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En dedans, des pêches, des prunes, des carafes de limonade dans un seau de ferblanc peint en verd, un citron pelé et coupé par le milieu, une corbeille pleine d'échaudés, un mouchoir masulipatan pendant en-dehors, une carrafe d'orgeat avec un verre qui en est à moitié plein. Combien d'objets! Quelle diversité de formes et de couleurs et cependant quelle harmonie! quel repos! Le mouchoir est d'une molesse à étonner.

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Troisième tableau de rafraichisseà placer entre les deux

mens,

premiers.

S'il est vrai qu'un connoisseur ne puisse se dispenser d'avoir au moins un Chardin, qu'il s'empare de celui-ci. L'artiste commence à vieillir; il a fait quelquefois aussi bien, jamais mieux. Suspendez par la patte un oiseau de rivière. Sur un buffet au-dessous, supposez des biscuits entiers et rompus, un bocal bouché de liège et rempli d'olives, une jatte de la Chine peinte et couverte, un

citron, une serviette dépliée et jettée něgligemment, un pâté sur un rondin de bois, avec un verre à moitié plein de vin; c'est ici qu'on voit qu'il n'y a guères d'objets ingrats dans la nature, et qu'il ne s'agit que de les savoir rendre. Les biscuits sont jaunes, le bocal est verd, la serviette blanche, le vin rouge; et ce jaune, ce verd, ce blanc, ce rouge, mis en opposition, récréent l'œil par l'accord le plus parfait. Et ne croyez pas que cette harmonie soit le résultat d'une manière foible; douce et léchée. Point du tout ; c'est par-tout la touche la plus vigoureuse. Il est vrai que ces objets ne changent point sous les yeux de l'artiste; tels il les a vus un jour, tels il les retrouve le lendemain. Il n'en est pas ainsi de la nature animée : la constance n'est l'attribut

que de

la pierre.

Une Corbeille de raisins.

C'est tout le tableau. Dispersez seulement autour de la corbeille quelques grains de raisins séparés, un macaron, une poire et

deux ou trois pommes d'api; on conviendra que des grains de raisin séparés, un macaron, des pommes d'api isolées ne sont favorables ni de forme ni de couleur; cependant, qu'on voie le tableau de Chardin.

Placez sur un banc de pierre un panier d'osier plein de prunes, auquel une méchante ficelle serve d'anse, et jettez autour des noix, deux ou trois cerises et quelques grapillons de raisin.

Cet homme est le premier coloriste du sallon, et peut-être un des premiers coloristes de la peinture. Je ne pardonne point à cet impertinent Webb d'avoir écrit un traité de l'art, sans citer un seul Français. Je ne pardonne pas davantage à Hogarth d'avoir

dit

que l'Ecole française n'avoit pas même un coloriste médiocre. Vous en avez menti, monsieur Hogarth! C'est, de votre part, platitude ou ignorance. Je sais bien que votre nation a le tic de dédaigner un auteur impartial qui ose parler de nous avec éloge; mais faut-il que vous fassiez bassement la cour à vos concitoyens aux dépens de la

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vérité? Peignez, peignez-mieux, si vous pouvez. Apprenez à dessiner, et n'écrivez point. Nous avons, les Anglais et nous deux manières bien diverses. La nôtre est de surfaire les productions anglaises; la leur est de déprimer les nôtres. Hogarth vivoit encore il y a deux ans ; il avoit été en France, et il y a trente ans que Chardin est un grand coloriste.

Le faire de Chardin est particulier. Il a de commun avec la manière heurtée, que de près on ne sait ce que c'est, et qu'à mesure qu'on s'éloigne, l'objet se crée et finit par être celui de la nature même. Quelquefois aussi, Chardin vous plaît également de près et de loin. Cet homme est au-dessus de Greuze, de toute la distance de la terre au ciel, mais en ce point seulement. Il n'a point de manière; je me trompe, il a la sienne. Mais puisqu'il a une manière sienne, il devroit être faux dans quelques circonstances, et il ne l'est jamais. Tâchez, mon ami, de vous expliquer cela. Connoissez-vous en littérature un style propre à tout? Le genre de peinture de Chardin est à la vérité le plus facile, mais aucun

peintre vivant, pas même Vernet, n'est aussi parfait dans le sien.

Je me rappelle deux paysages de feu Deshays, dont je ne vous ai rien dit. C'est que ce n'est rien; c'est qu'ils sont tous les deux d'un dur, aussi dur.... que ces derniers mots.

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