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a connu le plaisir avec lui et peut-être avee d'autres avant lui. Si vous eussiez donné des traits un peu plus larges à votre Campaspe, ç'auroit été une femme, et tout eut été bien.

Mais dites-moi, je vous prie, que font derrière elle ces deux vieux légionnaires ? Est-ce qu'Alexandre, qui n'ignoroit pas apparemment que sa concubine seroit exposée toute nue aux regards d'un peintre, s'est fait accompagner chez elle? Vous n'y pensez pas. Allons, mon ami, chassez-moi ces deux soldats, déplacés à tous égards; je vous proteste qu'ils n'y étoient pas, et que la scène s'est passée entre trois personnes, Alexandre, Apelle et Campaspe.... Et la loi du bas-relief, me direz-vous?... Et la loi du sens-commun, vous répondrai-je?.. Et sur quoi sera projettée ma Campaspe, qui ést de ronde bosse?... Eh bien! mon ami, sur deux femmes que vous mettrez à la place de ces deux tristes macédoniens. Ces deux femmes, suivantes de Campaspe, seront plus décentes et plus intéressantes; d'ailleurs, elles étoient dans l'appartement de Campaspe, avant l'arrivée d'Alexandre : car je ne me persuaderai jamais qu'une femme seule s'ex

pose toute nue aux regards d'un artiste. Et voyez le joli caractère que vous donnerez à ces suivantes; elles se sont retirées à l'écart, n'est-il pas vrai, quand le souverain a paru: témoins de sa générosité, comment pensez-vous qu'elles en seront affectées? C'est un groupe de bas-relief charmant à faire.

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Votre Apelle est un peu grossièrement vêtu; un peintre n'est pas un ouvrier comme un statuaire. Il est maigre, cela me convient ceux en qui brûle le tison de Prométhée en sont consumés. Mais pourquoi m'avoir moutonné sa tête? Le génie est, ce me semble, autrement peigné que cela. Et cette Campaspe, qui savoit dès la veille qu'on devoit la peindre, auroit bien dû penser de son côté à faire une autre toilette de tête; sa coiffure est aussi par trop négligée. Pour ces chairs-là, elles sont belles assurément; mais ce n'est pourtant pas encore la mollesse de la statue de Pygmalion, et lorsque Vien

disoit que, pour le coup, Falconet avoit

prouvé que la sculpture l'emportoit sur la peinture (1), il n'avoit pas tout-à-fait tort.

(1) Mot très-fin, pour exprimer que le groupe de Pygmalion, exposé au salon précédent et qui est un

Falconet a établi, sur le bas-relief, une règle qui me paroît sensée, mais qui met de dures entraves à l'artiste. Il dit: le fond du marbre, c'est le ciel; donc il ne doit jamais porter d'ombre. Mais comment ne pas prójetter l'ombre des figures sur un ciel qui touche immédiatement aux figures? Comment? Le voici. Si vous introduisez dans votre composition une figure qui soit de

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sujet de sculpture, étoit très-supérieur au bas-rclief d'Apelle et de Campaspe, qui est un sujet de peinture. Ce groupe de Pygmalion étoit certainement une jolie chose; cependant la figure du statuaire étoit, à mon sens, assez commune et celle de la statue charmante, mais maniérée. Il y a d'ailleurs dans ce sujet je ne sais quoi de faux, au moins lorsqu'il s'agit de le traiter en marbre. Comment exprimer que la statue se change en figure humaine? En donnant à sa tête la vie et la pensée, et à tout son corps le sentiment de la chair, n'est-il pas vrai? Mais une belle statue a tout cela, quoiqu'elle reste de marbre; et si celle de Pygmalion n'avoit pas eu ce caractère divin de pensée et de vie, ce statuaire n'en seroit pas devenu amoureux fou. Le miracle qui combla l'artiste de joie et de surprise, consistoit donc dans la métamorphose de ces beaux muscles de pierre en muscles de chair véritable. "Or, comment exprimer cette métamorphose en marbre et par le ciscan?

ronde-bosse,

ronde-bosse, placez immédiatement derrière elle un objet qui reçoive son ombre (1). Et l'ombre de cet objet que deviendia-t-elle? Rien. Il n'aura point d'ombre, si vous le faites de bas-relief; alors il sera sur votre marbre, comme les objets qui sont éloignés et qui semblent tenir au ciel. On ne cherche pas l'ombre d'un corps qu'on voit dans l'éloignement, ou dont on ne voit que la Mais Falconet se conforme-t-il à sa loi?- Très-scrupuleusement.-Et quel avantage prétend-il en tirer?

moitié.

Celui de

réduire le bas-relief à la vérité du tableau et d'en lier toutes les parties. Voilà ce qui lui a fait introduire ses deux soldats dans le bas-relief dont il s'agit ici : il lui falloit, sur le derrière, des objets qui reçûssent l'ombre de Campaspe, qu'il a faite de rondebosse; mais deux suivantes auroient également rempli ce but, et auroient été mieux imaginées.

(1) C'est aux grands artistes et aux véritables connoisseurs à prononcer sur les avantages et les inconvé niens de cette pratique. Il ne m'est pas non plus démontré que dans un sujet de bas-relief il faille mettre des figures de ronde bosse, ou, si vous voulez, qu'il faille les y souffrir.

LA DOUCE MELANCOLIE,

Figure de marbre d'environ trois pieds de hauteur.

LA douce mélancolie, c'est une figure, mal nommée; c'est la mélancolie. Imaginez une jeune fille debout, le coude appuyé sur une colonne, et tenant dans sa main une colombe; elle la regarde. Comme elle l'a regarde! Comme une pauvre récluse regarderoit, au travers des barreaux de sa cellule, deux amans tendres et passionnés. Son bras droit pend bien, et bien négligemment; seulement il est un peu rond. On accuse aussi la draperie de manquer de légèreté par en-bas, vers les jambes : à la bonne heure mais on n'y reconnoît pas moins l'homme qui possède les physionomies des passions les plus difficiles à rendre.

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