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CHAPITRE IV.

que tout le monde sait sur l'Expression, et quelque chose que

tout le monde ne sait

pas.

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Un comédien qui ne se connoît pas en peinture, est un pauvre comédien; un peintre qui n'est pas physionomiste, est un pauvre peintre.

Dans chaque partie du monde, chaque contrée; dans une même contrée, chaque province; dans une province, chaque ville; dans une ville, chaque famille; dans une famille, chaque individu; dans un individu, chaque instant a sa physionomie, son expression.

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L'homme entre en colère, il est attentif, il est curieux, il aime, il hait, il méprise, il dédaigne, il admire ; et chacun des mouvemens de son ame vient se peindre sur son visage en caractères clairs, évidens, auxquels nous ne nous' méprenons jamais.

Sur son visage! Que dis-je? Sur sa bouche, sur ses joues, dans ses yeux, en chaque partie de son visage. L'oeil s'allume, s'éteint, languit, s'égare, se fixe; et une grande imagination de peintre est un recueil immense de toutes ces expressions. Chacun de nous en a sa petite provision ; et c'est la base du jugement que nous portons de la laideur et de la beauté. Remarquez-le bien, mon ami; interrogez-vous à l'aspect d'un homme ou d'une femme; et vous reconnoîtrez que c'est toujours l'image d'une bonne qualité, ou T'empreinte plus ou moins marquée d'une mauvaise qui vous attire ou vous repousse.

Supposez l'Antinous devant vous. Ses traits sont beaux et réguliers. Ses joues larges et pleines annoncent la santé. Nous aimons la santé, c'est la pierre angulaire du bonheur. Il est tranquille; nous aimons le repos. Il a l'air réfléchi et sage; nous aimons la ré

flexion et la sagesse. Je laisse là le reste de la figure; et je vais m'occuper seulement de la tête.

Conservez tous les traits de ce beau vi→ sage comme il sont; relevez seulement un des coins de la bouche; l'expression devient ironique, et le visage vous plaira moins. Remettez la bouche dans son premier état, et relevez les sourcils, le caractère devient orgueilleux, et il vous plaira moins. Relevez les deux coins de la bouche en même-temps, et tenez les yeux bien ouverts, vous aurez une physionomie cynique, et vous craindrez pour votre fille si vous êtes père. Laissez retomber les coins de la bouche, et rabaissez les paupières; qu'elles couvrent la moitié de l'iris, et partagent la prunelle en deux; et vous en aurez fait un homme faux, caché dissimulé, que vous éviterez.

Chaque âge a ses goûts. Des lèvres vermeilles bien bordées, une bouche entr'ouverte et riante, de belles dents blanches une démarche libre, le regard assuré, une gorge découverte, de belles grandes joues larges, un nez retroussé, me fesoient galopper à dix-huit ans. Aujourd'hui, que le vice ne m'est plus bon, et que je ne suis plus

bon au vice, c'est une jeune fille qui a l'air décent et modeste, la démarche composée, le regard timide, et qui marche en silence à côté de sa mère, qui m'arrête et me charme.

Qui est-ce qui a le bon goût? Est-ce moi à dix-huit ans? est-ce moi à cinquante? La question sera bientôt décidée. Si l'on m'eût dit à dix-huit ans mon enfant, de l'image du vice, ou de l'image de la vertu, quelle est la plus belle? Belle demande! aurois-je répondu; c'est celle-ci.

Pour arracher de l'homme la vérité, il faut à tout moment donner le change à la passion, en empruntant des termes généraux et abstraits. C'est qu'à dix-huit ans, ce n'étoit pas l'image de la beauté, mais la physionomie du plaisir qui me faisoit courir.

L'expression est foible ou fausse, si elle laisse incertain sur le sentiment.

Quel que soit le caractère de l'homme,si sa physionomie habituelle est conforme à l'idée que vous avez d'une vertu, il vous attirera; si sa physionomie habituelle est conforme à l'idée que vous avez d'un vice, il vous éloignera.

On se fait à soi-même quelquefois sa phy sionomie. Le visage accoutumé à prendre le caractère de la passion dominante, le garde. Quelquefois aussi on la reçoit de la nature, et il faut bien la garder comme on l'a reçue. Il lui a plu de nous faire bons, et de nous donner le visage du méchant; ou de nous faire méchans, et de nous donner le visage de la bonté,

J'ai vu au fond du fauxbourg Saint-Marceau, où j'ai demeuré long-temps, des enfans charmans de visage. A l'âge de douze à treize ans, ces yeux pleins de douceur étoient devenus intrépides et ardens; cette agréable petite bouche s'étoit contournée bizarrement; ce col, si rond, étoit gonflé de muscles; ces joues larges et unies étoient parsemées d'élévations dures. Ils avoient pris la physionomie de la halle et du marché. A force de s'irriter, de s'injurier, de se battre, de crier, de se décoëffer pour un liard, ils avoient contracté, pour toute leur vie, l'air de l'intérêt sordide, de l'impudence et de la colère.

Si l'ame d'un homme ou la nature a donné à son visage l'expression de la bienveillance,

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