Images de page
PDF
ePub

La Hollande demandait que le fait ancien, tel qu'il existait en 1790, fût maintenu.

La Belgique demandait que le fait nouveau, créé en 1830, fût reconnu.

Que répondre à la Hollande, qui invoquait les principes du droit public, les maximes qui régissent, entre nations, la souveraineté territoriale; qui, les traités à la main, revendiquait sur l'insurrection son ancien territoire, acquis par de longues guerres, acquis par les travaux de deux siècles?

Que dire à la Belgique, qui invoquait ce qu'il y a de plus sacré au monde : la volonté de l'homme; cette volonté que l'insurrection de 1830 avait proclamée à la face du ciel et de la terre? Vous remontez jusqu'à l'année 1790, vous considérez le pays comme une espèce de palimpseste; vous cherchez laborieusement la couche primitive; vous descendez dans ce nouvel Herculanum. Pour faire revivre les anciennes limites, il faudrait ressusciter les hommes d'alors. La génération de 1790 n'est plus et comment ferez-vous comprendre aux générations contemporaines, qui vivent tout entières du présent, qu'une communauté civile d'un demi-siècle n'est rien, en droit public, et qu'elles doivent rétrograder à 1790 pour trouver les conditions de leur existence politique?

Si, des limites, nous passons aux dettes, la même opposition se reproduit, mais les rôles sont intervertis.

Le droit des gens a toujours considéré les dettes d'un peuple comme l'accessoire, la charge de son sol; il serait facile de citer un grand nombre de cas où ce

principe a reçu son application, et notamment à la Belgique'.

11 Y avait donc corrélation entre les dettes et les limites; ce sont les deux termes d'une même proposition.

Cependant la Hollande disait : Je veux reprendre mes anciennes limites et ne veux pas reprendre mes anciennes dettes en entier.

La Belgique disait : Je veux m'approprier une partie de l'ancien territoire hollandais et ne veux rien supporter dans les anciennes dettes hollandaises.

La Hollande voulait le partage des territoires sur le pied de 1790, le partage des dettes sur le pied de 1830.

La Belgique, le partage des territoires sur le pied de 1830 et celui des dettes sur le pied de 1790.

Dans le partage des dettes, la Hollande prétendait représenter les provinces septentrionales du ci-devant royaume des Pays-Bas; dans le partage des territoires, l'ancienne république.

Dans le partage des dettes, la Belgique voulait représenter les Pays-Bas autrichiens; dans le partage des territoires, les provinces méridionales du ci-devant

royaume.

Nous venons de résumer en quelques lignes tout ce qu'on a écrit sur les différends de la Belgique et de la Hollande.

Il y avait de part et d'autre vice de logique; le temps de le dire est venu.

1 Voyez les traités de Campo Formio, art. 4, et de Lunéville, art. 8.

De toute nécessité, le même principe devait présider au partage des territoires et à celui des dettes, soit qu'on remontât à l'année 1790, soit qu'on s'arrêtât à 1830'.

Au grand étonnement de l'assemblée, M. Nothomb indiqua cette corrélation entre le partage des territoires et celui des dettes dans la séance du Congrès belge du 4 juillet 1831. Voyez le Recueil des discours, p. 26. (Note de la 4e édition.)

CHAPITRE XIV.

[ocr errors]

Les vingt-quatre articles du 15 octobre 1831. Le traité du 15 novembre 1831.

Nous avons montré la Hollande s'appuyant sur les bases de séparation du 27 janvier, la Belgique s'appuyant sur les dix-huit articles; parcourant deux lignes parallèles, comment les deux parties auraient-elles pu se rencontrer? Ce n'était pas d'elles-mêmes que pouvait venir un arrangement définitif. En face de deux ordres d'idées si opposées, en face de prétentions si inconciliables, la Conférence était dans l'alternative, ou d'abandonner la question belge sans solution, ou de la résoudre définitivement par un arbitrage forcé.

Abandonner la question belge sans solution, c'était rendre hommage à l'indépendance absolue des deux pays, mais c'était perpétuer toutes les incertitudes, remettre au hasard des armes une décision que la raison politique n'avait su procurer, s'exposer à voir sortir d'une lutte partielle une guerre générale.

Résoudre la question belge par un arbitrage forcé, c'était porter atteinte à l'indépendance absolue des deux peuples, mais c'était rendre hommage à la souveraineté européenne, prévenir le renouvellement d'hostilités de nature à amener un bouleversement universel.

Ainsi se trouvaient en présence deux genres de souverainetés la souveraineté individuelle des deux peuples et la souveraineté collective de l'Europe'.

:

Cette dernière souveraineté avait pour organe la Conférence de Londres, qui, en l'absence d'une représentation politique plus parfaite, était appelée à exercer tous les droits de l'Europe.

C'est à ce titre que la Conférence se constitua de nouveau arbitre, puisant sa compétence dans des considérations d'un ordre supérieur.

Le roi de Hollande était d'autant moins fondé à décliner cette compétence, qu'il avait fait le premier appel aux puissances, en novembre 1830, et adhéré à l'arbitrage du 27 janvier 1831.

Or, cet acte, comme nous l'avons dit, renfermait les germes d'un deuxième arbitrage; la Conférence, en admettant la nécessité d'un échange territorial et en déclarant que cet échange se ferait par ses soins, s'était attribué le droit de faire l'application définitive des bases de séparation; en exposant son système dans le protocole du 19 février 1831, elle avait annoncé qu'elle interviendrait dans les arrangements définitifs.

Pour soustraire la Belgique à cette intervention, les deux commissaires du régent à Londres avaient fait stipuler, par les dix-huit articles du 26 juin 1831, que l'échange territorial serait facultatif, qu'il s'effectuerait du gré des parties, enfin, que les puissances ne prêteraient leurs bons offices que lorsqu'ils seraient réclamés.

1 «Chaque nation a ses droits particuliers, mais l'Europe a aussi son droit; c'est l'ordre social qui le lui a donné. » Protocole no 19, du 19 février 1831.

« PrécédentContinuer »