiez seuls sur la terre; et voici la pensée qui m'occupe et qui m'épouvante. Je suppose que c'est ici votre dernière heure et la fin de l'univers ; que les cieux vont s'ouvrir sur vos têtes, Jésus-Christ paraitre dans sa gloire au milieu de ce temple, et que vous n'y êtes assemblés que pour l'attendre, et comme des criminels tremblants à qui l'on va prononcer ou une sentence de grâce, ou un arrêt de mort éternelle car vous avez beau vous flatter, vous mourrez tels que vous êtes aujourd'hui; tous ces désirs de changement qui vous amusent, vous amuseront jusqu'au lit de la mort; c'est l'expérience de tous les siècles; tout ce que vous trouverez alors en vous de nouveau sera peut-être un compte un peu plus grand que celui que vous auriez aujourd'hui à rendre; et sur ce que vous seriez si l'on venait vous juger dans le moment, vous pouvez presque décider de ce qui vous arrivera au sortir de la vie.

Or, je vous demande, et je vous le demande frappé de terreur, ne séparant pas en ce point mon sort du

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