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distance, et qui se caressent. L'aînée rêvé et soupire; la cadette lui fait signe du doigt de ne pas effaroucher les deux oiseaux. Au haut de la maison, à la fenêtre d'un grenier à foin, un jeune paysan qui sourit malignement de l'attention voluptueuse de l'une et de la crainte ingénue de l'autre. Passe pour cela! c'est comme ma description. On y entend tout ce qu'on veut et tout ce qui y est sans rougir. Autour du banc, on a jetté confusément un chaudron, des choux, des panais, une cruche, un tonneau et d'autres objets champêtres.

LE LEVER.

C'est une jeune femme assise sur le bord d'un lit à baldaquin; elle vient d'en sortir. Debout, sur un plan plus reculé, une femme de chambre lui présente sa chemise. A ses pieds, et plus sur le devant, un autre femme de chambre se dispose à lui mettre ses mules. Je ne sens pas le sel de cela. Voilà des mules où ces pieds n'entreront jamais. Cela est ridicule et vrai.

LA FILLE QUERELLÉE PAR SA MÈRE.

La scène est dans une cave. La fille et son doux ami en étoient sur un point, sur un point...... c'est dire assez que ne le dire point.... Lorsque la mère est arrivée, justement, justement... c'est dire encore ceci assez clairement. La mère est en grande colère; elle a les deux poings sur les côtés. Sa fille debout , ayant derrière elle une belle botte de paille, fraîchement foulée, baisse les yeux et pleure; elle n'a pas eu le temps de rajuster son corset et son fichu, et il y paroît bien. A côté d'elle, sur le milieu de l'escalier de la cave, on voit par le dos un gros garçon qui s'esquive. A la position de ses bras et de ses mains, on n'est aucunement en douto sur la partie de son vêtement qu'il relève : nos amans étoient du reste gens avisés. Au bas de l'escalier, il y a sur un tonneau, un pain, des fruits, une serviette, avec une bouteille de vin.

Cela est tout-à-fait libertin; mais on peut aller jusques-là. Je regarde; je souris, et je

passe.

LA FORCE DU SANG,

Ou la Fille qui reconnoît son Enfant à Notre-Dame parmi les Enfanstrouvés.

L'église. Entre deux piliers, le banc des enfans-trouvés. Autour de ce banc, une foule d'hommes, de femmes, d'enfans de tout âge, de tout sexe, et caractérisés par le bruit, la joie, la surprise. Dans la foule derrière la sœur-grise, une grande fille qui tient un enfant et qui le baise. *

Beau sujet manqué! Je prétends que cette foule nuit à l'effet, et réduit un évènement touchant et pathétique à un incident qu'on a peine à deviner; qu'il n'y a plus ni silence, ni repos, et qu'il ne falloit là qu'un petit nombre de spectateurs. Le dessinateur Cochin répond que plus la scène est nombreuse, plus la force du sang paroît. Le dessinateur Cochin raisonne comme homme de lettres, et moi je raisonne comme un peintre.

un

Veut-on faire sortir la force du sang dans

toute sa violence, et conserver à la seène son repos, sa solitude et son silence; voici comme il falloit s'y prendre, et comme Greuze s'y seroit pris. Je suppose qu'un père et une mère s'en soient allés à NotreDame avec leur famille, composée d'une fille aînée, d'une sœur cadette et d'un petit frère. Ils arrivent au banc des enfans-trouvés, le père et la mère avec le petit garçon d'un côté, la fille aînée et la sœur cadette de l'autre. L'aînée reconnoît son enfant. A l'instant, emportée par la tendresse maternelle, qui lui fait oublier la présence de son père, homme violent à qui sa faute avoit été cachée, elle s'écrie, elle s'élance et porte ses deux bras vers cet enfant. Sa sœur cadette a beau la tirer par sa robe, elle n'entend rien. Pendant que cette cadette lui dit tout bas: Ma sœur, que faites-vous? Vous n'y pensez pas....... Vous vous perdez...... Mon père...... la pâleur s'empare du visage de la mère. Le père prend un air terrible et menaçant; il jette sur sa femme des regards pleins de fureur. Le petit garcon, pour qui tout cela est lettre-close, baille aux corneilles. La sœur-grise est dans l'étonnement. Le petit nombre de spectateurs,

hommes et femmes d'un certain âge, car il ne doit point y en avoir d'autres, marquent, les femmes de la joie, de la pitié, les hommes de la surprise. Et voilà ma composition qui vaut mieux que celle de Baudouin; mais il faut trouver l'expression de cette fille aînée, et cela n'est pas aisé. J'ai dit qu'il ne devoit y avoir autour du banc que des spectateurs d'un certain âge; c'est qu'il est honnête et d'usage que les autres, jeunes garçons et jeunes filles, ne s'y arrêtent pas. Done? Donc Cochin ne sait ce qu'il dit(1). S'il défend son confrère contre la lumière de sa conscience et de son propre goût, à la

bonne heure!

Greuze s'est fait peintre-prédicateur des bonnes mœurs; Baudouin, peintre-prédicateur des mauvaises. Greuze, peintre de familles et d'honnêtes-gens; Baudouin, peintre de petites-maisons et de libertins. Mais

(1) Et moi qui sais ce que je dis au moins dans cette occasion-ci, je dis que voilà un des plus beaux sujets de tableau qu'on puisse trouver, et que je suis désolé qu'il ne soit pas sorti de la tête de Greuze. De quoi se mêle ce barbouilleur de Baudouin de traiter un sujet de ce pathétique avec sa petite manière froide et léchée ? Qu'il reste peintre et poëte de boudoir !

heureusement

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