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lez-vous que je pense de cela, lorsque je vous vois tout à côté, et que je suis frappé de votre couleur ferme, de la beauté de vos chairs, et des vérités de nature qui percent de tous les points de votre composition? Des pieds, des mains, des bras des épaules, une gorge, un col, s'il vous en faut comme vous en avez baisé quelquefois, Lagrenée vous en fournira; pour Boucher, non. Passé cinquante ans, mon ami, il n'y a presque pas un peintre qui appelle le modèle; ils ne font plus que de pratique, et Boucher en est-là. Ce sont ses anciennes figures tournées et retournées. Est-ce qu'il ne nous a pas déjà montré cent fois, et cette Calisto, et ce Jupiter et cette peau de tigre dont il est couvert?

ANGÉLIQUE ET MEDOR.

Tableau de la forme et de la grandeur du précédent.

Les deux figures principales sont placées à droite de celui qui regarde. Angélique est

couchée nonchalamment à terre, et vue par le dos, à l'exception d'une petite portion de son visage qu'on attrape et qui lui donne l'air de la mauvaise humeur. Du même côté, mais sur un plan plus enfoncé, Médor debout, vu de face, le corps penché, porte sa main vers le tronc d'un arbre sur lequel il écrit apparemment les deux vers de Quinault; ces deux vers que Lulli a si bien mis en musique, et qui donnent lieu à toute la bonté d'ame de Roland de se montrer, et de me faire pleurer quand les autres rient:

ANGÉLIQUE engage son cœur ;
MEDOR en est vainqueur.

Des amours sont occupés à entourer l'arbre de guirlandes. Médor est à moitié couvert d'une peau de tygre, et sa main gauche tient un dard de chasseur. Au-dessous d'Angélique, imaginez de la draperie, un coussin (un coussin, mon ami!) qui va là comme le tapis du Nicaise de la Fontaine, un carquois et des flèches. A terre, un gros amour étendu sur le dos, et dans les airs,

deux autres qui jouent aux environs de l'arbre confident du bonheur de Médor; et puis à gauche, un paysage et des arbres.

Il a plu au peintre d'appeler cela Angélique et Médor; mais ce sera, mon ami, tout ce qu'il me plaira. Je vous défie de me montrer quoi que ce soit qui caractérise la scène et qui désigne les personnages. Eh, mordieu! il n'avoit qu'à se laisser mener par le poëte. Comme le lieu de la scène est plus beau, plus grand, plus pittoresque et mieux choisi! C'est un antre rustique; c'est un lieu retiré; c'est le séjour de l'ombre et du silence; c'estque, loin de tout importun, on peut rendre un amant heureux, et nos pas en plein jour, en pleine campagne,

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sur

un coussin : c'est sur la mousse du roc... que Médor grave son nom et celui d'Angélique....... Tenez, monsieur Boucher, cela n'a pas le sens commun. Petite composition de boudoir! Et puis, ni pieds, ni mains, ni vérité, ni couleur, et toujours du persil sur les arbres. Voyez, ou plutôt ne voyez pas le Médor, ses jambes surtout; elles sont d'un petit garçon qui n'a

ni goût, ni étude. L'Angélique est une petite tripière. O le vilain mot! D'accord, mais il peint. Dessin rond et mou, chairs flasques. Cet homme ne prend le pinceau que pour me montrer des tettons et des fesses je suis bien aise d'en voir, mais

:

je ne puis souffrir qu'on me les montre.

CHARD IN.

Vous ous venez à temps, Chardin, pour rẻcréer mes yeux que plusieurs de vos confrères avoient mortellement affligés. Vous revoilà donc, grand magicien, avec vos compositions muettes! Qu'elles parlent éloquemment à l'artiste ! Tout ce qu'elles lui disent sur l'imitation de la nature, la science de la couleur et l'harmonie! Comme l'air circule autour de ces objets! la lumière du soleil ne sauve pas mieux les disparates des êtres qu'elle éclaire. C'est vous qui ne connoissez ni couleurs amies, ni couleurs ennemies.

S'il est vrai, comme le disent les philosophes, qu'il n'y a de réel que nos sensations; que ni le vide de l'espace, ni la solidité des corps n'est peut-être rien de ce que nous éprouvons qu'ils m'apprennent ces philosophes, quelle différence il pour eux, à quatre pas de distance, de tes tableaux entre le créateur et toi.

y a

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