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peuples sont dispersés par petits pelotons. Chacun parle un ramage particulier, dur et barbare. Il n'y a point de concurrence d'une petite souveraineté à une autre; et il faut quelquefois la rivalité et l'effervescence de vingt millions d'hommes réunis, pour faire sortir de la foule un grand artiste. Prenez ces soixante mille ouvriers qui forment notre manufacture de Lyon,, dispersez-les dans le royaume; peut-être la main-d'œuvre resterat-elle la même, mais le goût sera perdu. Il est une empreinte nationale que Roslin a apportée en France, et qu'il a gardée. Si Meings fait des prodiges, c'est qu'il s'est expatrié jeune; c'est qu'il est à Rome; c'est qu'il n'en est point sorti. Faites-lui repasser les Alpes, séparez-le des grands modèles, enfermez-le à Dresde ou ailleurs, et nous verrons ce qu'il deviendra. Et pourquoi ne vous le garantirois-je pas abâtardi, nul, avant qu'il soit dix ans, moi qui vois tous les jours nos maîtres et nos élèves perdre ici, dans la capitale, le grand goût qu'ils ont apporté de l'Ecole romaine; moi qui ai vécu dans le même grenier avec Preisler et Wille, et qui sais ce qu'ils sont devenus, l'un allant à Copenhague, l'autre restant à Paris? Preisler

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étoit cependant beaucoup plus fort que Wille; aujourd'hui il n'est plus rien du tout, et Wille est devenu le prémier graveur de l'Europe. Jusqu'à présent je n'ai connu qu'un seul homme dont le goût soit resté pur et intact au milieu des barbares (1): c'est Voltaire; mais quelles conséquences générales peut-on tirer d'un être singulier et bizarre, qui devient généreux et gai à l'âge où les autres deviennent avares et tristes?

(1) Sur ce sujet je dirai, en prenant le ton irrésolu et l'accent gascon de M. de Mairan, qu'il y a bien des choses à dire; mais c'est la matière d'un traité et non pas d'une feuille. Au reste, le philosophe ressemble ici aux prédicateurs à (qui un mauvais passage d'un livre apocryphe fournit le texte d'un sermon important. M. Roslin ne valoit pas trop la peine de faire agiter cette grande question qui intéresse la réputation des diverses nations de l'Europe. M. Roslin auroit beau eu venir en France en quittant le berceau, il auroit toujours été froid et sans grace, tout comme feu M. Coypel, quoique né en France et décoré du titre de premier peintre du roi, pas laissé d'être froid comme glace et un des plus mauvais peintres de l'académie. M. Roslin ne devroit jamais peindre la figure, ni la nature animée; il faut qu'il s'en tienne aux étoffes, aux broderies, aux dentelles

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VALA D E.

NOUS ous devons, mon ami, des remercîmens à nos mauvais peintres; car ils ménagent votre copiste et mon temps. Vous m'acquitterez auprès de M. Valade, si vous le rencontrez jamais.

Roslin est un Guide, un Titien, un Paul-Veronèse, un Vandeick, en comparaison de Valade.

DESPORTES NEVEU.

NË m'oubliez pas non plus auprès de M. Desportes.

Desportes le neveu peint les animaux et les fruits. Voici un de ses morceaux, et ce n'est pas le plus mauvais.

Imaginez à droite un grand arbre. Suspendez à ses branches un lièvre groupé avec un canard. Au-dessous, accrochez la gibecière, la carnassière et la poire à poudre.

Etendez à terre un lapin et quelques faisans. Placez au centre du tableau, sur le devant, un chien couchant formant un arrêt sur le gibier qui est au pied de l'arbre, et sur le fond, un lévrier qui retourne la tête et fixe le gibier suspendu.

Cela n'est pas sans couleur, ni sans vérité. M. Desportes, attendez que Chardin ne soit plus et nous vous regarderons.

Je ne me soucie, ni de ce morceau ni de celui où, sur une table de marbre, on voit à droite des livres à plat, avec un gros in-folio sur la tranche qui sert d'appui à un livre de musique ouvert, contre lequel est dressé un violon; à gauche, une guirlande de muscats blancs, des fruits, des prunes, des grains de raisins détachés et des roses; mais j'aime mieux le premier.

Vous avez vu comme cela étoit dur et cru? Eh bien! entre vingt mille personnes que l'exposition des tableaux a attirées au Salon, je gage qu'il n'y en a pas cinquante en état de distinguer ces tableauu de ceux de Chardin. Et puis, travaillez ? donnez-vous bien de la peine? Effacez, peignez, repeignez, et pour qui? Je sais votre réponse par cœur: pour cette petite église invisible d'élus,

me direz-vous, qui entraînent à la longue les suffrages de la multitude, et qui assurent tôt ou tard à un artiste son véritable rang. Qui; mais en attendant, il est confondu dans la foule, et il meurt avant que vos apôtres clandestins aient opéré la conversion des sots. Il faut, mon ami, travailler pour soi; et tout homme qui ne se paie pas par ses mains, en recueillant dans son cabinet, par l'ivresse par l'enthousiasme du métier, la meilleure partie de la récompense, feroit fort bien de demeurer en repos.

MADAME VIEN.

UN PIGEON QUI COUVE

Il est posé sur son panier d'osier. On voit

des brins de la paille du nid qui s'échappent irrégulièrement autour de l'oiseau. Il a de la sécurité. Sans voir le nid, un savant pigeonnier comme vous devineroit ce qu'il fait. Il est de profil, et l'on croit le voir en entier. Son plumage brun est de la plus grande

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