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insipide modèle. Que je vous plains, mes amis, s'il faut qu'un jour vous mettiez à la place de toutes les faussetés que vous avez apprises, la simplicité et la vérité de le Sueur! et il le faudra bien si vous voulez être quelque chose.

Autre chose est une attitude, autre chose une action. Toute attitude est fausse et petite, toute action est belle et vraie.

Le contraste mal entendu est une des plus funestes causes du maniéré. Il n'y a de véritable contraste que celui qui naît du fond de l'action, ou de la diversité, soit des organes, soit de l'intérêt. Voyez Raphaël, le Sueur ; ils placent quelquefois trois, quatre, cinq figures debout les unes à côté des autres, et l'effet en est sublime. A la messe ou à vêpres aux Chartreux, on voit sur deux longues files parallèles, quarante à cinquante moines, mêmes stalles, même fonction même vêtement, et cependant pas deux de ces moines qui se ressemblent; ne cherchez pas d'autre contraste que celui qui les distingue. Voilà le vrai: tout autre est mesquin et faux.

Si. ces élèves étoient un peu disposés à profiter de mes conseils, je leur dirois

encore: N'y a-t-il pas assez long-temps que Vous ne voyez que la partie de l'objet que vous copiez? Tâchez, mes amis, de suppo ser toute la figure transparente, et de placer Votre œil au centre: de-là vous observerez tout le jeu extérieur de la machine; vous verrez comment certaines parties s'étendent, tandis que d'autres se raccourcissent; comment celles-là s'affaissent, tandis que celles-ci se gonflent; et, perpétuellement occupé d'un ensemble et d'un tout, vous réussirez à montrer dans la partie de l'objet que votre dessin présente, toute la correspondance convenable avec celle qu'on ne voit pas, et, ne m'offrant qu'une face, vous forcerez toutefois mon imagination à voir encore la face opposée; et c'est alors que je m'écrierai que vous êtes un dessinateur surprenant.

Mais ce n'est pas assez que d'avoir bien établi l'ensemble: il s'agit d'y introduire les détails sans détruire la masse ; c'est l'ouvrage de la verve, du génie, du sentiment et du sentiment exquis.

Voici donc comment je désirerois qu'une école de dessin fût conduite. Lorsque l'élève sait dessiner facilement d'après l'estampe et

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la bosse, je le tiens pendant deux ans de vant le modèle académique de l'homme et de la femme. Puis, je lui expose des enfans,. des adultes, des hommes faits, des vieillards, des sujets de tout âge, de tout sexe, pris dans toutes les conditions de la société toutes sortes de natures, en un mot. Les sujets se présenteront en foule à la porte de mon académie, si je les paie bien; si je suis dans un pays d'esclaves, je les y ferai venir. Dans ces différens modèles, le professeur aura soin de lui faire remarquer les accidens que les fonctions journalières, la manière de vivre, la condition et l'âge ont introduits dans les formes. Mon élève ne reverra plus le modèle académique qu'une fois tous les quinze jours; et le professeur abandonnera au modèle le soin de se poser lui-même. Après la séance de dessin, un habile anatomiste expliquera à mon élève l'écorché, et lui fera l'application de ses leçons sur le nud animé et vivant, et il ne dessinera d'après l'écorché que douze fois au plus dans une année. C'en sera assez pour qu'il sente que les chairs sur les os et les chairs non appuyées ne se dessinent

pas de la même manière; qu'ici le trait est rond, là comme anguleux; et que s'il néglige ces finesses, le tout aura l'air d'une vessie soufflée, ou d'un balle de coton.

Il n'y auroit point de manière, ni dans le dessin, ni dans la couleur, si l'on imitoit scrupuleusement la nature. La manière vient du maître, de l'académie, de l'école et même de l'antique.

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CHAPITRE II.

Mes petites idées sur la Couleur,

C'EST le dessin qui donne la forme aux êtres ; c'est la couleur qui leur donne la vie. Voilà le souffle divin qui les anime.

Il n'y a que les maîtres dans l'art qui soient bons juges du dessin; tout le monde peut juger de la couleur.

On ne manque pas d'excellens dessinateurs; il y a peu de grands coloristes. Il en est de même en littérature. Cent froids logiciens pour un grand orateur. Dix grands orateurs pour un poëte sublime. Un grand intérêt fait éclorre subitement un homme éloquent; quoiqu'en dise Helvétius, on ne feroit pas dix bons vers, même sous peine de mort,

Mon ami, transportez-vous dans un atelier; regardez travailler l'artiste. Si vous le voyez arranger bien symmétriquement ses teintes et ses demi-teintes tout autour de

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