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gner d'un attachement moindre au fond même des choses, et comme d'un certain dilettantisme. La morale et l'histoire de la morale sont choses distinctes; et nous voudrions que de ce livre sortît un enseignement moral, à proprement parler, et qu'il exprimât ce qu'on a justement appelé « la philosophic diffuse », qui est l'âme de tout programme d'études en même temps que de toute littérature. Nous voudrions qu'il ressemblât à nos consciences, où se confondent des influences que la mort a rapprochées et quelquefois réconciliées. Nous n'avons d'ailleurs pris parti sur ce point qu'après en avoir référé au meilleur des juges, à M. Gréard, sous l'autorité duquel nous aimons à placer ce recueil, et à qui nous l'eussions dédié, en reconnaissance de ses conseils, si un ouvrage de ce genre comportait une dédicace.

Il était à craindre, sans doute, que tout autre classement que le classement historique n'impliquàt une doctrine qui faussàt le sens de chaque extrait, en l'encadrant, et en le faisant concourir à une exposition d'ensemble. Nous avons tout fait pour atténuer cet inconvénient. Nous avons fait les cadres aussi làches que possible; nous avons évité d'y penser à l'avance, ce qui nous eût rendu moins libre dans le choix des extraits, et les avons, au contraire, laissés se dessiner d'eux-mêmes, par le rapprochement d'extraits choisis en toute indépendance d'esprit. La rançon de cette indépendance est dans un plan aux imperfections duquel nous avions d'avance consenti, imperfections si avouées, que nous concevons très bien tel extrait ou même tel chapitre changeant de place avec un autre.

Il ne se pouvait cependant pas que l'esprit qui opérait le choix des extraits n'eût ses préférences et ses préoccupations. Il s'est fait du moins aussi impersonnel que possible. Les considérations qui ont présidé aux différents choix sont nombreuses. Mais avant tout on s'est laissé prendre par la valeur littéraire et morale des pages qu'on se trouvait lire ou relire. Toutefois les considérations historiques ont retrouvé ici leur place, place subordonnée. Il est telle page de Charron ou de Bernardin de Saint-Pierre que nous avons citée pour montrer comment on moralisait à certaines époques de notre histoire littéraire, ici à coups de citations empruntées à l'antiquité, là à grand renfort de sentimentalité. Nous avons eu également le souci de faire une place à tous nos grands moralistes, même à ceux qui sont plutôt des penseurs que des écrivains. Et nous avons cherché, dans une certaine mesure, à proportionner cette place à l'importance de leurs écrits. S'il se trouve que les prédicateurs chrétiens sont cités avec quelque abondance, c'est justement en vertu de cet effort vers une répartition équitable et proportionnelle, quoique nous ayons pris avec cette règle plus d'une liberté. Si les moralistes de Port-Royal paraissent avoir été l'objet d'un choix de faveur, et donner comme le ton à ce recueil, c'est par une conséquence du même principe, et parce qu'ils nous semblent, dans la réalité des faits, avoir donné le ton à la période la plus florissante de notre littérature morale.

Nous devons cependant prévenir le lecteur que, ce recueil étant surtout destiné aux élèves de rhétorique,

nous avons dù mesurer avec parcimonie la place aux auteurs qui figurent à un autre titre sur le programme de cette classe. Cette considération a souvent renversé les proportions dont nous parlions plus haut, et elle explique qu'on trouve dans ce livre plus de Bourdaloue que de Bossuet, plus de Nicole que de Pascal, Bossuet et Pascal étant de ces auteurs avec lesquels les élèves ont d'autres occasions de faire connaissance.

Il est arrivé enfin que certains morceaux ont été choisis moins pour ce qu'ils valent que pour ce qu'ils disent, mais avec cette réserve, déjà exprimée, que nous nous sommes défendu d'ordinaire de chercher une page pour une idée, et comme pour une place déterminée à l'avance dans un plan préconçu. Nous nous sommes souvenu, il est vrai, du reproche adressé par Spencer aux livres de morale de son temps, qu'ils semblaient être une littérature pour célibataires, puisqu'on n'y parlait jamais d'éducation. Et nous avons ouvert un chapitre aux devoirs et aux problèmes que ce mot seul suggère. De même pour les devoirs et pour les problèmes de la politique. Disons-le encore une fois cependant, ce recueil n'offre pas un cours.de morale complet à notre sens, et qui soit pour satisfaire pleinement un contemporain. On n'y trouve rien, par exemple, sur les devoirs envers le corps, propreté, hygiène, ni sur beaucoup de devoirs relatifs à l'argent, qui aujourd'hui intéressent à si haut point la moralité. De nos jours, un moraliste dira: N'empruntez pas, ou encore: Mesurez vos profits, n'exploitez pas. Au XVIe siècle, un moraliste disait : Donnez, donnez, et encore donnez. Cela tient à la différence

des publics auxquels s'adressent ces différents conseils ; cela tient à ce que certains scrupules, et aussi certains abus, n'étaient pas nés. Nous aurions évidemment, en cherchant bien, trouvé dans notre littérature l'expression des vérités les plus nécessaires à faire entendre aujour d'hui. Mais, précisément, nous n'avons pas voulu chercher, préférant à cette recherche une lecture sans parti pris et qui laissàt se détacher d'elles-mêmes les leçons que le commerce renouvelé avec nos meilleurs auteurs laissait en nous. Si nous ne nous sommes pas résigné à présenter idées et préceptes avec cette apparence de contingence que leur succession dans le temps suffit à leur donner, nous n'avons pas essayé davantage, ce qui eût été d'une loyauté contestable, de faire exprimer aux maîtres passés, par un choix intentionnel et une adroite juxtaposition de quelques-unes de leurs pages, une doctrine qui fût plutôt nôtre que leur, et de répondre aux questions d'aujourd'hui par des pensées d'autrefois.

On s'apercevra cependant, rien qu'à feuilleter notre table des matières, que nous n'avons pas eu peur des problèmes, même contemporains. La morale a ses problèmes, qui sont les ouvertures par où elle donne accès au progrès. Il importait qu'un pareil recueil donnat l'impression de la vie des questions, et ne négligeat pas l'intérêt qui s'attache aux questions pendantes, plus peut-être qu'aux questions résolues. Nous avons, il est vrai, quoi qu'il nous en coùtàt, cru devoir exclure de notre choix tous les auteurs vivants. Les morts d'hier nous ont au contraire attiré par le double attrait d'une gloire et d'une pensée encore chaudes. Ils sont dans ce

recueil classique les témoins de l'actualité sans cesse renouvelée des vérités morales. On croit d'abord que tout est dit, puis, quand on y pense davantage, tout semble à dire ou à redire.

Notre intention, en commençant ce travail, était de pousser le respect pour les textes cités jusqu'à ne jamais supprimer un passage dans le cours d'un extrait. Nous nous étions interdit les lignes de points. C'est qu'on peut faire dire aux auteurs, en les découpant avec art, tout autre chose qu'ils n'ont dit. Force nous a été quelquefois, pour éviter des longueurs, ou pour rendre au développement d'une idée son unité momentanément interrompue par une digression, de violer notre principe. Nous ne pouvons qu'assurer le lecteur que dans ces suppressions nous avons toujours été respectueux de la pensée de nos auteurs. — Dans le même sentiment de respect à l'égard de ces auteurs, nous n'avons cité que des textes assez longs pour qu'ils y apparaissent vraiment, sans analyse et sans présentation de notre part. Dans le même sentiment encore, nous leur avons, autant qu'il nous a été possible, emprunté les titres que nous imposions à l'une de leurs pages, soit que la nature de leurs ouvrages les ait amenés eux-mêmes à formuler ces titres expressément, soit que nous les ayons tirés de l'une des phrases que nous citions.

Ce que nous avons déjà dit aidera à comprendre que nous ayons été délibérément économe de notes. Encore notre commentaire se compose-t-il le plus souvent de textes rapprochés les uns des autres, soit pour qu'ils se renforcent, soit à cause de l'intérêt historique de leur

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