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Dans le Berceau pour les enfans, on voit à droite une portion d'une baraque en bois. A la porte de cette baraque, sur un banc grossier, un vieux paysan en chemise, jambes singulièrement vêtues et pieds singulièrement chaussés. Autour de ce vieillard, à terre, sur le devant, parmi de mauvaises herbes, une terrine, un auget, des bâtons, un coq qui cherche la vie. Devant le vieillard, une espèce de petit hamac, occupé par un bambîn, gras, potelé, bien nourri, tout nud, étendu sur ses langes; ce hamac est suspendu par une corde à une grosse branche d'arbre: la corde fait plusieurs tours autour de la branche. Une grande servante, assez jeune et assez bien vêtue pour n'être pas la femme du vieux paysan, tire la corde, comme si son dessein étoit d'élever le hamac ou berceau, ou peut-être le descendre. Autour du hamac, deux autres enfans; l'un sur le fond, l'autre sur le devant: l'un vu de face, l'autre vu par le dos; tous les deux regardant avec joie le petit suspendu. Sur le devant, une chèvre et un mouton. Plus, vers la gauche, une vieille avec sa quenouille et son fuseau; elle a interrompu son ouvrage pour parler à celle qui tient la corde du hamac. Tout

à-fait à gauche, vers le devant et sur le fond, chaumière et hameau. Autour de la chaumière, différens outils et agrêts champêtres.

Le paysan est très-beau. Vrai caractère, vraie nature rustique. Sa chemise, tout son vêtement, larges et de bon goût. J'en dis autant de la vieille qui filoit et qui paroît être la grand'mère des enfans; c'est une vieille excellente. Belle tête, belle draperie, action simple et vraie. Les enfans, et celui qui est dans le hamac, et les deux autres, charmans. Mais il y a tout plein de choses ici qui me chiffonnént, et qui tiennent peut-être à la connoissance des mœurs. Voilà bien la chaumière du paysan; mais il est trop grossier, trop pauvrement vêtu pour que cette vieille soit sa femme. Celle qui tient la cordé du hamac, et qui remonte ou descend le berceaù, peut bien être la fille ou la servanté de la vieille, mais elle n'est de rien au paysan. Quel est l'état de ces deux femmes ? Où est leur habitation? Ou je me trompe fort, ou il y a quelqu'amphibologie dans cette composition. En Russie. les femmes seroient-elles mieux vêtues que les hommes? Quoi qu'il en soit, ici le coloris

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du peintre et sa touche sont beaucoup plus fermes. Il est moins briqueté, moins rougeâtre de ton que dans son Baptême ; mais ce Baptême intéresse bien autrement : il est bien plus riche de caractères.

INTÉRIEUR D'UNE CHAMBRE DE PAYSAN RUSSE.

On voit dans cette chambre une paysanne russe assise. Cette paysanne est aussi trèsbien vêtue, notez cela; c'est comme au tableau précédent. Près d'elle, vers la droite, une petite table sur laquelle elle est accoudée, le bras étendu sur une corbeille pleine d'œufs. Devant elle, un jeune paysan, fort démonstratif, les bras élevés et tenant un œuf dans chaque main. Un grand rideau blanc attaché sur une perche, tombe, en s'élargissant, derrière la paysanne. Elle a à ses pieds un chat qui fait le dos et qui se frotte contr'elle. Elle est élevée sur une espèce d'estrade qui n'a qu'une marche. Le peintre a répandu sur cette estrade et audessous, à terre, un panier, un autre panier, une terrine remplie de différens légumes.

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Plus sur la gauche et sur le devant, il y a une table avec un pot-à-l'eau. Tout-à-fait à gauche et dans l'ombre, une vieille qui dort et qui laisse à la jeune marchande d'œufs, sa fille, toute la facilité possible d'accepter l'échange qu'on lui propose. Ce tableau est joli. L'idée en est polissonne ou je me trompe fort. Le jeune paysan est vigoureux. Jeune fille, je n'entends pas trop ce qu'il vous promet; mais, en France, je vous conseillerois d'en rabattre la moitié. Mais laissons ce point. Il faudroit savoir pour le traiter à fond, jusqu'où les hommes tiennent parole aux femmes en Russie.

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CASANOV A.,

C'EST un grand peintre ce Casanove(1)! Il a de l'imagination et de la verve; il sort de son cerveau des chevaux qui hennissent, bondissent, mordent et combattent, ruent, des hommes qui s'égorgent en cent manières diverses, des crânes entr'ouverts, des poitrines percées, des cris, des menaces, du feu, de la fumée, du sang, des morts, des mourans, toute la confusion, toutes les

(1) Casanove est Allemand; mais comme je n'accorde pas que Roslin prouve quelque chose contre P'Allemagne et le Nord, je ne prétends pas non plus que Casanove fasse preuve en leur faveur. Et, pour tout dire, je trouve l'éloge que le philosophe en fait, trop magnifique. Je doute que Casanove parvienne jamais à la réputation d'un peintre de la première force. Les érudits en peinture reconnoissent ses groupes et ses lambeaux pillés, ses larcins de toute espèce; et les tableaux qu'il a exposés dans ce Salon n'ont pas -fait la sensation qui précède la réputation d'un grand peintre.

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