Images de page
PDF
ePub

qu'il faut ou pallier ou négliger. J'en apporte un exemple bien commun et bien simple, dans lequel je défie le plus grand artiste de ne pas pêcher contre la vérité ou contre la grace. Je suppose une femme nue, assise sur un banc de pierre quelle que soit la fermeté de ses chairs, certainement le poids de son corps appliquant fortement ses fesses contre la pierre sur laquelle elle est assise, elles boursouffleront désagréablement par les côtés et formeront par-derrière le plus impertinent boarlet qu'on puisse imaginer. Et l'arrête du banc ne tracera-telle pas à ses cuisses, en-dessous, une trèsprofonde et très-vilaine coupure? Que faire donc alors? Il n'y a pas à balancer: il faut, ou fermer les yeux à ces effets et supposer qu'une femme a les fesses aussi dures que la pierre, et que l'élasticité de ses chairs ne peut être vaincue par le poids de son corps, ce qui n'est pas vrai, ou jetter tout autour de sa figure quelque draperie qui me dérobe en même temps, et l'effet désagréable, et les parties de son corps les plus belles.

La cinquième, c'est quel seroit l'effet du coloris le plus beau et le plus vrai de la peinture sur une statue?

Mauvais, je pense. Premièrement, il n'y auroit autour de la statue qu'un seul point où ce coloris seroit vrai; en second lieu, il n'y a rien de si déplaisant que le contraste du vrai mis à côté du faux, et jamais la vérité de la couleur ne répondra à la vérité de la chose (1). La chose, c'est la statue seule, isolée, solide, prête à se mouvoir." C'est comme le beau point de Hongrie de Roslin sur des mains de bois; son bean satin si vrai, sur des figures de mannequin. Creusez l'orbite des yeux à une statue, et remplissez-la d'un œil d'émail ou d'une pierre

(1) Dans tous les arts, l'unité de l'imitation est aussi essentielle que l'unité de l'action; et confondre ou associer ensemble deux manières d'imiter la nature est une chose barbare et d'un goût détestable. Voilà un principe que les anciens ont respecté par instinct, mais que je n'ai jamais lu dans aucune poétique, quoi que ce soit un principe essentiel et fondamental. Si vous vous proposez d'imiter la nature en rel ef et en ronde bosse par le marbre, il ne faut pas l'imiter par la couleur ; r; l'imitez par la couleur, vous ne lui donnerez point de relief. Si vos personnages chantent, ils ne faut pas qu'ils dansent; s'ils dansent, ils ne faut pas qu'ils chantent. Il est barbare aussi de les faire parler et chanter alternativement. Mon cher philisophe, une autrefois je ferai aussi mes réponses à vos cinq questions.

colorée,

colorée, et vous n'en supporterez plus l'aspect; c'est ce que les anciens n'ignoroient pas. On voit même, par la plupart de leurs bustes, qu'ils aimoient mieux laisser le globe de l'œil uni et solide que d'y tracer l'iris et d'y marquer la prunelle, et qu'ils préféroient de laisser imaginer un aveugle à l'inconvénient de montrer un œil crévé. Et, n'en déplaise à nos modernes, les anciens ne paroissent, en ce point, d'un goût plus sévère qu'ils ne l'ont.

La peinture se divise en technique et. idéale, et l'une et l'autre se subdivisent en peinture en portrait, peinture de genre et peinture historique. La sculpture comporte à-peu-près les mêmes divisions, et de même qu'il y a des femmes qui peignent la tête, je ne trouverois point étrange qu'on en vît paroître incessamment une qui fît le buste. Le inarbre, comme on sait, n'est que la copie de la terre cuite; quelques-uns ont pensé que les anciens travailloient d'abord le marbre, mais je crois que ces gens-là n'y ont pas assez réfléchî.

Un jour que Falconet me montroit les morceaux des jeunes élèves en sculpture qui avoient concouru pour le prix, et qu'il

[ocr errors]
[ocr errors]

me voyoit étonné de la vigueur d'expression et de caractères, de la grandeur et de la noblesse de ces ouvrages sortis de dessous les mains d'enfans de dix-neuf à vingt ans, attendez-les dans dix ans d'iei, me dit-il, et je vous promets qu'ils ne sauront plus rien de cela. C'est que les sculpteurs ont besoin plus long-temps encore du modèle que les peintres, et que, soit paresse, soit avarice ou pauvreté, les uns et les autres ne l'appellent plus passé quarante-cinq ans. C'est que la sculpture exige une simplicité, une naïveté, une rusticité de verve qu'on ne conserve guère au-delà d'un certain âge. Et voilà la raison pour laquelle les sculpteurs dégénèrent plus vite que les peintres, à moins que cette rusticité ne leur soit naturelle et de caractère. Pigal est bourru, Falconet l'est encore davantage; ils feront bien jusqu'à la fin de leur vie. Si vous rencontrez un sculpteur poli, doux, maniéré, honnête, dites qu'il est et qu'il restera médiocre.

Le plagiat est aussi possible en sculpture; mais il est rare qu'il soit ignoré. Il n'est ni aussi facile à pratiquer, ni aussi facile à déguiser qu'en peinture. Et puis, allons à nos crtistes.

[blocks in formation]

CET artiste fait bien le portrait; c'est son seul mérite. Lorsqu'il tente une grande machine, on sent que la tête n'y répond pas : il a beau se frapper le front, il n'y a personne. Sa composition est sans grandeur, sans génie, sans verve, sans effet; ses figures sont insipides, froides, lourdes et maniérées: c'est comme son caractère, 'où il ne reste pas la moindre trace de l'homme de nature. Voyez son monument de Bordeaux: si vous lui ôtez l'imposant de la masse, que devient le reste? Faites des portraits, monsieur le Moine, mais laissez-là les monumens, surtout les monumens funèbres! Tenez, je vous le dis à regret, vous n'avez pas seulement assez d'imagination pour bien coiffer une pleureuse. Jettez les yeux sur le mausolée de Deshays, et vous conviendrez que cette muse vous est inconnue.

De sept à huit bustes de le Moine, il y en a deux ou trois que l'on peut regarder; celui de la comtesse de Brionne, celui de

[ocr errors]
« PrécédentContinuer »