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ne nous envierait, qui n'appartiendrait jamais qu'à nous seuls, mais qui n'en serait pas moins souverainement anti nationale...

« L'essentiel pour tout peuple est, non pas d'avoir d'autres lois que ses voisins, mais d'en avoir de meilleures. Le moyen d'y parvenir est non pas de réprouver universellement, sous prétexte d'exentricité, les points de législation communs, mais de les perfectionner à son propre usage. Pourquoi nous priverions-nous de cet avantage, dont nous pouvons profiter d'autant plus sûrement que la législation au renversement de laquelle on nous fait travailler est dans tout le royaume depuis assez longtemps la nôtre, pour qu'en ce qui nous concerne nous en connaissions bien les bontés et les défauts? Pourquoi courir les risques d'opérer à l'aveugle, comme nous y serons nécessairement exposés, toutes les fois que nous aurons à nous occuper de choses tout à fait nouvelles.

les

<< Mais il ne faut pas, dit-on, que les arrêts de la Cour de cassation de Paris continuent à faire autorité chez nous. Ceux qui tiennent ce langage, soit d'eux-mêmes, soit parce qu'on le leur a adroitement inspiré, sont ou bien inattentifs, ou bien peu instruits, ou bien mal informés. S'il s'agit d'autorité législative ou interprétative, l'on sait bien que les arrêts de la Cour de cassation de France n'en avaient aucune, même quand nous étions ses justiciables, et que, quant au fond des contestations, loin d'être des points réglementaires généraux, ils n'étaient pas obligatoires pour les juges auxquels elles étaient renvoyées, même dans les causes et entre personnes pour lesquelles ils avaient été rendus. Dans le fait, depuis notre séparation d'avec la France, l'influence des décisions de la Cour de cassation de Paris a été bien petite dans les causes mêmes où elles pouvaient le plus présenter l'apparence d'un caractère quasi légal. Des questions importantes, notamment sur les gains de survie entre époux mariés sans contrat, postérieurement à la publication de la loi du 17 nivôse an X, ont été décidées chez nous en dernier ressort et en cassation, dans un sens tout opposé à la jurisprudence que la Cour de cassation française avait non seulement introduite, mais que déjà elle avait appliquée, lors d'un premier pourvoi, aux causes mêmes dans lesquelles un nouveau pourvoi était ouvert contre un nouvel arrêt conforme en principes

au premier arrêt de cassation. S'il s'agit de pure autorité doctrinale, pourquoi l'indépendance de notre royaume serait-elle plus compromise aujourd'hui par la citation de quelques arrêts de cassation française, que ne l'était autrefois l'indépendance des provinces méridionales par les citations que l'on faisait devant leurs anciens tribunaux des arrêts du parlement de Flandres, etc., etc.? >>

Forcé d'en revenir à la législation française, le gouvernement voulut avoir au moins la satisfaction de changer la série des articles; un autre plan fut adopté; quelques parties corrigées ou complétées à l'aide du traité de Toullier; le Code français fut traduit en hollandais, puis la traduction hollandaise retraduite en français il ne fallut pas moins de quatre ans pour ce travail de révision qui, dans sa rédaction définitive, aurait eu à son tour besoin d'être revu.

Le projet de Code pénal présenté en 1827 n'eut point les honneurs de la discussion; il en était trop indigne. Le système moderne de la pénalité se résume dans la privation de l'honneur, dans la privation des droits civils, dans la privation de la liberté, avec ou sans obligation de travail, dans la privation de la vie, pure et simple; là s'est arrêtée l'action de la société; et une expérience d'un demi-siècle environ nous a heureusement démontré que sans danger elle peut s'arrêter là. Des voix éloquentes, des esprits généreux ont même dit aux gouvernements de risquer un pas de plus, d'abolir la peine de mort, de chercher les seuls éléments de la pénalité humaine dans la privation de la liberté, de l'honneur et des droits civils: la question était ainsi posée lorsque le gouvernement déchu nous a présenté une contrefaçon du code pénal de Charles

Quint il ne manquait à son œuvre que le langage de cette époque; la forme moderne déparait ce travail. Nous sommes rejetés bien loin des débats sur l'abolition ou le maintien de la peine de mort: il s'agit de savoir comment on tuera, le procès est entre la guillotine et le gibet la guillotine, qui réduit la peine à la mort simple et qui, par sa foudroyante rapidité, nous montre la justice humaine toute puissante, et non cruelle; le gibet, que la féodalité réservait aux serfs, qui ajoute à la peine les lenteurs de l'exécution et les convulsions d'une hideuse agonie. Ne demandez pas si la marque, qui déshonore l'homme pour toujours sans désespérer de lui, puisqu'elle lui laisse la vie sauve, ne demandez pas si cette peine irrationnelle sera abolie. Il s'agit de savoir si la marque sera accompagnée de la flagellation et si pour faciliter la reconnaissance de l'identité il n'est pas convenable de faire consister la marque dans l'empreinte du numéro de la province (art. 70 et 71 du projet): ingénieuse idée qui fait infiniment d'honneur à ceux qui l'ont conçue. Au XIXe siècle, dans un pays libre, il s'est donc trouvé des hommes qui ont proposé le rétablissement du fouet, peine que l'antiquité infligeait aux esclaves, et ces hommes étaient les compatriotes de Meyer, d'Amsterdam; il est vrai que les mêmes hommes s'étaient, en 1814, empressés de rétablir la bastonnade dans l'armée '. Il nous faudrait transcrire presque en entier cet étrange projet de

1 Un arrêté du 21 août 1814 avait aboli les lois militaires françaises et rendu applicable à la Belgique le Code hollandais; l'armée se trouva nationalisée par rapport à la législation. Le gouvernement provisoire de la Belgique a été forcé de maintenir cet état de choses, mais provisoirement et en abolissant la peine de la bastonnade.

Code, dont le but évident était de ramener le royaume à l'ancienne législation hollandaise. M. de Keverberg ne manquera pas de faire la remarque que le projet de Code pénal de 1827 a été abandonné comme le premier projet de Code civil; nous ne l'ignorons pas; mais devant l'histoire, le gouvernement est responsable de ses essais mêmes, et pour caractériser son système, pour déterminer ses tendances, il est permis de rappeler ses tentatives, d'interroger ses pensées.

Que cependant on ne nous accuse point d'être partisans aveugles de la législation civile et criminelle que nous a léguée l'empire français; l'école historique allemande a depuis longtemps recherché et exposé tous les vices de la codification impériale; mais ces codes existent, les événements de 1814 ne les ont point emportés; nos mœurs en ont pris l'empreinte; ils facilitent nos rapports sociaux; nous n'y rattachons aucun des souvenirs pénibles de la conquête. Il nous est facile de corriger ce qu'il y a de vicieux dans le Code civil, d'exorbitant dans le Code pénal. Le monument peut être réparé, achevé, sans que les proportions en soient détruites, sans que l'architecture primitive perde son caractère. Ces codes nous ont été donnés par la même main qui a creusé les bassins d'Anvers, que personne ne songe à combler.

§ VIII.

Adoption d'un système d'impôts conforme aux intérêts hollandais.

Toutes les questions d'intérêt matériel venaient se résumer dans le système des impôts; on pouvait jusqu'à

un certain point faire prévaloir impunément, au moins pendant quelque temps, les intérêts moraux du Nord, les intérêts d'amour-propre; cette tyrannie ne descendait pas jusque dans les masses; mais lorsque le royaume des Pays-Bas est venu se heurter aux grandes questions d'intérêt matériel, le choc s'est fait sentir jusque dans les profondeurs sociales. La loi fondamentale, en admettant l'étrange distinction d'un budget fixe voté pour dix ans et d'un budget variable sujet au vote annuel, avait faussé la première prérogative populaire pour procurer au gouvernement une garantie de force et de durée, en réduisant le combat annuel à une légère escarmouche; combinaison maladroite, car la grande bataille devait être d'autant plus vive, d'autant plus décisive que le rendez-vous était donné depuis dix ans, que pendant dix ans amis et ennemis avaient pu préparer leurs armes. Le premier budget décennal fut introduit en 1820 (loi du 27 avril 1820); il devait donc être renouvelé dans le cours de l'année 1829; le premier projet, voies et moyens, dépenses et dette nationale, fut rejeté par tous les députés belges présents, au nombre de 54, auxquels cette fois s'adjoignit une assez forte fraction de députés hollandais (séance du 14 mai 1829); le projet légèrement modifié fut encore rejeté, quant aux voies et moyens, par 55 voix contre 52, ainsi réparties : députés belges, contre, 49; pour, 4; députés hollandais: contre, 6; pour, 48; il fut adopté, quant aux dépenses, par 61 voix contre 46, ainsi réparties : députés belges, pour, 13; contre, 41; députés hollandais pour, 48; contre, 5 (séance du 18 décembre 1829). Ainsi, le budget décennal avait été rejeté deux fois par les députés belges,

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