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Nous avons trois peintres habiles, féconds et studieux observateurs de la nature, ne commençant, ne finissant rien sans avoir appelé plusieurs fois le modèle; c'est la Grenée, Greuze et Vernet. Greuze porte son talent par-tout, dans les cohues populaires, dans les églises, aux marchés, aux promenades, dans les maisons, dans les rues; sans cesse il va recueillant des actions, des caractères, des passions, des expressions. Chardin et lui parlent fort bien de leur art; Chardin avec jugement et de sang-froid, Greuze avec chaleur et enthousiasme : Latour, en petit comité, est aussi fort bon à entendre.

Greuze a exposé un grand nombre de morceaux, quelques-uns médiocres, plusieurs bons, beaucoup d'excellens. Parcou rons-les.

!

LA JEUNE-FILLE QUI PLEURE SON OISEAU,

Tableau ovale de deux pieds de haut.

La jolie élégie! Le charmant poëme! La belle idylle que Gesner en feroit! C'est la vignette

Vignette d'un morceau de ce poëte. Tableau délicieux! le plus agréable et peut-être le plus intéressant du Salon. La pauvre petite est de face; sa tête est appuyée sur sa main gauche. L'oiseau mort est posé sur le bord supérieur de la cage, la tête pendante, les aîles traînantes, les pattes en l'air. Le joli catafalque que cette cage! Que cette guirlande de verdure qui serpente autour, a de grace! La pauvre petite, ah! qu'elle est affligée! Qu'elle est naturellement placée! Que sa tête est belle! Qu'elle est élégamment coëffée ! Que son visage a d'expression! Sa douleur est profonde: elle est à son malheur; elle y est toute entière. O! la belle main! la belle main! Le beau bras! Voyez la vérité des détails de ces doigts, et ces fossettes, et cetle mollesse, et cette teinte de rougeur dont la pression de la tête a coloré le bout de ses doigts délicats, et le charme de tout cela.. On s'approcheroit de cette main pour la baiser, si on ne respectoit cet enfant et sa douleur. Tout enchante en elle, jusqu'à son ajustement. Ce mouchoir de col est jetté d'une manière ! Il est d'une souplesse et d'une légèreté! Quand on apperçoit ce tableau, on dit délicieux! Si l'on s'y arrête, ou qu'on y

R

revienne, on s'écrie: délicieux! délicieux! Bientôt on se surprend conversant avec cet enfant et la consolant. Cela est si vrai, que voici ce que je me souviens de lui avoir dit à différentes reprises:

Pauvre petite, votre douleur est bien profonde, bien réfléchie! Pourquoi cet air rêveur et mélancolique? Quoi, pour un oiseau! Vous ne pleurez pas; vous êtes affligée, et la pensée accompagne votre affliction. La petite! Ouvrez-moi votre cœur ; parlez-moi vrai. Est-ce bien la mort de cet oiseau qui vous retire si fortement et si tristement en vousmême ?..... Vous baissez les yeux. Vous ne me répondez pas. Vos pleurs sont prêts à couler. Je ne suis pas père; je ne suis ni indiscret ni sévère..... Eh bien! je le conçois: il vous aimoit; il vous le juroit, et le juroit depuis si long-temps! Il souffroit tant! Le moyen de voir souffrir ce qu'on aime! Eh! laissez-moi continuer; pourquoi me fermer la bouche de votre main?..... Ce matin là..... par malheur votre mère étoit absente. Il vint. Vous étiez seule. Il étoit si beau, si passionné, si tendre, si charmant ! Il avoit tant d'amour dans les veux, tant de vérité dans les expressions! Il disoit de ces mots

qui vont si droit à l'ame! Et en les disant il étoit à vos genoux...... cela se conçoit encore. Il tenoit une de vos mains. De temps en temps vous y sentiez la chaleur de quelques larmes qui tomboient de ses yeux, et qui couloient le long de votre bras. Votre mère ne revenoit toujours point. Ce n'est pas votre faute, c'est la faute de votre mère.... Ne voilà-t-il pas que vous pleurez de plus belle?..... Mais ce que je vous en dis n'est pas pour vous faire pleurer. Et pourquoi pleurer? Il vous a promis. Il ne manquera à riende ce qu'il vous a promis. Quand on a été assez heureux pour rencontrer un enfant charmant comme vous, pour lui plaire, pour s'y attacher, c'est pour toute la vie..... Et mon oiseau ?.... Mon ami, elle sourit. Ah! qu'elle étoit belle? Ah! si vous l'aviez vu sourir et pleurer..... Je continuai: eh bien ! votre oiseau? Quand on s'oublie soi-même, se souvient-on de son oiseau? Lorsque l'heure du retour de votre mère approcha, votre tendre ami s'en alla. Qu'il eut de peine à s'arracher d'auprès de vous !.... Vous me regardez. Eh oui! je sais tout cela. Combien il se leva et se rassit de fois! Combien il Vous dit et redit adieu sans s'en aller! Com

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bien de fois il sortit et rentra! Qu'il étoit heureux, content, transporté! Je viens de le voir chez son père. Il est d'une gaîté charmante, d'une gaîté qu'ils partagent tous sans pouvoir s'en défendre..... Et ma mère? Votre mère? A peine fut-il parti qu'elle rentra. Elle vous trouva rêveuse comme vous l'étiez tout-à-l'heure; on l'est toujours comme cela. Votre mère vous parloit, et vous n'entendiez pas ce qu'elle vous disoit. Elle vous commandoit une chose, et vous en faisiez une autre. Quelques pleurs se présentoient aux bords de vos paupières. Vous les reteniez de votre mieux, ou bien vous détourniez la téte pour les essuyer furtivement. Vos distractions continues impatientèrent votre mère. Elle vous gronda, et ce vous fut une occasion de pleurer sans contrainte et de soulager votre cœur..... Continuerai-je, petite? Je crains que ce que je vais dire ne renouvelle votre peine. Vous le voulez ?..... Eh bien! Votre bonne mère se reprocha de vous avoir affligée. Elle s'approcha de vous; elle vous prit les mains; elle vous baisa le front et les joues, et vous en pleurâtes bien davantage. Votre tête se pencha sur elle, et votre visage que la rougeur commençoit à colorer.....

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