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souvent, qui ont bien de la peine à le garder pendant le cours d'une comédie: mais si, comme j'ai dit tantôt, celui-ci a fait connoître le sien, avant que parler, il fait voir, en finissant, qu'il le conservera toute sa vie, en se retirant du 5 monde.

Voilà, Monsieur, ce que je pense de la comédie du Misantrope Amoureux, que je trouve d'autant plus admirable, que le héros en est le plaisant, sans être trop ridicule; et qu'il fait rire les honnêtes gens, sans dire des plaisanteries fades 10 et basses, comme l'on a accoutumé de voir dans les pièces

comiques. Celles de cette nature, me semblent plus divertissantes, encor que l'on y rie moins haut: et je crois qu'elles divertissent davantage, qu'elles attachent, et qu'elles font continuellement rire dans l'âme. Le Misantrope, malgré sa 15 folie, si l'on peut ainsi appeler son humeur, a le caractère d'un honnête homme, et beaucoup de fermeté, comme l'on peut connoître dans l'affaire du sonnet. Nous voyons de grands hommes, dans des pièces héroïques, qui en ont bien moins, qui n'ont point de caractère, et démentent, souvent, 20 au théâtre, par leur lâcheté, la bonne opinion que l'histoire a fait concevoir d'eux.

L'auteur ne représente pas, seulement, le Misantrope, sous ce caractère, mais il fait, encor, parler à son héros, d'une partie des mœurs du temps: et ce qui est admirable, est, 25 que bien qu'il paroisse, en quelque façon, ridicule, il dit des choses fort justes. Il est vrai qu'il semble trop exiger ; mais il faut demander beaucoup, pour obtenir quelque chose, et pour obliger les hommes à se corriger un peu de leurs défauts, il est nécessaire de les leur faire paroître bien grands.

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Molière, par une adresse qui lui est particulière, laisse, partout, deviner plus qu'il ne dit: et n'imite pas ceux qui parlent beaucoup, et ne disent rien.

On peut assurer, que cette pièce est une perpétuelle, et divertissante instruction; qu'il y a des tours, et des déli35 catesses inimitables; que les vers sont fort beaux, au sentiment de tout le monde; les scènes bien tournées, et bien

maniées; et que l'on ne peut ne la pas trouver bonne, sans faire voir que l'on n'est pas de ce monde, et que l'on ignore la manière de vivre de la cour, et celle des plus illustres personnes de la ville.

Il n'y a rien dans cette comédie, qui ne puisse être utile, 5 et dont l'on ne doive profiter. L'ami du Misantrope est si raisonnable, que tout le monde devroit l'imiter; il n'est ni trop, ni trop peu critique; et ne portant les choses dans l'un, ni dans l'autre excès, sa conduite doit être approuvée de tout le monde. Pour le Misantrope, il doit inspirer à tous ses 10 semblables, le désir de se corriger. Les coquettes médisantes, par l'exemple de Célimène, voyant qu'elles peuvent s'attirer des affaires qui les feront mépriser, doivent apprendre à ne pas déchirer, sous main, leurs meilleurs amis. Les fausses prudes, doivent connoître que leurs grimaces ne servent de 15 rien; et que, quand elles seroient aussi sages qu'elles le veulent paroître, elles seront toujours blâmées, tant qu'elles voudront passer pour prudes. Je ne dis rien des Marquis, je les crois les plus incorrigibles; et il y a tant de choses à reprendre, encor, en eux, que tout le monde avoue, qu'on 20 les peut, encor, jouer longtemps, bien qu'ils n'en demeurent pas d'accord.

Vous trouverez, sans doute, ma lettre trop longue; mais je n'ai pu m'arrêter, et j'ai trouvé qu'il étoit difficile de parler sur un si grand sujet, en peu de mots. Ce long discours ne 25 devroit pas déplaire aux courtisans, puisqu'ils ont assez fait voir, par leurs applaudissements, qu'ils trouvoient la comédie belle. En tout cas, je n'ai écrit que pour vous; et j'espère que vous cacherez ceci, si vous jugez qu'il ne vaille pas la peine d'être montré. Ne craignez pas que j'y trouve 30 à redire; je suis autrement soumis à votre jugement, qu'Oronte ne l'étoit aux avis du Misantrope.

The text and punctuation of the original edition of 1667, Bibliothèque Nationale Y 5807+2A, have been followed, but the modern spelling has been adopted for the convenience of the general reader. I have been guided by the remarks of M. Alphonse Pauly in the Preface to his edition of La Fontaine's Fables:

The importance of punctuation (he says) is still greater than that of spelling. The punctuation adopted by an author is more personal and characteristic than the spelling.

Further on he says:

A

It has been said that the spelling and punctuation of the original editions belonged to the compositors, and not to the authors. comparison of the manuscripts and printed books of the seventeenth century shows this to be false, for any one who has read with the least degree of attention the original editions of our great standard writers, must have noticed that the spelling and punctuation vary according to the author, and are not the same in Corneille, or in Racine, in Molière, in La Fontaine, or in Boileau.

Molière's punctuation is dramatic, and follows the tone and accent of the actor. The first words of the Misanthrope are printed without any intervening comma when they are used by Philinte in line 1

Qu'est-ce donc ?

and with a comma in line 1219, where they are spoken to Alceste by Eliante. She is surprised at his extreme agitation, and makes a pause which Philinte does not

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LE MISANTHROPE.

COMÉDIE.

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

PHILINTE, ALCESTE.

PHILINTE

Qu'est-ce donc? Qu'avez-vous ?

ALCESTE.

Laissez-moi, je vous prie.

PHILINTE.

Mais, encor, dites-moi, quelle bizarrerie.

ALCESTE.

...

Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher.

PHILINTE.

Mais on entend les gens, au moins, sans se fâcher.

ALCESTE.

Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre.

PHILINTE.

5

Dans vos brusques chagrins, je ne puis vous comprendre; Et quoiqu'amis, enfin, je suis tout des premiers

ALCESTE.

Moi, votre ami? rayez cela de vos papiers.
J'ai fait jusques ici, profession de l'être ;

Mais après ce qu'en vous, je viens de voir paraître,
Je vous déclare net, que je ne le suis plus,

Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus.

PHILINTE.

Je suis, donc, bien coupable, Alceste, à votre compte?

ALCESTE.

Allez, vous devriez mourir de pure honte,
Une telle action ne sauroit s'excuser,

IO

15

Et tout homme d'honneur s'en doit scandaliser.

Je vous vois accabler un homme de caresses,

Et témoigner, pour lui, les dernières tendresses;
De protestations, d'offres, et de serments,

Vous chargez la fureur de vos embrassements :

Et quand je vous demande après, quel est cet homme,
À peine pouvez-vous dire comme il se nomme,
Votre chaleur, pour lui, tombe en vous séparant,
Et vous me le traitez, à moi, d'indifférent.
Morbleu, c'est une chose indigne, lâche, infâme,
De s'abaisser ainsi, jusqu'à trahir son âme:
Et si, par un malheur, j'en avois fait autant,
Je m'irois, de regret, pendre tout à l'instant.

PHILINTE.

Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable;

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Et je vous supplierai d'avoir pour agréable,
Que je me fasse un peu, grâce sur votre arrêt,
Et ne me pende pas, pour cela, s'il vous plaît.

ALCESTE.

Que la plaisanterie est de mauvaise grâce!

PHILINTE.

Mais, sérieusement, que voulez-vous qu'on fasse ?

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