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fesses de l'une et sur le haut des cuisses de l'autre, qu'est-ce qui les attache-là? qu'estce qui les y retient? Rien, si ce n'est le mauvais goût de l'artiste et les mauvaises mœurs du peuple. Il ne savent pas que ce n'est pas une femme nue qui est indécente. Une femme indécente, c'est une femme nue qui auroit une cornette sur sa tête, ses bas à ses jambes et ses mules aux pieds. Cela me rappelle la manière dont madame Hocquet avoit rendu la Vénus pudique la plus déshonnête créature possible. Un jour elle jugea que la déesse se cachoit mal avec sa main inférieure ; et la voilà qui fait placer un linge en plâtre entre cette main et la partie correspondante de la statue, qui eut tout de suite l'air d'une femme qui s'essuie.

Croyez-vous, mon ami, qu'Apelle se fût avisé de placer grand de draperie comme la main sur tout le corps des trois Graces? Hélas! depuis qu'elles sortirent nues de la tête du vieux poëte jusqu'à Apelle, et depuis Apelle jusqu'à nous, si quelque peintre les a vues, je vous jure qua ce n'est pas Vanloo.

Celles de Vanloo sont longues et grêles,

sur-tout à leurs parties supérieures. Ce nuage qui tombe de la droite, et qui vient s'étendre à leurs pieds, n'a pas le sens commun. Pour des natures douces et molles comme celles-ci, la touche en est trop ferme, trop vigoureuse. Et puis, tout autour, un beau verd imaginaire qui les noircit et les enfume: nul effet; nul intérêt. Peint et dessiné de pratique. C'est une composition fort inférieure à celle qu'il avoit exposée au salon précédent, et qu'il a ensuite mise en pièces, et coupée par morceaux, pour recommencer ce sujet. Sans doute, puisque les Graces sont il faut qu'elles aient un air de famille; mais faut-il qu'elles aient la même tête ?

sœurs,

Avec tout cela, la plus mauvaise de ces figures vaut mieux que les minauderies, les afféteries et les culs rouges de Boucher. C'est du moins de la chair, et même de la belle chair, avec un caractère de sévérité qui déplaît moins encore que le libertinage et les mauvaises mœurs. S'il y a de la manière ici, elle est grande.

LA CHASTE SUSANNE.

Tableau de sept pieds six pouces de haut, sur six pieds deux pouces de large.

Notez, une fois pour toutes, qu'à droite et à gauche veut toujours dire à droite et à gauche de celui qui regarde le tableau.

Ici on voit au centre de la toile, la Susanne assise; elle vient de sortir du bain, placée entre les deux vieillards; elle est penchée vers celui qui est à gauche, et abandonnée aux regards de celui qui est à droite. Son beau bras, ses belles épaules, ses reins, une de ses cuisses, toute sa tête, les trois quarts de ses charmes. Sa tête est renversée, ses yeux tournés vers le ciel en appelant le secours; son bras gauche retient le linge qui couvre le haut de ses cuisses; sa main droite écartée, repousse le bras gauche du vieillard qui est de ce côté. La belle figure! la position en est grande. Son trouble, sa douleur sont fortement exprimés; elle est dessinée de grand goût. Ce sont des chairs vraies la plus belle couleur, et tout plein de vérités de nature répandues sur le col, sur la gorge,

aux genoux; ses jambes, ses cuisses, tous ses membres ondoyans sont on ne sauroit mieux placés; il y a de la grace, sans nuire à la noblesse, de la vérité, sans aucune affectation de contraste. La partie de la figure, qui est dans la demi-teinte, est du plus beau faire. Ce linge blanc qui est étendu sur les cuisses, reflète admirablement sur les chairs; c'est une masse de l'air qui n'en détruit point l'effet: magie difficile, qui montre et l'habileté du maître, et la vigueur de son coloris.

Le vieillard qui est à gauche, est vu de profil. Il a la jambe gauche fléchie; et de son genou droit, il semble presser le dessous de la cuisse de la Susanne; sa main gauche tire le linge qui couvre les cuisses, et sa main droite invite Susanne à céder. Ce vieillard a un faux air de Henri IV: caractère de tête bien choisi; mais il falloit y joindre plus de mouvement, plus d'action, plus de desir, plus d'expression. C'est une figure froide, lourde, et n'offrant qu'un grand vêtement roide, uniforme, sans pli, sous lequel rien ne se dessine; 'c'est un sac d'où sortent une tête et deux bras: il faut draper large sans doute, mais ce n'est pas ainsi.

L'autre vieillard est de bout, et vu presque de face. Il a écarté avec sa main gauche tous les voiles qui lui déroboient la Susanne de son côté; il tient, il tient encore ses voiles écartés. Sa droite et son bras, étendus devant la femme, ont le geste menaçant; c'est aussi l'expression de sa tête. Celui-ci est encore plus froid que l'autre : couvrez le reste de la toile, et cette figure ne vous montrera plus qu'un Pharisien qui propose quelque difficulté à Jesus-Christ.

Plus de chaleur, plus de violence, plus› d'emportement dans ces vieillards, auroit donné un intérêt prodigieux à cette femme innocente et belle, livrée à la merci de deux vieux scélérats. Elle-même en auroit pris plus de terreur et d'expression: car tout s'entraîne; les passions sur la toile s'accordent, et se dé-› saccordent comme les couleurs. Il y a dans l'ensemble une harmonie de sentimens comme de tons. Les vieillards plus pressans, le peintre eût senti que la femme devoit être plus effrayée, et bientôt ses regards auroient fait au ciel une toute autre instance.

On voit à droite une fabrique en pierre grisâtre. C'est apparemment un réservoir, un appartement de bains. Sur le devant, un canal d'où jaillit vers la droite un petit

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